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plus à redouter, avec la petite production, ce qui est déjà redoutable avec la grande : c'est que le crédit, cessant d'être un échange, devint un prêt sans contre-partie, un prêt consommé improductivement, un prêt employé à boucher un trou. C'est le cas du papier dit « de circulation » où les co-signataires sont complices et attestent une opération commerciale qui n'existe pas, empruntant en quelque sorte sur une marchandise ou sur une valeur fictive et, pour ainsi dire, détournée d'avance.

Si les abus d'escompte sont à craindre avec la grande production et le grand commerce, qui sont relativement faciles à surveiller et dont l'honnêteté ou l'indélicatesse s'étalent au grand jour, à plus forte raison le sont-ils, n'est-ce pas, avec une petite production et un petit commerce qui échappent par leurs infimes proportions au contrôle du prêteur.

On comprend donc que la banque ait tout d'abord accordé au bourgeois ce qu'elle refusait à l'artisan. Tant que l'offre des capitaux était inférieure à la demande, on avait tout intérêt à choisir la meilleure clientèle. Mais la situation se modifie. En France, aujourd'hui, par exemple, c'est plutôt l'offre des capitaux qui surabonde et les emplois qui font défaut. De nombreuses banques de dépôts, ayant des agences ou correspondants répandus dans tout le pays, opè rent un puissant drainage des capitaux. Le Trésor, de son côte, en accumulant toutes les petites épargnes, arrive à détenir une somme colossale, bien supérieure à ses besoins courants, en sorte qu'il l'applique aux dépenses extraordinaires de l'État, en différant d'année en année l'émission des emprunts à long terme pour les travaux publics. Les travaux publics eux-mêmes se ralentissent, soit que la vaste entreprise des chemins de fer touche à sa fin, soit qu'on en ait malencontreusement détourné l'initiative industrielle. Les placements en fonds d'États étrangers ou en entreprises in

dustrielles étrangères n'offrent plus assez de sécurité, depuis les graves mécomptes qui se sont signalés ces dernières années. Il y a donc un certain embarras de placement. La rente monte toujours, le taux de l'escompte et des reports est ordinairement très bas, la rémunération des dépôts est insignifiante. Il s'agirait de trouver de nouveaux emplois financiers.

A cette situation, il n'y a vraiment qu'un remède. Il faut étendre la clientèle; il faut placer ses fonds ailleurs que dans les grandes entreprises. Il faut consentir à faire crédit, non plus seulement aux riches et aux bourgeois, mais encore aux artisans, aux petits producteurs, aux ouvriers qui se mettent à la tâche. Le champ est immense, il peut donner de riches récoltes.

La chose, d'ailleurs, n'est pas nouvelle et l'exemple le plus décisif nous est déjà donné en cette matière, depuis cent cinquante ou deux cents ans, par un petit pays, aujourd'hui le plus florissant du monde, l'Écosse.

L'Écosse a résolu le problème du crédit populaire depuis tantôt deux siècles, et nous, depuis si longtemps, au lieu de l'imiter, nous nous agitons dans de malsaines utopies.

Qu'a fait pourtant l'Ecosse pour étendre à la petite production le crédit qu'on accorde si facilement à la grande ? Nous avons reconnu tout à l'heure la difficulté que pourrait présenter une telle extension du crédit à de petites gens sans fortune, sans notoriété, et dont les opérations sont souvent trop minimes pour être facilement contrôlées.

L'Écosse y a pourvu au moyen de deux règles, indispensables et suffisantes.

Premièrement, on n'y fait crédit qu'aux gens d'épargne. Les banquiers de ce pays ne prêtent qu'à leurs propres déposants, ou à leurs actionnaires d'ancienne date.

Deuxièmement, on y a compris que, dans toute opération

de crédit ou de commerce, il y a toujours une valeur en élaboration ou en circulation qui est le véritable gage du prêt. On a donc fait des prêts pour toutes les opérations productives quelle qu'en soit la nature, commerce, industrie ou culture, et quelle qu'en soit l'importance. Seulement, en cas d'opérations complexes ou minimes et d'un contrôle direct impossible, on a exigé la garantie de deux ou plusieurs répondants. Ces répondants ne courent, en définitive, aucun risque, si l'opération qui motive le crédit est réelle, si la déclaration du débiteur est sincère; ils ne sont donc, en réalité, garants que de la loyauté, de la probité, du bon sens de l'emprunteur. Et cela suffit amplement à la banque qui sait déjà que son client est un homme qui a des habitudes d'épargne et de régularité.

