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Grâce à ces deux ressorts, la coopération peut aussi s'étendre au logement et à la propriété.

M. Audiganne proposait que les sociétés de secours mutuels qui, aux termes de l'article 8 du décret du 26 mars 1852, « peuvent prendre des immeubles à bail », se servissent de ce droit pour se faire locataires principaux de maisons ou de parties de maisons, afin de les sous-louer aux ouvriers. « Le propriétaire, disait-il, n'ayant affaire qu'à un seul débiteur, le prix des logements baisserait inévitablement; on ne serait pas obligé de couvrir les chances de pertes par le taux élevé des locations. Pour faciliter à chaque locataire le paiement de son terme, on pourrait en recueillir le montant par fractions mensuelles, tout comme la cotisation ordinaire. » (1). Dans ce même ordre d'idées, comme exemple du fractionnement des termes de loyer, on peut signaler ici une œuvre intéressante qui fonctionne à Paris depuis 1870 au profit de la classe indigente du Ve arrondissement (Panthéon). C'est << l'œuvre des loyers » dont le siège est rue Boutebrie et qui a pour objet de stimuler la prévoyance des pauvres gens en les engageant au paiement d'acomptes aussi fractionnés qu'ils veulent sur leurs loyers à échoir. A chaque versement qu'elle reçoit, la Société ajoute une majoration de 20 pour 100; c'est la prime qu'elle accorde à l'économie du travailleur. Voilà, dira-t-on, une œuvre de charité. Sans doute, mais, il est à croire qu'une coopération du loyer ne procurerait pas à ses membres un moindre bénéfice que ces 20 pour 100 donnés par une société de bienfaisance.

L'idée de M. Audiganne était donc juste: elle n'est réalisable que par la coopération, car il semblerait tout à fait contraire à l'esprit de la loi que les sociétés de secours mutuels pussent prendre à bail d'autres locaux que ceux qui leur sont nécessaires pour leur propre fonctionnement.

(1) Les populations ouvrières et les industries de la France, 2 Édition, tome II, p. 325.

Après la réduction du loyer viendra enfin l'économie totale du loyer, quand on pourra procurer au locataire la propriété de sa maison ou de son logement; cela encore peut être l'œuvre de la coopération, comme nous l'avons vu à Rochdale et à Roubaix et comme aussi on peut l'imaginer par des procédés analogues à ceux dont nous avons parlé à propos de l'épargne immobilière.

En un mot, pour clore ce chapitre de la coopération de consommation, il n'est presque pas d'œuvre de patronage et de bienfaisance que la coopération ne puisse s'approprier et transformer en libre entreprise, sans aucun des inconvénients du patronage et de l'aumône.

CHAPITRE XVI

LA MUTUALITÉ DE CRÉDIT EN ALLEMAGNE

M. Schulze-Delitzsch.

Les sociétés d'achat de matières premières. Comment on pense les transformer en manufactures coopératives. — Les sociétés d'avances ou banques populaires libres et les banques officielles ou philanthropiques. · Fonctionnement des sociétés d'avances.

Peu d'années après l'initiative des coopérateurs anglais, un mouvement peut-être encore plus fécond commence en Allemagne avec l'admirable propagande de M. Schulze-Delitzsch.

M. Schulze, disait M. Nefftzer, représente la plus grande influence en Allemagne après M. de Bismarck. L'illustre réformateur est né en 1808 d'une famille de magistrats à Delitzsch petite ville de la Saxe prussienne, dont il a ajouté le nom à son nom patronymique. D'abord juge assesseur à la cour de Naumburg, puis à la chambre de justice de Berlin, il devint administrateur du conseil de justice de sa ville natale. En 1848, Delitzsch le nomma son représentant à l'assemblée nationale de Berlin. Poursuivi en 1849, comme prévenu du crime de haute trahison pour avoir refusé de voter l'impôt, il est acquitté, mais bientôt relégué dans un poste judiciaire inféférieur à Wreschen (duché de Posen) sur les frontières de la Russie. Il donne bientôt après sa démission et revient définitivement à Delitzsch en 1851, où il organise son admirable campagne économique.

