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magistratures indépendantes de la communauté Chap. CIV. de Pise; elle rendit aux Pisans les franchises de 1509. commerce et de manufactures dont ils avoient été privés; elle leur ouvrit un appel pour les causes criminelles, par-devant les mêmes tribunaux qui jugeoient les Florentins, et elle allégea autant qu'une capitulation pouvoit le faire, la douleur de perdre leur indépendance (1).

Mais ni l'orgueil des Pisans, ni leur patriotisme ne pouvoient se résigner à l'esclavage. Tous ceux qui par leur nom jouissoient dans l'étranger de quelque considération, qui par leur fortune pouvoient conserver quelque indépendance, ou qui par leurs talens militaires et leur bravoure pouvoient acquérir la richesse qui leur manquoit encore, quittèrent une patrie dévouée à la servitude. Les Torti, les Alliati, et un grand nombre d'autres réfugiés passèrent à Palerme, où l'on retrouva dès lors presque tous les noms de la noblesse pisane; les Buzzacarini, branche de la maison Sismondi, passèrent à Lucques, avec plusieurs de leurs concitoyens; d'autres cherchèrent un asile en Sardaigne; enfin un plus grand nombre encore alla joindre l'armée française, qui venoit d'envahir le territoire vénitien. Déjà Riniéri de

(1) Capitolazione per la resa della città di Pisa, sotto al dominio della Rep. Fiorentina. Presso Flaminio del Borgo Raccolta di diplomi Pisani. 4to, 1765, pag. 406-428,

CHAP. CV. et l'enthousiasme : on vit, dans la ligue de Cam1508. brai, un nouvel accord européen ; mais il n'avoit

d'autre principe que l'intérêt personnel et momentané des forts qui dépouilloient le foible, d'autre sanction que les prétentions long-temps abandonnées de ceux qui regardent leurs titres comme impérissables. C'est cependant à cet événement qu'on peut assigner l'origine du droit public qui, depuis trois siècles et jusqu'à nos jours, a gouverné l'Europe. Il commença par la plus criante injustice; et la science diplomatique, qu'on vit naître en quelque sorte avec le seizième siècle, servit dès lors, le plus souvent, à donner des prétextes à la rapacité et à la mauvaise foi.

Ce n'est point là l'idée qu'on aime à se former du droit public ou international : la société humaine auroit besoin d'une autre garantie; elle auroit besoin d'une législation qui régît les nations dans leurs rapports entre elles, comme le droit civil régit les citoyens dans une même nation. Nos désirs nous persuadent aisément que ce que nous souhaitons a existé. Toutes les fois que nous éprouvons de grands abus de pouvoir, nous comparons avec envie le temps 'présent où triomphe l'injustice, à ce passé que nous peint l'imagination, où l'on n'avoit recours à la guerre que pour mettre à exécution des droits déjà établis par les traités, et où la

conquête elle-même ne donnoit point de pré- Cap. cv. tention à la possession, si elle n'étoit sanc- 1508. tionnée par des titres légitimes. Mais nous chercherions vainement dans l'histoire cette époque où la justice remplaçoit la force, et où la puissance des traités ou des droits imprescriptibles enchaînoit la violence elle-même.

Trois bases absolument différentes sont données au droit public; leurs principes sont directement contradictoires, et jusqu'à ce que le choix entre ces principes ait été fixé de concert par toutes les nations, chaque souverain trouvera toujours moyen d'accommoder sa cause à l'un ou à l'autre système, et il sera toujours aussi impossible qu'il l'a été jusqu'ici de s'entendre sur aucun fait ou sur aucune conséquence. Ces trois bases sont la légitimité imprescriptible, le droit des traités, et les convenances nationales. Pour la première fois, à l'occasion de la ligue de Cambrai, ces trois principes furent mis en opposition. L'empereur et le roi de France annoncèrent qu'ils prenoient les armes pour recouvrer leurs droits imprescriptibles, l'un sur les terres d'empire de la Vénétie, l'autre sur le duché de Milan. Les Vénitiens, en se défendant, invoquèrent le droit public des traités qui leur garantissoient toutes leurs possessions de terre ferme. Le pape, après avoir recouvré lui-même ce qu'il

prétendoit être ses droits imprescriptibles, ne 1508. fit plus valoir, dans la seconde année de la guerre, que les convenances nationales, l'indépendance de l'Italie, d'où il vouloit chasser les barbares; la souveraineté d'un peuple sur son propre territoire, et l'avantage d'une nation, qui ne peut être enchaînée ni par le contrat pri→ mitif et peut-être fabuleux de ses ancêtres avec leurs souverains, ni par les traités que la force

lui a imposés.

Chacun de ces systèmes de politique est en lui-même défectueux, et dans son application il est soumis à de grandes difficultés mais combien ne le deviennent-ils pas davantage lorsqu'on les confond l'un avec l'autre ; lorsque, après avoir réclamé pour soi-même des droits imprescriptibles, on veut limiter ceux des autres par les traités, ou les expliquer par l'intérêt des peuples. Cependant aucune puissance ne s'en est jamais tenue à l'une ou à l'autre de ces bases ruineuses, et n'a avoué toutes les conséquences qui découloient du premier principe : aussi la science du droit public n'a-t-elle été presque jamais qu'une vaine étude de sophismes; avec son aide, on a éveillé les passions des peuples, pour leur faire seconder l'ambition de leurs gouvernemens, et l'on a dissimulé aux yeux des premiers l'injustice des droits prétendus par les seconds.

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Louis XII, lorsqu'il avoit voulu enlever le CHAP. CV. duché de Milan à Ludovic Sforza, avoit lui- 1508. même sollicité l'assistance des Vénitiens; et pour les en récompenser, il leur avoit par avance assigné en partage Crémone et la Ghiara d'Adda, qui leur étoient en effet demeurés lorsque les Français s'étoient emparés du Milanez. Cependant Louis XII, reconnu désormais comme successeur légitime de Valentine Visconti, regrettoit des provinces qu'il prétendoit inaliénables, et croyoit conserver des droits imprescriptibles sur les possessions que lui-même avoit cédées. Bien plus, les Visconti, dont il avoit recueilli l'héritage, avoient eux-mêmes, dans leurs guerres avec les Vénitiens, perdu Brescia et Bergame, qu'auparavant ils regardoient comme faisant partie du duché de Milan; et encore que ces villes, avec leurs provinces, fussent incorporées à la république de Venise dès l'année 1426, et que les Visconti eux-mêmes ne les eussent pas possédées si long-temps que les Vénitiens, Louis XII les regardoit aussi comme comprises dans son héritage inaliénable; il prétendoit conserver des droits sur elles, qu'aucun laps de temps, qu'aucun traité, qu'aucun service rendu ne pouvoient détruire.

De son côté, Maximilien se regardoit comme le successeur légitime, non-seulement des plus puissans monarques germaniques, mais encore

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