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CHAP. CIV. rence, et quand Macchiavel les pressa de s'ex1509. pliquer, ils déclarèrent qu'ils n'en connoissoient point d'autres, que de garder eux-mêmes leur ville, en abandonnant aux Florentins tout ce qui étoit en dehors des murs. A cette demande la conférence fut rompue, et Macchiavel retourna au camp pour presser les attaques (1).

L'on manquoit complétement à Pise, de vin, d'huile, de vinaigre et de sel; le blé s'y vendoit deux écus d'or le boisseau, ou environ soixante francs le quintal. Il ne restoit plus de cuir pour faire les souliers, et les soldats aussi-bien que les citoyens étoient sans chaussure (2). L'heure de Pise étoit enfin venue. Après une guerre soutenue pendant quatorze ans et sept mois, avec un courage admirable, avec une constance, avec une résignation qu'aucun autre peuple n'a peut-être égalées, il falloit céder à la nécessité. Les détails de cette longue lutte ne nous ont été transmis que par les ennemis des Pisans; aucune chronique contemporaine de cette ville n'a été écrite ou ne s'est conservée; aucun historien ne nous a laissé un tableau des efforts

(1) Commissione data al Macchiavelli, 10 marzo, e lettera sua da Piombino, 15 marzo. T. VII, p. 246-249. Scipione Ammiralo. L. XXVIII, p. 288. Giov. Cambi. T. XXI, p. 229. (2) Scipione Ammirato. L. XXVIII, p. 286. Giov. Cambi,

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150g.

intérieurs, des délibérations des conseils, des CHAP. CIV. sacrifices des citoyens. A peine nous a-t-on conservé le nom de trois ou quatre Pisans, à une époque où tant d'hommes méritèrent par leur dévouement, par leur bravoure, par leur éloquence, par l'habileté de leurs négociations, une illustration éternelle : et cependant, au travers des préventions ennemies de ceux qui nous ont transmis seuls la mémoire de ces événemens, on démêle une grandeur, un héroïsme, dont aucune autre ville d'Italie n'avoient présenté d'exemples.

Tarlatino, qui avoit commandé la garnison de Pise avec tant de bravoure, ayant fait demander, le 20 mai, des sauf-conduits au camp florentin, quatre députés des Pisans se rendirent auprès des trois commissaires de la république, et les requîrent de leur donner des passe-ports pour douze ambassadeurs, que leur patrie se déterminoit enfin à envoyer à Florence, afin de traiter de sa capitulation. Ces députés ne laissèrent point de doutes sur la sincérité de leurs intentions; et les trois commissaires, Antoine Filicaia, Alamanno Salviati, et Nicolas Capponi, qui par leur activité infatigable avoient réduit Pise à cette extrême détresse, furent aussi les premiers à montrer aux Pisans que cette ardeur pour le succès pouvoit s'accorder avec l'humanité, avec la générosité les plus

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CHAP. CIV. la Sassetta et Pierre Gambacorti, avoient ras1509. semblé cent cinquante fantassins pisans en Lombardie (1). Une foule d'autres, et parmi eux une branche des Sismondi, se rangèrent sous les mêmes drapeaux. Renouant avec les capitaines français les liens d'hospitalité qu'ils avoient cherché avec tant de soin à établir dès le passage de Charles VIII, et qui avoient à plusieurs reprises déjoué les négociations du cabinet, et sauvé Pise par les armées mêmes qui l'assiégeoient; ils se firent une patrie du camp français; ils remplacèrent la liberté civile par l'indépendance des armées; ils trouvèrent dans la gloire quelque consolation de leur exil, et sans avoir un domicile assuré, ils continuèrent à se sentir chez eux dans toute l'Italie, jusqu'à l'époque où les armées françaises en furent chassées, et où ces familles proscrites vinrent chercher dans les provinces méridionales de France, une image du beau climat de la Toscane auquel elles avoient renoncé (2).

(1) Lettera di N. Capponi et Alam. Salviati, ex castris apud Mezzanam, die 1 junii 1509. Macchiavelli, T. VII, p. 276.

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(2) C'est un monument très-remarquable de l'horreur qu'inspiroit aux Pisans ce joug étranger, et de l'émigration qui suivit son établissement, que le registre ouvert en 1566, d'après les ordres du grand-duc Cosme 1er, pour y inscrire tous les individus restés à Pise, qui pourroient prouver que leurs ancêtres participoient, avant 1494, aux honneurs et aux magistratures de la ville. Il comprend tous les mâles de chaque famille, même

CHAPITRE CV.

Ligue de Cambrai, bataille de Vaila ou d'Aignadel, conquête de tout l'état de terre ferme des Vénitiens.

1508, 150g.

CHAP. CV.

LA ligue conclue à Cambrai, entre les grandes puissances de l'Europe, pour attaquer et dé- 1508. pouiller les Vénitiens, fut, depuis les croisades, la première entreprise suivie de concert dans un but commun, par tous les états civilisés. Pour la première fois, les maîtres des nations convinrent de partager entre eux un état indépendant; pour la première fois, ils firent revivre, à l'aide d'une érudition pédantesque, des prétentions surannées; pour la première fois enfin, ils réclamèrent les droits imprescriptibles de leur légitimité. Les croisades avoient montré un accord européen, fondé sur le zèle religieux

les prêtres, qui ne pouvoient cependant ni laisser de descendans, ni exercer de magistratures; il s'étend jusqu'aux professions les plus basses, et néanmoins il ne renferme que sept cent vingt-sept noms; tellement l'émigration, dans le cours d'un demi-siècle, avoit réduit la population d'une ville capable de tenir tête à toute la Toscane, ville dont la longue et valeurense résistance avoit occupé toute l'Europe. Il est imprimé dans les Diplomi Pisani di Flaminio del Borgo, 4to. 1765, p. 433.

TOME XIII.

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CHAP. CIV.

nobles. Les négociations, conduites tour à tour 1509. dans le camp et à Florence, durèrent dix-huit jours, pendant lesquels les Pisans, sous mille prétextes, visitoient le camp florentin, afin d'obtenir des alimens de l'hospitalité des soldats, et de les rapporter à leurs familles (1).

Enfin le traité signé à Florence, le 4 juin, et ratifié à Pise par tout le peuple, le 7 juin, fut mis à exécution dès le lendemain. L'armée florentine entra dans Pise le 8 juin 1509, et rendit l'abondance aux assiégés exténués. Non-seulement toutes les offenses furent pardonnées, et tous les biens fonds furent rendus aux Pisans; la seigneurie fit même rendre à chaque citoyen, les rentes, les fruits, et le prix des fermes de l'année qui avoient été perçus sur le territoire pisan. L'historien Jacob Nardi, qui fut luimême chargé de régler ces comptes, assure que la seigneurie florentine le fit avec tant de libéralité, qu'elle sembloit bien plutôt recevoir que donner la loi (2). A tous autres égards la capitulation fut également libérale; elle confirma tous les anciens priviléges, toutes les

(1) Lettere de' commissari generali del dì 20 maggio 1509, al 6 giugno, In Macchiavelli Legazioni. T. VII, p. 267.-288. (2) Jacopo Nardi. L. IV, p. 207, 208. Scip. Ammirato. Lib. XXVIII, p. 288. Giov. Cambi T. XXI, p. 251. Fr. Belcarii. L. XI, p. 323. Jac. Arrosti Chron. f. 233. Fr. Guicciardini. L. VIII, p. 437.

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