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C'est dans les opérations d'épargne mobilière et inmobilière que nous voyons l'application la plus saisissante de ce fonctionnement, dont nous parlions tout à l'heure, des agents provocateurs de l'épargne.

Les commerçants sont naturellement portés à vanter leur marchandise et à exciter les désirs de l'acheteur; quand cette provocation se joint à des facilités de paiement, et si l'objet ainsi vendu est utile, s'il consiste en outillage, en métiers ou machines, en livres d'étude, en ustensiles de ménage, en vêtements et en meubles nécessaires, il est clair que l'acquisition qu'on en fait donne lieu à une épargne mobilière et que le commerçant a été un provocateur de cette épargne. Tout à l'heure, avec M. Sarcey, nous épargnions par provision; maintenant, en achetant par termes fractionnés, nous anticipons l'emploi de l'épargne, nous escomptons la jouissance et par là nous nous engageons nécessairement à l'épargne, non plus seulement envers nousmême mais envers un créancier. Quand l'objet est acquis utilement, sans fantaisie ni caprice, il est certain que sa possession d'abord précaire en fait vivement rechercher la propriété définitive et pousse le travailleur à s'acquitter rapidement.

Cela rappelle le procédé de ce voyageur de commerce en Amérique qui colportait des pendules chez les colons-culti

vateurs. Personne n'en voulait d'abord; mais il demandait qu'on lui fit la faveur de lui garder sa pendule pendant une semaine ou deux jusqu'à son retour dans la localité. On voulait bien y consentir, et, quinze jours après, le charme de la possession ayant opéré, quand le colporteur se représentait de nouveau, l'affaire était inévitablement conclue.

« On ne peut se passer de pendule, professait le voyageur, que lorsqu'on n'en a jamais eu. »

Il y a longtemps que le procédé de vente à crédit par termes échelonnés est en usage dans certains commerces. En librairie notamment, on plaçait ainsi les gros ouvrages d'un prix élevé. L'expérience avait démontré que la perte résultant des non paiements, se maintenait presque toujours au même taux, en sorte qu'il était facile au libraire de pratiquer lui-même son assurance en faisant payer à la masse des acheteurs le risque qu'il encourait sur quelques-uns.

Cette manière d'opérer s'est généralisée depuis plusieurs années.

Un commerçant, M. Crespin, a fondé un magasin de meubles, de literies, de machines à coudre, à tuyauter et à plisser; il a fait, en outre, des traités avec un certain nombre de magasins de spécialités diverses, et il a émis des bons de crédit que les souscripteurs s'engagent à rembourser par fractions hebdomadaires et qui sont reçus comme argent dans toute la série des magasins désignés.

De nombreux garçons de recette (ils sont trois cents, dit le prospectus), font office de collecteurs des épargnes, et vont chaque semaine recevoir à domicile le montant des souscriptions. Chaque souscripteur a son compte ouvert et peut toujours demander un « bon-Crespin » d'une somme double du montant de son crédit. Muni de ce bon, le client peut acheter ce qu'il veut soit chez Crespin lui-même, soit dans les 250 maisons qui sont désignées sur la liste; il obtient ainsi, au prix courant, un objet dont il n'a payé que la moitié, mais

dont il s'est astreint à verser l'autre moitié par paiements hebdomadaires.

Dans le cas où le souscripteur, changeant de besoin ou de projet, veut reprendre son épargne sans faire d'acquisition, il peut rentrer dans son argent sans intérêt, sous déduction de neuf pour cent pour indemniser la maison Crespin de ses frais de courses et d'écritures, commission exorbitante qui est évidemment calculée pour forcer les souscripteurs à n'être jamais que des acheteurs.

On ne connaît pas les conditions des traités passés avec les magasins, qui reçoivent comme argent les bons émis par Crespin, mais il est évident que ces maisons lui ont consenti à titre d'intermédiaire et en considération du nombre de clients qu'il leur envoie de tous les quartiers de Paris, une remise ou commission importante.

Le tant pour cent alloué par ces maisons, le bénéfice réalisé par Crespin sur les objets qu'il vend directement et aussi l'intérêt des sommes déposées par les souscripteurs et dont il ne leur est tenu aucun compte, compensent facilement les risques du crédit qui, en définitive, n'est consenti que pour une assez faible partie du prix de la marchandise (car la moitié apparente se réduit peut-être au quart, au cinquième, à rien quelquefois) et laissent finalement un excédent de bénéfice important.

