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CHAP. CIV.

1507.

les cours. Le licenciement de l'armée française, et le retour de Louis au-delà des monts, ne calmèrent ces craintes qu'après leur avoir laissé le temps de produire des effets importans. Tant d'états étoient alors dans une situation incertaine; tant de mécontentemens et de jalousies secrètes divisoient les gouvernemens, qu'aucun d'eux ne voyoit sans une extrême terreur un monarque étranger commander en Italie une armée suffisante pour régler seule la destinée de tout le pays.

Jules II surtout, quoiqu'il eût souvent sollicité Louis XII de se joindre à lui contre les Vénitiens, accueilloit à présent contre lui les soupçons les plus injurieux. L'emportement et la défiance se succédoient avec une étrange rapidité dans l'âme de ce pape; et son caractère bouillant et impétueux déceloit plus de foiblesse que de vraie magnanimité. Annibal Bentivoglio avoit tenté de rentrer à Bologne avec six cents fantassins rassemblés dans le Milanez; le pape ne se contenta pas de prendre occasion de cette tentative, pour faire raser par le peuple ameuté, le palais des Bentivoglio à Bologne, monument de la plus belle architecture (1), il demanda encore que tous les Bentivoglio lui fussent livrés, ou tout au moins qu'ils fussent chassés de

(1) Jacopo Nardi. Lib. IV, p. 191.- Pauli Jovii Epitome histor. L. IX, p. 156.

l'état de Milan. Pour forcer le roi à se soumettre CHAP. CIV. à cette indigne condition, il refusa le chapeau 1507. de cardinal à l'évêque d'Albi, frère de Chaumont, auquel il l'avoit promis; et en même temps, il adressa un bref à l'empereur, dans lequel il lui annonçoit que le roi de France n'avoit eu d'autre but, en entrant en Italie avec une si puissante armée, que d'élever au saintsiége son favori, le cardinal George d'Amboise, après avoir envahi les états de l'Église ; que cette ambition de Louis XII et de son favori ne pouvoit plus se dissimuler au monde; qu'il avoit déjà cherché à dominer le conclave, par la terreur de ses armes, dans les deux élections précédentes; et que son arrière-pensée, de se faire ensuite décerner la couronne de l'Empire, par le pape qu'il auroit créé, et qui seroit absolument à sa dévotion, ne pouvoit pas davantage se révoquer en doute (1).

Maximilien, qui vers cette époque avoit fait un voyage en Flandre, pour demander aux états de ces provinces l'administration et la tutelle de l'héritage de son petit-fils, et qui n'avoit pu l'obtenir, revint à Constance, où il avoit convoqué une diète de l'Empire. Il exposa dans cette assemblée, avec beaucoup de chaleur et d'éloquence, les plaintes du pape, et les projets

(1) Fr. Guicciardini. L. VII, p. 380. · Fr. Belcarii Comm. Rer. Gallic. L. X, p. 300.

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CHAP. CIV. des Français; Maximilien étoit très-brave, il 1507. avoit de l'élégance dans les manières, et une affectation de chevalerie, qui séduisoit sa cour, et qui l'y faisoit passer pour un grand homme, encore que ses prodigalités et son inconséquence eussent depuis long-temps fait connoître le peu de fond qu'on pouvoit faire sur lui. Il parla aux Allemands de leur gloire militaire, dont les Français vouloient leur enlever la récompense, en usurpant la couronne impériale; des dangers qu'ils avoient bravés, des sacrifices auxquels ils s'étoient joyeusement résignés, pour sauver l'honneur de la nation; de la longue discorde du corps germanique, seule cause de sa foiblesse, et de cette puissance avec laquelle il pourroit dicter des lois à la France, et reconquérir l'Italie, s'il vouloit seulement la déployer. Depuis long-temps aucune diète de l'Empire n'avoit été plus nombreuse, aucune ne manifesta plus d'enthousiasme; chacun paroissoit également empressé à prendre les déterminations les plus vigoureuses. Maximilien avoit demandé qu'on mît sous ses ordres une armée, non-seulement pour prendre la couronne impériale en Italie, mais encore pour recouvrer le Milanez, dont l'investiture en faveur du roi de France étoit annulée, depuis la rupture du mariage de Claude de France avec Charles, qui en étoit la condition. La diète de l'Empire accueillit

avec empressement cette proposition, et parut CHAP. CIV. déterminée à mettre sous les ordres de son chef 1507. plus de forces qu'aucun de ses prédécesseurs n'en eût jamais commandé.

Cependant les princes allemands ne tardèrent pas à être avertis que Louis XII avoit licencié son armée après la réduction de Gênes, en sorte qu'il ne pouvoit avoir des projets plus vastes que ceux qu'il avoit annoncés. D'ailleurs, des agens secrets du roi de France s'étoient adressés à chacun d'eux séparément, et, en protestant que leur maître n'avoit aucune intention ni contre l'Église, ni contre l'Empire, ils avoient réveillé leur antique défiance à l'égard de l'empereur; ils l'avoient représenté comme cherchant, sous de vains prétextes, à disposer de toutes leurs forces, pour les asservir ensuite; et ils avoient secondé ces insinuations par l'argent qu'ils avoient répandu parmi ces princes et leurs avides ministres. La diète, voulant régler les secours qu'elle avoit promis, demanda que l'expédition d'Italie se fit en son nom, que les généraux fussent nommés par élle, que les conquêtes appartinssent à tout le corps germanique. Maximilien refusa ces conditions, et il augmenta ainsi la défiance des Allemands. Il

(1) Fr. Guicciardini. L. VII, p. 380.- Jacopo Nardi. hist. Fior. L. IV, p. 199. Fr. Belcarii Comment. L. X, p. 301.

TOME XIII.

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CHAP. CIV. déclara qu'il préféroit ne recevoir que de moin1507. dres secours, et demeurer seul chef de l'entreprise en conséquence, la diète lui accorda une armée de huit mille chevaux et de vingt-deux mille fantassins, payée pour six mois, à dater du milieu d'octobre, et de plus un subside de -120,000 florins florins pour l'artillerie et les dépenses extraordinaires; et elle se sépara le 20 août, sans avoir pourvu, mieux qu'aucune des précédentes, à l'exécution d'aussi magnifiques promesses (1).

Maximilien, qui croyoit que tout l'art de régner consistoit à ne laisser jamais personne pénétrer dans ses secrets, assigna trois lieux éloignés, pour le rassemblement de trois armées de l'Empire, afin qu'il fût impossible de prévoir de quel côté il porteroit ses coups. L'une devoit se réunir à Trente, pour menacer le Véronois; l'autre à Besançon, pour menacer la Bourgogne; la troisième dans la Carniole, pour menacer le Friuli (2). Il ne permettoit point aux ministres étrangers de s'arrêter auprès de lui : il les tenoit en relégation, en quelque sorte, dans quelque petite ville, à Bolzano, à Trente, à

(1) Fr. Guicciardini. L. VII, p. 386.- Fr. Belcarii. L. X, p. 304.

(2) Macchiavelli Legazione all. Imperator. Lett. di Bolzano, 17 janv. 1508. T. VII, p. 161.

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