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mais le choix du monde est fait, il penche visiblement en faveur de Fénélon, comme on fait toujours pour ceux que l'on sent utiles et près de son cœur, en comparaison de ceux qu'on ne fait qu'admirer et sentir auprès de son esprit. Quelques-unes des douces et consolantes pages de Fénélon, de ce baume des sociétés, de ces leçons et de ces recommandations en faveur de l'humanité, lui plairont davantage que toutes les magnificences du style, ou les profondeurs d'érudition dogmatique de Bossuet, qui ne font plus rien à son usage : le monde ne balancera pas entre le mérite des grands combats livrés par Bossuet au ministre Claude, et les attaques livrées par Fénélon au despotisme, au sein de la cour de Louis XIV, par le précepteur de son héritier, occupé d'écarter de lui-les prestiges qui avaient égaré son père. Bossuet restera le dictateur de l'Église gallicane; Fénélon restera le curateur de l'humanité : Bossuet servira de héraut au pouvoir absolu, et ne s'occupera que de la politique sacrée (1); Fénélon

(1) On a comparé Bossuet à Corneille, pour le sublime on pouvait y ajouter, pour l'inégalité et pour les chutes. L'esprit de l'homme ne vaut pas mieux que cela; après

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servira d'interprète et d'avocat aux droits des nations; avec Bossuet, il faut attendre qu'il plaise au ciel de retirer un tyran, de parler au cœur d'un Néron : c'est toute la ressource lais

s'être élevé, il faut qu'il retombe; la terre le rappelle à elle....... Mais le sublime de Corneille est tout différent de celui de Bossuet... Ce n'est presque que dans l'exposition du néant de l'homme, que Bossuet excelle et se complaît... Il s'entend à rapetisser l'homme, autant que Corneille à l'agrandir.... Le sublime du dernier a porté sur un autre ordre d'idées, et a rempli un bien plus grand espace. Jamais il n'est séparé de la simplicité de l'expression, vrai caractère de la grandeur; Bossuet, au contraire, emprunte quelquefois sa grandeur aux paroles, ou bien aux tours oratoires dont il use... Corneille paraît être le génie le plus naturellement grand qui ait existé parmi tous les écrivains. L'Histoire universelle de Bossuet et sa Politique sacrée, sont deux conceptions de l'or dre religieux le plus élevé, Le cadre de la première est im¬ mense, et l'ouvrier l'a rempli avec grandeur et richesse ; mais le fond en est entièrement idéal et arbitraire. On peut, à chaque instant, arrêter la marche de l'auteur, et lui demander la preuve de ce qu'il avance. Il peut être pieux de s'abandonner à lui; mais il n'est commandé par aucune raison de le faire...

Sa Politique sacrée est très-propre à inspirer à un jeune prince, la crainte des jugemens que Dieu portera de son gouvernement; mais elle suppose que les nations n'ont aucun droit... C'est la grande différence entre Bossuet et Fénélon... Le premier n'a connu le pouvoir, qu'à ses deux extrémites, Dieu et son effet... Cette Politique est un cours complet de

sée par lui à la malheureuse humanité. Avec Fénélon, les tyrans, les Nérons enchaînés par les lois, impuissans à rompre leurs barrières sacrées, en attendant la justice tardive du ciel,

pouvoir de droit divin, et ne laisse aux nations aucune garantie. Dans l'ordre du christianisme, le prince en est quitte, à l'heure de la mort, pour un bon peccavi... La grâce de la réconciliation n'étant jamais refusée au mourant, il s'ensuit que le prince passera sa vie dans les excès du pouvoir, par la confiance du pardon à sa dernière heure. Louis XIV meurt en disant: Je suis tranquille, je me suis bien confessé. Ne voilà-t-il pas la France bien soulagée? Ne valait-il pas mieux que Louvois et Chamillard eussent été responsables? Les écrits de Bossuet n'ont pas joui chez l'étranger, de l'admiration, qui a été, et qui sera toujours accordée à Télémaque. L'Histoire des variations, l'Exposition de la doctrine chrétienne, sont des ouvrages de bibliothéques ecclésiastiques. Quelques traits des oraisons funèbres sont admirables; mais l'ensemble n'apprend rien, et n'est applicable à rien. L'oraison funèbre du grand Condé est chargée de détails militaires, que la chaire ne comporterait pas aujourd'hui... Celle du chancelier Letellier renferme des passages sur la juridiction ecclésiastique, que l'on ne tolérerait plus. Les sermons de Bossuet ne sont pas lisibles. De loin en loin, quelques éclairs rappellent que c'est Bossuet qui parle, mais le texte est entièrement mystique et monacal: on voit que l'auteur n'est pas là dans son talent. Bossuet a fait un sermon contre l'honneur du monde, qu'il ne peut pas parvenir à définir.

Mais où on le retrouve tout entier, c'est dans la troisième

seront sujets à la responsabilité de la société, dont ils sont les chefs et non plus les maîtres. C'est en cela que Fénélon est éminemment chrétien, en même temps qu'il est homme éclairé; car, il n'en faut pas douter, le christianisme n'est pas moins ennemi du despotisme que de l'anarchie, comme tous deux étant également ennemis de la société. En cela le christianisme est admirablement social : il commande l'obéissance au pouvoir, non pas comme apanage ou convenance de tel chef, mais comme moyen de conservation et d'entretien pour les sociétés qui ne peuvent pas un instant se passer de l'appui du pouvoir, dans quelque main qu'il se trouve.

partie de l'Histoire universelle, au titre des empires; il a été le précurseur et l'inspirateur de Montesquieu dans son admirable ouvrage de la Grandeur et de la décadence des Romains.

On a beaucoup parlé des flatteries adressées par le clergé à Napoléon... je prie de lire les passages qui terminent la seconde partie de l'Histoire universelle. On trouve dans lą troisième, que les Rois de France sont de tous les Rois, les plus clairement prédits dans les prophéties;... qu'il ne sait si la milice romaine a jamais rien eu d'aussi admirable les armées de Louis XIV... Toutes ces flatteries adressées à l'élève par son précepteur, rappellent le sol qui les a vues naître, et ont un goût de terroir de cour.

que

L'exercice du pouvoir dans les sociétés est pour elles ce que le mouvement du cœur est dans le corps humain ; l'instant de l'interruption serait celui de la mort. Ce n'est que sous ce rapport général de conservation que le ciel s'est occupé du pouvoir; pour tout le reste, il l'a abandonné au libre arbitre des hommes; nulle part il n'a attaché aucune recommandation, ni aucun précepte à aucune forme de gouvernement ni à aucun titulaire; il n'a fait ni les constitutions, ni les dynasties; il n'a pas plus donné à Rome Titus que Tibère; mais, dans son attribution de tout voir, de tout tolérer, de tout récompenser et tout punir, il laisse les hommes s'agiter dans leur séjour, et s'y placer suivant la mesure de leurs facultés. L'ordre des idées que je viens d'exposer est bien certainement celui qui prévaut en Europe; et c'est celui que, par là même, le clergé doit bien s'attacher à reconnaître et à suivre. Qu'il juge de ses sentimens par le mépris, j'ai presque dit, par l'horreur que lui inspire la partie grossière et fanatique du clergé d'Espagne avec ses jésuites, son inquisition, son opposition au bien de la patrie; tandis que plus de vices et de crimes que n'en compte tout le Nord

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