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déterminé. Il achète ses matières ou les reçoit du grand entrepreneur ou patron à un prix convenu dont on le débite. ou qu'on lui fait payer en partie comme caution de son entreprise. Il apporte son outillage manuel, s'il n'est pas spécial à la fabrique, il loue comme les diamantistes hollandais sa part du matériel fixe, de la force motrice, de l'atelier, de l'éclairage, il décharge, en un mot, l'établissement du plus grand nombre des frais généraux qui peuvent être particularisés; et cette contribution, qui allège l'industriel, est à la fois pour le travailleur une garantie contre le chômage, car toute fabrique armée d'un gros matériel fixe doit s'ingénier à rendre sa produclion régulière et constante. Ainsi lié au succès de l'entreprise, il fournit la main-d'œuvre nécessaire et livre à l'industriel le produit élaboré, à un taux fixé d'avance en raison des prix courants du marché.

Le chef d'industrie a toujours sa raison d'être, il remplit sa haute fonction d'entrepreneur général, d'approvisionneur et de contrôleur des matières, de fournisseur du gros capital fixe, et de garant du débouché; mais simultanément, le travailleur cesse d'être un salarié, vivant au jour le le jour et sollicitant l'escompte, à chers deniers, du produit de son travail. Il est devenu industriel en sous-ordre, souspatron, co-gérant, co-propriétaire, lié par contrat à la direction générale, mais suffisamment libre et responsable dans sa sphère d'action, aussi vivement intéressé que le chef d'industrie au développement de la production, au perfectionnement des produits, à l'économie des frais et à la simplification technique des procédés.

Ce travailleur-là ne serait plus l'ennemi des machines, il en serait à la fois l'inventeur et le bénéficiaire.

M. le comte de Paris nous cite un fait curieux dans l'industrie anglaise de la fabrication du fer. Après avoir raconté l'introduction du système de l'échelle mobile des salaires variant avec le prix du fer et les quantités fabriquées, il ajoute :

<< Les perfectionnements récents de certaines machines sont venus troubler l'équilibre de cette échelle. On connaît ces énormes marteaux à vapeur, dont l'effet dépasse parfois vingt-cinq tonnes et ébranle à chaque coup tout le terrain environnant... Grâce à ces machines, qui ne demandent pas le concours d'un plus grand nombre d'ouvriers, ceux qu'on emploie peuvent, dans un même temps, marteler ou laminer une quantité de fer bien plus considérable qu'autrefois... Ainsi, il y a quelques années, grâce à un nouveau marteau introduit daus les Mersey Iron Works, deux ouvriers, qui ne travaillaient pas plus que leurs camarades, se trouvaient gagner, l'un 400 livres sterling (10,000 francs) et l'autre 450 livres (12,250 francs), quand le salaire ordinaire de ces ouvriers dépasse rarement 1,250 ou 1,500 francs par an. »>

On conçoit que ces ouvriers n'étaient pas tentés de briser, dans ce cas, la machine qui avait fait leur fortune en même temps que celle de leur patron. Le fait est anormal et quelque peu monstrueux; qu'est-ce qui empêche cependant de concevoir une participation régulière et raisonnable des ouvriers dans les bénéfices provenant des perfectionnements de l'outillage? Ce sont eux-mêmes alors qui les trouveraient les premiers, et qui reconnaîtraient bientôt que l'augmentation du salaire et l'émancipation de l'ouvrier marchent nécessairement du même pas que le développement des machines.

En un mot, la concentration de la production en grandes entreprises, mais la subdivision intérieure de ces grandes entreprises en branches, en spécialités et finalement en petites entreprises individuelles ou coopératives avec participation et responsabilité des travailleurs telle est l'organisation du travail que l'avenir nous réservera, je l'espère, et qui, dans l'ordre économique, me paraît aussi supérieure à l'organisation anonyme, avec participation générale et simulacre d'élection, que dans l'ordre politique la démocratie

républicaine et libérale est supérieure à la démocratie césarienne.

Nous sommes loin, dira-t-on, d'un tel régime. Il me faut bien le reconnaître, et je serais effrayé, pour ma part, qu'on voulût, dans n'importe quelle industrie, l'introduire de primesaut sans en avoir auparavant fait l'épreuve; mais ce n'en est pas moins le but vers lequel on doit tendre, et comme le critérium d'après lequel on peut juger toutes les conceptions, toutes les tentatives partielles concernant l'organisation du travail. Sont-elles de nature à transformer le travailleur en un petit entrepreneur faisant valoir sa propre épargne et fruc-· tifier son modeste héritage? Je m'y rallie avec empressement. Sont-elles d'ordre contraire, et doivent-elles, comme l'épargne à fonds perdu ou la simple participation dans les bénéfices, enfoncer encore plus le travailleur dans le régime étroit du salariat, c'est-à-dire augmenter la scission du travail et du capital? Je m'en écarte avec inquiétude.

Ce qui est certain, par exemple, c'est que nous sommes d'autant plus loin de ce système entrevu que le travailleur lui-même a moins de caractère personnel, d'esprit social et d'instruction. Donnons-lui donc la liberté de se relever, laissons-le s'associer, qu'il trouve moyen de s'instruire et d'épargner: c'est avec le savoir, le capital et le crédit qu'il méritera la confiance et qu'il trouvera la force.

CINQUIÈME PARTIE

L'IMPOT

CHAPITRE XXVI

LES IMPOTS SUR LE REVENU

Obstacles au progrès social. - L'énorme charge du budget. Les cinq systèmes financiers de la France. Applications pratiques de l'impôt sur le revenu les contributions directes et les taxes somptuaires. Inégalité et réforme de la contribution foncière.

Perfectionnement

des contributions personnelle et mobilière en tant qu'impôts sur le revenu général. — Qu'il est prudent de ne pas exagérer ces taxes directes.

Après les moyens de progrès, voyons maintenant les obstacles. Ils ne sont pas peu considérables; et les réclamations des partisans de l'avancement social, toutes respectueuses qu'elles se montrent des opportunités gouvernementales, arrivent à être presque aussi nombreuses et aussi vives que les revendications des socialistes révolutionnaires.

L'épargne, l'association, le crédit : voilà les grandes forces qui doivent fonder l'égalité sociale et communiquer la vie et la prospérité à l'ensemble du pays.

La loi pénale prohibe l'association, l'État accapare et inutilise l'épargne, le fisc impose et entrave le crédit; on dirait que, de toutes parts, on pousse à la méfiance des capitaux et au découragement de l'épargne. Politique absurde, vraiment

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