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CHAPITRE XLV.

État réel de la religion en France.

CETTE espèce de statistique se compose, comme toutes les autres, de deux parties : le matériel et le personnel.

Sous le premier titre se trouve renfermé tout ce qui tient aux moyens de l'exercice du culte.

Le second comprend le ministre et le sujet du culte, les moyens d'influence de l'un et les dispositions de l'autre à l'égard du culte et de ses ministres. Si l'on s'en était rapporté aux descriptions pathétiques dont des déclamateurs ou des malveillans ont rempli l'Europe, descriptions qu'ils ont tenté de faire passer pour le tableau véritable de l'état religieux de la France, on aurait pu croire qu'il n'existait plus un édifice religieux sur la face de cette contrée, et que jusqu'aux pierres du sanctuaire, tout avait disparu. On aurait voulu persuader qu'il ne restait en France, ni un monument, ni un sentiment religieux. C'est encore ainsi qu'on représentait les champs de la France

que

comme ayant cessé de se charger de moissons, pour ne plus produire, comme ceux de Cadmus, des hommes couverts d'armures et prêts à s'égorger. L'étranger qui arrivait en France, et qui ne la connaissait que par ces descriptions, restait confondu en la voyant, et cherchait ces destructions, ces ruines, ces terres sans culture; et à la vue des moissons exubérantes, de la culture la plus animée, des constructions nouvelles, des canaux, des monumens, d'un ordre parfait établi partout, il se demandait si c'était bien le pays dont les relations et l'aspect étaient si différens entre eux. En 1814, le duc de Wellington et le cardinal Consalvi, arrivant, l'un par Calais, l'autre par Lyon, me peignaient l'étonnement dont l'état de la France les avait remplis après un quart de siècle d'orages. C'est qu'ils l'avaient jugée d'après ce qu'ils avaient lu, et que dans ce moment ils la jugeaient comme ils la voyaient: et il y avait une grande différence entre le modèle et le portrait,

C'est ainsi qu'en 1813 et 1814 on aurait cru, à entendre ces déclamateurs, qu'il ne restait plus un homme en France; et voilà que depuis deux ans on menace d'une surcharge de

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population; suivant ces homines, alors tout le monde était mort: aujourd'hui tout est plein, tout abonde, tout regorge; et cependant la nature n'a pas interrompu ses lois, pour faire des hommes de vingt ans avec des hommes de quatre ans.

Cela suffit pour donner l'idée de la manière dont on écrit sur la France. Elle a presque toujours été peinte par des hommes, enfans dénaturés autant qu'insensés, pour lesquels la patrie n'était jamais ni assez dévastée, ni assez coupable, et qui faisaient leur bonheur de ses malheurs ou de son déshonneur. Eh bien ! voilà encore comme l'on a écrit sur son état religieux.

Pour le matériel, des observations faites avec soin prouvent que, hors Mâcon (1), et quelques autres lieux en fort petit nombre, la destruction des édifices religieux n'a point été à beaucoup près aussi générale qu'on s'est plu à le dire, et cela très heureusement. Elle s'est étendue

(1) Mâcon avait perdu toutes ses églises. Il n'y avait de local pour le culte, que la chapelle de l'Hôtel-Dieu. En passant à Mâcon, en 1805, Napoléon assigna des fonds pour la construction. d'un édifice religieux, qui déjà en 1812 était complétement achevé, et qui est fort beau.

particulièrement et comme systématiquement aux édifices que l'on peut appeler de luxe, ou superflus, tels que ceux des couvens, des collégiales et autres du même ordre. Les cathédrales et les paroisses ont presque toutes été respectées, par l'instinct de la nécessité : il y a eu de la raison jusque dans la destruction. Il faut savoir gré au clergé constitutionnel d'en avoir préservé un grand nombre. Comme il était le clergé de la révolution, et qu'il marchait avec elle, il a pu amortir quelques-uns de ses coups: c'est là l'espèce de crédit et de force que l'on peut trouver auprès de ceux qui se lient à un ordre de choses, quel qu'il soit. Si, généralement parlant, ils n'ont pas le pouvoir de faire le bien, du moins peuvent-ils souvent empêcher le mal. Le clergé constitutionnel a tempéré les effets de celui-là à l'égard des édifices religieux. Dans ces temps, le prêtre servait de sauvegarde à son église; et, si ailleurs les hommes se réfugient dans les temples, alors c'étaient les temples qui étaient comme réfugiés auprès de ces prêtres.

Depuis 1802, les ruines ont disparu avec une merveilleuse célérité : nulle part elles n'affligent les yeux; partout les édifices religieux

sont en nombre suffisant pour le service essentiel de chaque endroit. Dans quelques-uns, il se trouve au-delà du nécessaire : les évêchés les presbytères, les séminaires, des maisons de retraite, ont été rendus ou remplacés par des achats et des locations aux frais publics. Le temps perfectionnera tout.

Le nombre des prêtres est suffisant dans chaque diocèse pour le service vraiment nécessaire; car il ne peut être question du luxe, ni de cette multiplicité propre à satisfaire des fantaisies plutôt que des besoins réels. Il n'est pas nécessaire de s'occuper beaucoup de ces personnes désœuvrées qui à elles seules occuperaient un prêtre plus que ne le ferait une paroisse toute entière. Dans l'état actuel, depuis l'évêque jusqu'au vicaire, il est pourvu à tout ou presque à tout. Dans beaucoup de pays il n'y en a pas davantage, et la religion fleurit; mais il est des gens persuadés qu'il n'est point de religion là où tout n'est pas couvert d'églises et de moines. Déjà des diocèses sont en état de donner le superflu de leurs moissons à d'autres diocèses dont la régénération est moins avancée que la leur. Il est en France des diocèses qui ressemblent à des terres lévi

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