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immoralité, croissant, comme le développement des intelligences; et, d'un paupérisme, croissant comme le développement des richesses. Alors, la terreur de L'AVENIR, qui les portait au renversement de l'autocrate, les engagera, par la MÊME TERREUR, à soutenir ce même gouvernement jusqu'à ce que la transition, du règne de la force au règne de la raison, soit socialement accomplie.

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QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME OBSTACLE.

La croyance, simulée ou réelle, hypocrite ou sincère: «que, le journalisme serait suffisant pour vulgariser la vérité si, la démonstration, de sa réalité, était déjà : « rendue rationnellement incontestable, imprimée et publiée. Et cela sans qu'il fût nécessaire d'avoir recours, sous peine de mort humanitaire, à une autocratie unis« sant la science à la force; opinion, croyance, d'autant plus incompatible avec l'existence de l'ordre, en présence de l'incompressibilité de l'examen, qu'elle s'oppose davantage à reconnaitre la nécessité de cette même autocratie; laquelle, seule, alors, peut empêcher l'humanité d'être précipitée de la roche du despotisme; dans les abîmes de l'anarchie. »

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Pour procéder à l'examen de cet obstacle, commençons par écouter celui que la France et l'Europe ont longtemps considéré comme le premier des journalistes.

« On confond ensemble, dit M. Émile de Girardin, la liberté de la presse et le journalisme; on a tort: le journalisme est une chose; la liberté de la presse en est une autre.

« Le journalisme est une exploitation mercantile de l'opinion et des passions d'autrui; un atelier où se lamine le mensonge; une boutique où se débite l'erreur à l'enseigne et au profit de tel ou tel parti.

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La liberté de la presse, telle qu'elle a été sagement définie par notre charte constitutionnelle, est le droit que les Français ont de publier et de faire imprimer les OPINIONS en se conformant aux

lois.

« Or qu'y a-t-il de commun entre le droit de faire imprimer son opinion et le fait de publier des articles anonymes qui expriment une

opinion n'appartenant en propre à personne et dont la responsabilité pèse sur un être collectif?

« La liberté de la presse est un droit politique. Ce journalisme est une profession commerciale, la liberté de la presse est une institution; la tyrannie du journalisme est une usurpation. »

-Toutes les fois qu'un homme de mérite établit unc thèse; c'est, si elle est erronée, dans l'exorde qu'il faut chercher l'erreur. Ici l'erreur de M. de Girardin est dans le mot institution, considérée comme bonne institution. La liberté de la presse est une institution absurde, si elle doit être absolue, comme le serait la liberté d'aller nu dans les rues; et, cette liberté est une institution anarchique et despotique, si elle doit être soumise aux lois; parce qu'une bonne loi, sur la presse, est impossible, en époque d'ignorance ainsi, que l'empereur Napoléon Ier l'a prouvé au Conseil d'État.

-« Le Français qui n'ayant pu réussir à devenir avocat, médecin ou professeur, parvient à se faire admettre parmi les collaborateurs inconnus d'un journal pour y disserter sur toutes les questions les plus élevées comme les plus ardues de la politique et de l'administration,

ce qui est malheureusement trop facile puisqu'il n'est pas nécessaire pour cela d'avoir rien approfondi, d'avoir rien vu, celui-là n'exerce pas un droit, mais une profession; car il n'écrit pas pour satisfaire un besoin impérieux de son esprit, mais afin de pourvoir aux nécessités de son existence: celui-là fait du journalisme.

« Ce qui vient d'être dit est encore plus vrai du Français qui signe ou qui dirige un journal; celui-là, le plus souvent, adopte les opinions de ses rédacteurs, sans être en état de les discuter si elles diffèrent, de les rectifier si elles se contredisent; peu lui importe qu'elles soient justes ou fausses: elles ont tort si l'abonné réclame contre elles, elles ont raison si aucun ne manque à la liste de renouvellement. Il n'y a que cette base pour asseoir son jugement.

« C'est là ce qui explique pourquoi les journaux ne sortent jamais du cercle étroit de leurs discussions, pourquoi ils tournent sans cesse, variant sans fin les mêmes banalités; pourquoi il ne s'y rencontre jamais une idée neuve, pourquoi il ne s'y produit jamais une opinion spontanée, pourquoi les mutations qui surviennent dans le personnel des rédacteurs restent inaperçues des lecteurs. C'est, il faut le dire, qu'un journal n'est pas fait par ses rédacteurs, mais

par ses abonnés ; c'est qu'il n'y a pas à Paris deux journaux où la préférence serait donnée aux premiers sur les seconds, où une proposition utile, mais aventureuse, l'emporterait sur une quittance d'abonnement. Quand une nécessité existe, la nier n'empêche pas de la subir; disons donc ce qui est vrai, aussi bien la vérité n'est jamais qu'une question de temps, et la taire ce n'est tout au plus que l'ajourner. Or, ce qui est vrai, c'est que le journalisme, s'il était fait autrement, ne vivrait pas un an. Le journalisme est un commerce; la loi l'a déclaré tel. Veut-on qu'un journal prospère, il faut en confier la direction à une de ces médiocrités qui vivent aux dépens du parti qui les écoute. Veut-on l'anéantir, il suffit de lui donner pour chef un homme supérieur et indépendant qui ait des convictions et des idées. En théorie, ceci peut paraître un paradoxe; mais dans l'application ce n'est qu'un lieu commun facile à expliquer. Déranger des opinions faites, contrarier des idées reçues, réformer des jugements arbitraires, c'est exercer sur l'esprit de l'abonné une violence qu'il pardonne rarement, c'est le contraindre à douter de son infaillibilité, c'est troubler le repos de ses facultés intellectuelles et exiger d'elles un effort inaccoutumé, conséquemment pénible; c'est, au lieu de le bercer en cadence, l'éveiller en sursaut; en moins de mots, c'est le perdre à jamais. Le journaliste ne vit qu'à la condition de n'être rien par lui-même, de ne penser que par autrui, de s'assimiler l'abonné, de n'avoir ni la valeur du fond, ni l'éclat de la forme (Études politiques, 1842). »

Rien d'aussi vrai; rien d'aussi énergique, n'a jamais été dit; et cela prouve l'incompatibilité de la liberté du journalisme avec l'existence de l'ordre : tant que la raison n'est point souveraine.