Cette organisation est merveilleusement simple et féconde. Elle mérite qu'on s'y arrête, pour l'observer avec quelque détail. Il n'y a pas là un unique intérêt de curiosité, il y a un précieux enseignement à recueillir. Nous allons voir le crédit populaire, non plus pratiqué comme en Allemagne par de petites mutualités populaires, qui réunissent péniblement de pauvres épargnes, mais exercé par de grandes banques, possédant des centaines de millions fournis par la nation tout entière.

CHAPITRE XXII

L'EXEMPLE DES BANQUES D'ÉCOSSE.

La transformation de l'Écosse par ses banques.

Leur fonctionnement

succursales, dépôts, capital, rapports avec le public, crédits par caisse. D'une organisation du crédit combinant l'action des banques d'Allemagne avec celle des banques d'Écosse.

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«En 1695, dit M. Viganò, on avait fondé à Edimbourg une banque publique, sur le modèle de celle de Londres, créée l'année précédente. Cette banque fut soupçonnée d'avoir aidé le prétendant; et le parti anglais, soutenu par le parlement, enleva à la banque son monopole... » Si les choses. se passèrent réellement ainsi, ce fut un heureux concours de circonstances qui permit à l'Écosse d'échapper au funeste régime du privilège.

La liberté permit de créer un certain nombre de sociétés de crédit, avec une foule de succursales; et une responsabilité énergique maintint les directeurs dans une ligne de conduite à la fois prudente et courageuse. Sous ce régime, l'épargne fut provoquée de toutes les manières, le numéraire fut économisé par l'emploi des billets de banque, l'habitude générale des dépôts permit les virements de comptes et les compensations. Le capital s'augmenta ainsi doublement, et par l'épargne des déposants, et par la simplification du mécanisme de la circulation; les banques purent disposer de ressources considérables. Il leur fallut chercher à multiplier les affaires et elles imaginèrent alors, comme nous l'avons

dit, de prêter sur crédit personnel, moyennant la caution de deux répondants, aux petits commerçants et manufacturiers, aux artisans honnêtes et industrieux, aux fermiers cultivateurs.

L'épargne de tous, au lieu d'aller s'immobiliser comme chez nous dans les caisses de l'État, servit à féconder le travail des producteurs; on rendit au pays, d'une manière incessante, sous forme de semence nouvelle, tout l'excédent de ses revenus. Le résultat fut prodigieux.

« L'Écosse, écrivait il y a quelques années M. Léonce de Lavergne, est un des plus grands exemples qui existent au monde de la puissance de l'homme sur la nature... La Suisse elle-même n'offrait pas d'aussi grands obstacles à l'industrie humaine. »>

En effet, sur les 7 1/2 à 8 millions d'hectares qui composent son territoire, les trois quarts sont incultivables; le reste ne vaut ni le sol de l'Angleterre, ni celui de l'Irlande. Eh bien, ce pays disgracié de la nature sert aujourd'hui de modèle à l'Angleterre elle-même.

Au dix-huitième siècle, c'était encore un désert humide et malsain, sans population, sans industrie, sans culture. De tristes pâturages, avec quelques chaumières entourées de maigres champs; un petit nombre de privilégiés, maîtres de tout, ce qui n'était guère; pas de classes moyennes, pas d'argent, pas de routes, pas même de cabotage le long des côtes arides: voilà le tableau qu'en font les auteurs qui ont remonté dans son histoire.

Aujourd'hui, quelle transfiguration! Malgré la pauvreté du sol, malgré les obstacles d'un régime de très grande propriété, la production a plus que décuplé en un siècle; une population de fermiers capables, protégés par des baux de dix-neuf ans, pratique la moyenne culture sur des fermes de 50 à 75 hectares; la race entière, loin de se porter en foule sur le travail exclusif de la terre, s'est diver

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