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Mercure jusqu'à la comète la plus éloignée comme ne faisant qu'un seul système de corps célestes. Comparant donc l'orbite de la comète la moins excentrique, c'est-à-dire, la plus voisine de Saturne, avec l'orbite de cette planète la plus éloignée que l'on connût alors, il trouva une variation et une distance trop grande, un saut trop disproportionné entre ces deux astres, et ne voulut pas croire à une lacune pareille dans la nature. Il posa en fait qu'entre Saturne et la plus proche des comètes, il y avait un, deux, trois, ou plus d'autres corps célestes, dont l'excentricité croissant toujours graduellement, il devait enfin s'en trouver un dont la marche tiendrait également de celle des planètes et de celle des comètes *). Il avait donc non-seulement prédit Uranus, mais son idée est encore plus vaste; et l'on peut juger qui de Herschel, de Kant ou du roi Georges, méritait le mieux de donner son nom au nouvel astre. Personne " après la découverte, n'a été plus frappé de la prédiction que Herschel même. Il a rendu,

*) Voyez les pages 17 et suiv. de l'original, édition de 1797.

hommage au génie dont la vue avait été plus perçante que des télescopes, et il en a publié son admiration dans plusieurs de ses écrits.

Soemering, habile physiologiste, écrit un essai sur l'organe immédiat de l'ame pensante, et il envoie son livre à Kant. La réponse de Kant est une dissertation, où il expose une hypothèse très - ingénieuse sur une opération chimico-vitale, qui doit avoir lieu continuellement dans la sérosité que renferment les cavités qui se trouvent dans les ventricules du cerveau. Soemering a fait imprimer cette lettre à la tête de la seconde édition de son livre, et elle n'en est pas la partie la moins curieuse.

Il a répondu de même par une dissertation physiologique au docteur Hufeland, premier médecin du roi de Prusse, qui lui, avait envoyé son Art de prolonger la vie humaine, en exprimant le voeu, que ce livre pût aider à prolonger la vie du grand homme.

Il a écrit un traité des volcans de la lune: un autre de l'influence de cet astre sur la température de notre atmosphère; sur la théorie des vents; une histoire naturelle du tremble

ment de terre de 1755; des différentes races d'hommes; sur l'origine la plus probable de l'histoire, etc.... et tout ce qu'il a écrit est marqué au sceau du savoir, de l'originalité, d'une tranquille et profonde réflexion. Ce qui le distingue sur-tout, c'est qu'il n'a jamais rien écrit que de grave, rien qui ne tende uniquement à l'avantage de la science, ou d'une moralité sévère. Jamais l'auteur ne se laisse entrevoir, jamais rien d'individuel ne perce dans ses écrits. L'intérêt pur de la science pour la science elle-même, de l'humanité pour l'humanité, est l'esprit vivant de ses ouvrages. Ce caractère est, en général, assez commun aux bons écrivains de l'Allemagne. Kant l'a reçu d'abord, et l'a renforcé ensuite dans les autres par son puissant exemple. Delà une bonhommie dans la pensée, et une naïveté dans l'expression, qui rend les meilleurs écrits allemans si ressemblans à ceux des anciens Grecs.

En 1771, l'Académie de Berlin, dans laquelle règne toujours un peu de ce vieil ésprit français des mignons du grand Fréderic, pro

posa, pour sujet du prix, de déterminer les caractères de l'évidence dans les sciences métaphysiques. Le mémoire couronné se trouva être du fameux Moyse Mendelssohn. Kant avait concouru aussi. Son mémoire a été imprimé. Le public philosophe lui a dès longtems décerné le prix. L'Académie ne l'avait pas entendu, et même aujourd'hui il est peu de membres de ce corps en état de le comprendre *).

Parmi les écrits philosophiques de Kant, il faut distinguer soigneusement ce qu'il a écrit avant une certaine époque, où il n'en était pas encore venu à sa nouvelle théorie, et ceux qu'il a publiés depuis lors. On en trouve les premiers indices dans sa dissertation inaugurale, comme professeur à l'université de Koenigsberg, en 1770). Mais c'est en 1781 que parut le

*) Ainsi que le témoigne le programme vraiment scandaleux, qu'a publié cette Académie en 1799, pour servir de commentaire à la question proposée pour le prix, par la classe de philosophie spéculative. Il en serait autrement si elle avait un plus grand nombre de membres tels que M. Engel.

*) Cette dissertation latine est intitulée: De mundi sensibilis atque intelligibilis formá et principiis. Il a donné long-tems

livre à jamais mémorable, CRITIQUE DE LA RAISON PURE. Kant y enseignait une doctrine nouvelle, et ruinait toutes les métaphysiques qui l'avaient précédé, non pas en les attaquant directement, mais en analysant à fond, et dévoilant la nature de l'entendement et de la raison où se forment tous les systèmes. Ce livre renfermait la plus désolante et la plus irréfragable définition du savoir, chose que tant de savans ignorent. On eut pu lui appliquer ces deux vers du vieux poëte Hébert, dans son roman des Sept sages:

» Et vérité est la massue

» Qui tot le monde occit et tue.”

Ce livre, qui devait faire un si grand éclat,

On a

auparavant, en 1764, des Considérations sur le sentiment du beau et du sublime, qu'on a traduit, je ne sais pourquoi, en français. Kant n'était pas alors ce qu'il est devenu par la suite. fait d'ailleurs parmi ses œuvres, un choix singulier de quelques morceaux pour les traduire dans notre langue. Comment peuventils donner à un Français la plus légère idée du réformateur de la philosophie ? C'est comme si à un étranger, curieux de connaître notre Montesquieu, on allait expliquer dans sa langue un chant du Temple de Guide, l'Essai sur le goût, et deux ou trois Lettres persanes. Il est évident que c'est l'Esprit des lois qu'il faudrait interpréter à cet étranger.

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