-« Le journalisme, dit plus loin M. de Girardin; le journalisme qui prépare le triomphe de la démocratie.....

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La démocratie proprement dite, n'est autre que, la souveraineté du peuple, la souveraineté de la force; et le triomphe de cette démocratie: conduirait l'humanité à la mort. Mais, à son insu, ce n'est point la souveraineté de la force que réclame M. de Girardin; c'est, la souveraineté de la raison, et vous allez le voir : quoiqu'il n'ait pas plus d'idées claires de cette souveraineté que de ce qui se passe daus la lune.

Le journalisme, continue M. de Girardin, qui prépare le triomphe de la démocratie ne fait que hâter, à son insu, sa propre défaite, ou tout au moins sa transformation; car le journalisme tel qu'il existe, et la démocratie telle qu'elle s'annonce, seront incompatibles. Pour pouvoir gouverner l'une, il faudra nécessairement sacrifier ou améliorer l'autre, car la multitude toute-puissante ne saurait se conduire sans prestige, et contre la force du nombre il n'y a que la supériorité de l'esprit. »

-La supériorité de l'esprit n'a de valeur sociale que socialement reconnue ; et, la supériorité de l'esprit de sophisme ne peut avoir, en présence de l'incompressibilité de l'examen, qu'une durée éphémère. Vous voyez que c'est la souveraineté de la raison que veut M. de Girardin. Mais, et je le répète, sans avoir l'ombre d'une idée de la manière dont cette souveraineté peut exister.

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Or, continue M. de Girardin, et puissent tous les journalistes écouter le premier d'entre eux! Or, dit-il, là où le journalisme n'accorde jamais que la raison et la moralité puissent être du côté du pouvoir, et affirment toujours qu'elles sont exclusivement du côté de l'opposition, il n'est aucune autorité respectée, aucune forme de gouvernement durable. Et ce que nous venons de dire ne sera pas seulement vrai pour la France.

«La liberté de la presse n'est pas, ne saurait être ce que l'on a le tort d'appeler ainsi.

« Ne respecter rien, ni la religion, ni la loi, ni la vérité, ni la fiction;

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Tourner tout en dérision, institutions, hommes, et choses;

<< Remettre sans cesse en question tout ce qui a été résolu, tout ce qui devrait l'être irrévocablement;

« Dénaturer et obscurcir tous les faits;

« Nier ou exagérer ce qui est vrai, affirmer ce qui est faux, rendre vraisemblable ce qui est imaginaire;

« Dénigrer systématiquement tout ce que les autres louent, louer systématiquement tout ce que les autres dénigrent. Isoler les actes des intentions qui les justifiaient et les faits des circonstances qui les ont produits;

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Traiter de tout sans approfondir rien ;

« Abaisser les grands caractères, élever les petits;

«Construire à plaisir des réputations trompeuses, en démolir d'honorables;

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« Ravaler la dignité nationale en affectant pour elle une hypocrite susceptibilité;

« Surprendre et divulguer les secrets de l'État, sous le prétexte de sollicitude pour la sûreté publique;

« Rendre indélébiles toutes les taches irréparables, toutes les fautes;

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« Étaler complaisamment tous les scandales;

Faire servir à l'école du vice la publicité des tribunaux; la travestir avec art et profit; rendre divertissant ce qui attriste la société ; et pathétique ce qui révolte l'humanité ;

<< Publier prématurément les actes d'accusation, sans attendre le jour des dépositions, des débats et des plaidoiries, et sans autre raison que celle de satisfaire l'avidité publique; livrer ainsi sans ménagement les prévenus et les accusés que la justice peut absoudre, à toutes les préventions de l'opinion, qui juge arbitrairement sur ses premières impressions, dont il est aussi difficile de la faire revenir qu'il a été facile de les lui donner;

«Se constituer juge souverain de la conscience et du verdict des jurés ;

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Spéculer sur tout, sur l'honneur, sur la honte, le dénigrement et l'apologie, l'erreur et la vérité, le bien et le mal;

Vivre d'injures et d'injustices, de diffamations et de calomnies;

<< Ne reconnaître enfin d'autre Dieu sur la terre que l'abonné, et lui tout immoler pour se le rendre ou se le conserver propice: les croyances les plus saintes, les idées les plus justes, les intentions les plus droites, les actions les plus honorables, les renommées les plus glorieuses :

<< Tout cela peut constituer le bon plaisir du journalisme, maís rien de cela ne saurait dériver du droit politique publier et faire imprimer son opinion; là s'arrête et doit s'arrêter la liberté de la presse. »

Ce passage est admirable et l'un des plus remarquables qui aient été écrits sur le journalisme. Il y manque seulement d'avoir remarqué que tout cela se fait nécessairement; et peut même se faire de la meilleure foi possible; en époque d'ignorance sur la réalité de la raison; c'est-à-dire : aussi longtemps que les opinions ne sont point anéanties : par l'intronisation de la vérité.

Ayez si vous le pouvez, continue M. de Girardin, UNE OPI

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