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sants besoins du peuple. On ne peut pas dire qu'il y ait absolument contradiction entre les deux tendances, puisqu'on peut à la fois améliorer le taux de son salaire et perfectionner l'utilisation de son salaire, mais enfin, la diversité des moyens mis en œuvre aboutissait fatalement à quelque antagonisme. La trade-union groupe les travailleurs par profession, elle les unit plus étroitement en les détachant en quelque sorte du reste de la population; elle les forme en phalange de combat pour tirer du salariat tout ce qu'il est possible d'en tirer, mais elle les maintient dans le salariat. La coopération, au contraire, groupe les travailleurs d'une localité, quelles que soient leurs professions diverses, dans un intérêt commun de consommation à bon marché, d'épargne, de secours mutuel, et plus tard de débouché pour leur production, elle réunit donc ce que la spécialité professionnelle tendait à diviser. De plus, par l'épargne et la capitalisation, elle tend à faire sortir les travailleurs du salariat, à leur permettre de s'établir, d'entreprendre pour leur compte, de devenir propriétaires et patrons à leur tour.

Il est clair que la coopération est essentiellement pacifique et qu'elle soutire le fluide révolutionnaire là où la tradeunion pourrait parfois l'accumuler. Tout ouvrier coopérateur doit être moins redoutable unioniste.

Or, en ce moment, il semble que le rapprochement s'opère.

Par suite du progrès de la coopération en Angleterre, un grand nombre de membres des trade-unions sont devenus membres de sociétés coopératives; dès lors, il était évident que le terrain de l'alliance était tout formé et que le vieil antagonisme allait disparaître.

Déjà, au congrès des coopérateurs, en mars 1880, à Newcastle, le comité des trade-unions était représenté. A son tour, au congrès des unionistes anglais, tenu à Dublin du 13 au 18 septembre 1880 et où, nous l'avons vu, 122 délégués

représentaient 107 sociétés composées d'environ 500,000 membres, le central coopérative board s'est fait aussi représenter et a réussi à obtenir, malgré quelque opposition, une déclaration favorable à la coopération.

C'est là, si l'on ne se trompe, un événement dans l'histoire ouvrière qui sera gros d'heureuses conséquences. Il amènera, il faut l'espérer, la simplification des unions de métier, la concentration de leurs efforts sur la protection du travail et la fructueuse entente avec les patrons.

Le libre développement des sociétés de secours mutuel de consommation et de crédit aura ainsi été le frein naturel des coalitions illégales et des monopoles ouvriers, car tout agent provocateur de l'épargne est un agent dissuadeur du chômage, et la coopération est l'adversaire de la grève.

C'est pourquoi les unions ouvrières, fortifiées en un sens par la coopération, mais dégagées d'une partie de leurs attributions complexes, déchargées du maniement des fonds trop considérables qu'elles étaient parfois tentées de détourner de leur objet spécial pour les employer dans la lutte, deviendront de plus en plus ce qu'à mon avis elles devraient être des syndicats professionnels ayant pour mission de représenter le travail et de le protéger, mais aussi de le garantir en le cautionnant au besoin.

CHAPITRE XX

LES SYNDICATS PROFESSIONNELS ET LEURS TROIS FONCTIONS

PRINCIPALES

Placement et garantie du travail; défense des droits reconnus; initiative des progrès à réaliser. Nécessité d'une association et d'un budget. · La loi de 1791, les modifications successives du code pénal, la déclaration impériale de 1868, la tolérance républicaine. Linéaments d'une législation nouvelle : la Société civile à capital variable et à responsabilité limitée.

Débarrassée de ses scories, dégagée de toutes les visées nuisibles, purifiée, simplifiée, l'association professionnelle se propose comme but unique la protection du travail; elle y parvient de trois manières.

Premièrement, elle contribue à établir une discipline entre les travailleurs et à maintenir par là l'honorabilité de la corporation; elle délivre à ses membres, sans aucune ingérence policière, un titre personnel qui a la valeur d'un certificat. L'honneur corporatif, dont l'association a le souci, est la meilleure sauvegarde du travail, et si les charpentiers, par exemple, sont notés, parmi nos ouvriers, comme les plus capables et les plus réguliers, s'ils jouissent de la meilleure réputation, c'est à leur ancienne organisation. corporative qu'il faut principalement l'attribuer. L'association peut fournir aux chefs d'entreprises les ouvriers dont ils ont besoin; en se substituant ainsi aux bureaux de pla