Durant sa première magistrature, il avait déjà fondé à Delitzsch, ainsi qu'à Eulenburg, deux sociétés pour l'achat des

matières premières. C'est là le point de départ du grand mouvement mutuelliste de l'Allemagne, qui avait probablement des racines dans les coutumes populaires, mais qui serait resté latent sans l'énergie de M. Schulze.

M. Schulze sut observer par lui-même et démontrer aux artisans, tailleurs, cordonniers, chaudronniers, menuisiers, chapeliers, relieurs, etc., à quel point ils sont sous la domination et sous l'exploitation, même involontaire, des fabricants de matières premières.

Les cordonniers, les gantiers, les relieurs, paient les cuirs et les peaux 40 à 50 pour 100, les menuisiers et les ébénistes paient leur bois 20 à 40 pour 100 au-dessus des prix du gros.

Cette majoration est nécessaire au vendeur, qui court le risque de n'être pas payé de sa marchandise en la livrant ainsi à de petits artisans isolés, dont la solvabilité est dou

teuse.

Mais, en prélevant une prime d'assurance si énorme sur les petits travailleurs, le fournisseur abuse aussi de sa position et réduit les malheureux artisans au travail infructueux, à la production à bas prix et à mauvaise qualité, qui leur aliène de plus en plus la clientèle sérieuse, les relègue de plus en plus dans les bas fonds industriels, et, en leur fermant tout moyen de délivrance, les laisse à tout instant sur les confins de la misère.

Or, tout le vice de cette situation tenait à l'isolement des artisans qui les laissait sans force vis-à-vis des fabricants. Moitié par expérience, moitié par prévision, M. Schulze se dit qu'en associant les artisans, en les faisant solidaires les uns des autres, on les rendrait capables d'emprunter collectivement de l'argent à des tiers et on les mettrait, dès lors, en mesure d'acheter en gros, au prix du gros, les matières premières dont ils ont besoin pour leur travail, soit au comptant sur l'argent emprunté, soit à crédit sur leur garantie collective.

C'était, en définitive, appliquer la coopération à l'approvisionnement des matières premières et cette simple combinaison devait à la fois rendre aux artisans leur bénéfice normal, leur assurer de bonnes fournitures, relever par conséquent la qualité de leur production et les mettre en état de donner satisfaction plus complète aux consommateurs. En outre, en chargeant l'un d'entre eux du soin des approvisionnements, ils devenaient libres, moyennant un léger sacrifice de 6 à 8 pour 100, de s'appliquer exclusivement à leur travail.

Le résultat fut encore meilleur qu'on ne l'avait prévu. Non seulement les capitaux d'emprunt furent trouvés sans difficulté, mais les fabricants de premier ordre accordèrent immédiatement du crédit, offrant d'expédier des marchandises en quantités supérieures à ce qu'on pouvait supposer. Il n'y a point, sur le fonctionnement des sociétés d'approvisionnement, des détails aussi précis que sur les coopératives anglaises, parce qu'elles sont confondues dans la statistique générale des sociétés de consommation allemandes, mais on peut s'en rendre compte aisément d'après les indications suivantes.

Les sociétaires ne sont astreints à aucun versement mensuel, à aucune cotisation, ils paient seulement un modique droit d'entrée de un ou deux thalers (3 fr. 75 c. à 7 fr. 50 c.) qui s'accroît de tous les dividendes revenant au sociétaire. C'est là le principal ressort de l'association. On comprend, en effet, que les sociétés d'approvisionnement n'ayant pour objet que d'assurer le bon marché et la bonne qualité des matières, n'ont pas besoin de les revendre aux sociétaires beaucoup au-dessus du prix coûtant, elles ne font donc de bénéfice que dans la mesure nécessaire : 1° pour couvrir les intérêts d'emprunt et les frais d'administration, 2e pour former une réserve permettant de parer aux éventualités défavorables et d'accroître progressivement le crédit de l'association. Cette

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