Au reste, les risques provenant de ce genre de crédit doivent être peu élevés et les bénéfices de vente considérables, car il existe d'autres maisons qui délivrent de suite, par exemple, un bon de 20 francs sur un premier paiement d'un dixième, soit 2 francs, sans autre garantie que l'engagement de payer le surplus à raison d'un vingtième, soit de un franc par semaine.

M. Crespin, dans ses notices, se présente comme un bienfaiteur de l'humanité, et s'il est certain qu'il n'est pas un bienfaiteur désintéressé, il n'est pas douteux que, par sa combinaison, il n'ait rendu service aux classes laborieuses.

En citant cet exemple, nous avons voulu montrer deux choses d'abord, combien l'initiative privée est ingénieuse et féconde quand elle opère dans une bonne direction sociale, ensuite, combien il serait facile à une association coopérative d'appliquer, sur une plus large échelle, avec plus de modération et au plus grand profit de l'épargne, le même système d'achats à crédit garantis par la mutualité.

Si la possibilité d'acheter à crédit est un stimulant de l'épargne mobilière, la faculté d'emprunter sur ses objets mobiliers est un encouragement presque égal; nous noterons, à ce sujet, une quatrième condition favorable à l'épargne, c'est qu'elle laisse un moyen de réalisation même après son emploi, c'est qu'on puisse en retrouver toujours la disponibilité au moins partiellement.

L'épargne, en effet, a deux caractères : elle satisfait d'une manière durable à un besoin immédiat, ou elle s'accumule dans un but de prévoyance. Si les deux caractères pouvaient se confondre, si la satisfaction réelle n'empêchait pas la ressource de prévoyance, il est certain que l'épargne avec emploi immédiat, et, par exemple, l'épargne mobilière, en serait considérablement activée.

C'est là le service que peut rendre le mont-de-piété, ce qui devrait être son service principal. Le mont de-piété rationnellement conçu doit être un auxiliaire de l'épargne; il doit protéger contre l'usure, sans prendre lui-même je ne sais quelles allures de banque bâtarde et usurière.

Les monts-de-piété doivent leur origine à l'Italie; ils ont été fondés par Barnabé de Terni, de l'ordre des frères mineurs (Mont de la Miséricorde, à Pérouse), par Bernardin de Feltre du même ordre, par Charles Borromée, etc. Le but vraiment charitable était de venir au secours du peuple en lui permettant d'échapper à l'exaction dévorante des Juifs de ce temps. L'artisan pouvait, dans les mauvais jours, tirer

parti de ses meubles, de ses vêtements, de ses instruments et objets de toute nature, dont il jouissait et profitait en temps. prospère. N'oublions pas qu'à cette époque, le travailleur n'avait pas d'autre emploi possible de son épargne qu'un emploi mobilier ou une thésaurisation improductive. L'épargne mobilière était infiniment préférable à la thésaurisation, et, lui offrir la facilité d'une réalisation temporaire, était un bienfait inappréciable en même temps qu'une idée économique de premier ordre.

Le principe, bien qu'il ne soit pas aussi profitable aujourd'hui qu'il l'était alors, n'en est pas moins encore fécond, et c'est à sa lumière qu'il faut envisager tout le fonctionnement de l'institution.

Dans cet ordre d'idées, les monts-dc-piété rentrent évidemment bien mieux dans le domaine de l'épargne que dans celui du crédit. Le crédit est réservé à ceux qui ont déjà un excédent et qui cherchent un surcroît de forces pour aller de l'avant: le mont-de-piété ne peut servir qu'à ceux qui se trouvent momentanément en déficit; ce n'est qu'une arme défensive.

Le mont-de-piété est fait pour parer à un besoin temporaire, imprévu, au moyen d'une ressource mobilière qu'on réalise partiellement à titre provisoire; il sert aussi quelquefois à réparer l'erreur qu'on a pu commettre en se meublant, en se parant trop vite, ou en s'outillant trop complètement. Mais ce prêt que l'on obtient n'est pas un remède par lui-même, il n'est qu'un expédient de courte durée: l'épargne subséquente peut seule rétablir la situation dans ses conditions normales, et, dans ce but, le mont-de-piété doit lui servir de stimulant et d'auxiliaire. A défaut d'épargne nouvelle, c'est la vente de l'objet déposé, en d'autres termes, le renoncement à une partie du luxe, de l'ameublement, de l'outillage, à laquelle on se trouve n'avoir plus droit socialement, qui remet les choses en l'état, et, cette liquidation, c'est encore le mont-de

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