cement, elle supprime les indignes abus dont les ouvriers sont victimes quand ils restent livrés à des intermédiaires de bas étage; et, ce qui n'est pas moins important, elle peut en permanence contrôler les conditions du travail et défendre le taux des salaires. Dans les associations anglaises, quand un membre change de loge, la lòge qu'il quitte lui délivre, en guise de certificat, une carte de telle ou telle couleur. La carte rouge indique qu'il a été renvoyé par son patron pour cause d'ivrognerie ou de mauvaise conduite; une carte bleue distingue les membres admis depuis moins d'un an; la carte noire est la meilleure. Il est clair que, dans cette bourse du travail, les syndicats pourraient facilement faire valoir leur marchandise et, en procurant des travailleurs sûrs et habiles, en garantissant aux patrons l'accomplissement des tâches ou des forfaits qu'ils ont eux-mêmes souscrits, stipuler, par contre, au profit des ouvriers, tels avantages temporaires ou définitifs qui pourraient être opportunément réclamés. Dussent d'abord ces avantages constituer quelque inégalité au profit de l'élite de la corporation, il n'en résulterait pas moins une influence favorable sur tout le reste des travailleurs et un encouragement puissant au talent professionnel et à la bonne conduite1.

(1) Depuis que ces lignes sont écrites, le nouveau préfet de la Seine, M. Charles Floquet, a constitué, en janvier 1882, une commission dans le but 1° De rechercher le moyen de faciliter aux associations ouvrières leur admission aux adjudications et soumissions de travaux publics du département de la Seine et de la Ville de Paris; 2o d'étudier dans quelles conditions il serait possible d'imposer aux entrepreneurs des travaux de la Ville et du département la participation des ouvriers dans les bénéfices réalisés par leurs entreprises; 3° d'examiner les conditions de l'établissement d'une Bourse des ouvriers ayant pour objet : de fournir aux ouvriers des divers corps d'état des salles convenablement disposées, chauffées et éclairées pour l'embauchage; de dresser hebdomadairement une cote officielle des prix de la main-d'œuvre, tant à Paris que dans les autres villes importantes; d'établir hebdomadairement une situation des travaux dans

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En second lieu, l'association a pour mission de défendre les droits acquis de la corporation, et de fournir à tous ses membres l'assistance morale ou judiciaire dont ils ont besoin pour les faire valoir. Les bons patrons, les chefs d'industrie éclairés ne sont pas rares heureusement dans notre pays, mais il ne faut pas nier non plus que des abus soient commis tous les jours par des patrons exploiteurs. Il y a des lois protectrices du travailleur, des précautions à prendre contre les accidents ou contre les périls des professions dangereuses ou insalubres, il y a des prescriptions pour l'hygiène des ateliers; la loi, enfin, est la même pour tous et condamne aussi bien les coalitions déloyales de patrons que les coalitions d'ouvriers, et les abus des monopoles industriels. Pour profiter de tous ces avantages conférés par la loi, l'ouvrier isolé est impuissant. La procédure ju

les principales villes, en vue d'indiquer les localités dans lesquelles les ouvriers de chaque corps d'état seraient nécessaires pour satisfaire aux demandes.

Le Temps du 12 avril nous apprend que la commission, composée de MM. Tolain, Nadaud, Amouroux, Cernesson, Desmoulins, Yves Guyot, Villard et Watel, ainsi que des principaux fonctionnaires de la Ville, s'était arrêtée au projet de construire aux frais de la Ville de Paris, un vaste édifice, dans le voisinage de l'Hôtel-de-Ville, devant servir de Bourse des travailleurs et de lieu de réunion pour cinq sections de l'industrie parisienne et 80 chambres syndicales y ressortissant: 1re section, bâtiment, ameublement, bronzes d'art, combustibles; 2o section, mécanique, machines, chaudronnerie, matériel des transports et de navigation; 3o section, tissus, cuirs, peaux et caoutchoucs, habillement, robes et confections; 4o section, arts chimiques, céramique, verrerie et cristallerie, orfèvrerie, coutellerie, alimentation, ustensiles de pêche; 5° section, imprimerie, papier, instruments d'hygiène, de médecine, de chirurgie, de mécanique, de précision, musique, télégraphie, horlogerie, armes. L'administration de la Bourse serait confiée à une commission composée des présidents et vice-présidents du conseil des prud'hommes et à un nombre égal de conseillers municipaux nommés par le Conseil. Le devis de l'édifice

s'élève à 12 millions.

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La simple liberté des chambres syndicales coûterait peut-être moins cher sans être moins efficace.

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