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en prenant de chacune des autres ce quelle avait de vrai; mais l'agrégat irrégulier de tant de principes étrangers ne produisit jamais qu'un recueil de sentences fragmentaire et décousu; les sceptiques se bornaient à opposer les unes aux autres les diverses opinions, à comparer et à démontrer sur-tout l'abus d'attribuer aux choses réelles ce qui ne pouvait valoir que des représentations de l'entendement, de conclure de ce qui était prouvé logiquement à une existence métaphysique et effective. Mais ces hommes sages, qui avaient jeté un regard savant sur la nature de la cognition humaine, en restèrent là; et convaincus par tant d'essais qu'il n'en pouvait résulter rien d'absolument certain, ils bornèrent là leur recherche, et s'arrêtèrent dans le doute *).

Le doute! situation accablante et insupportable pour l'homme; état de mort et de néant

au

*) Parlerai-je de ces petits philosophes à la mode qui, sur la foi des vrais sceptiques, se parent des livrées du doute philosophique, et se pavanent, avant tout examen, dans sa commode nonchalance? On les voit sourire d'un souris de compassion, seul nom de la métaphysique, qu'ils ne comprennent pas. Il est arrêté à leur tribunal, que ces recherches sont pure pédanterie, idées abstruses, égaremens de l'esprit. Ils se sont fait ainsi, contre la spéculation, un certain jargon d'anathème qui n'a eu que trop de vogue, et qui en impose par l'air capable avec lequel ils

s'en servent.

pour sa pensée active, avide de vérité *)! Pourquoi ne pas aller plus loin, et ne pas suivre une voie ouverte par le génie, lequel n'était devenu sceptique que parce qu'il s'était arrêté trop tôt, qu'il avait trop tôt pris un parti tranchant? N'y avait-il donc plus rien à découvrir dans cet entendement, dans toute cette cognition de l'homme, où ont leurs racines tant d'opinions contradictoires? D'où provient la variété de ces opinions? D'où leur naissance spontanée ? D'où cette tendance, commune à toutes, vers les mêmes points, malgré la diversité des voies? Comment tant de plantes différentes peuvent-elles croître et prospérer sur le même sol? Il est évident que pour l'apprendre, il fallait fouir et creuser dans ce sol, le percer et le sonder dans tous les sens. C'est là le travail que s'est imposé la nouvelle philosophie. Après avoir marché avec le sceptique jusqu'aux bornes où il s'arrète, le courageux critique qui ne reconnaît pas encore

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*) » Cet état, dit Jean-Jacques, est peu fait pour durer, il est inquiétant et pénible; il n'y a que l'intérêt du vice ou la » paresse de l'ame qui nous y laisse..... Le doute sur les choses » qu'il nous importe de connaître, est un état trop violent pour » l'esprit humain; il n'y résiste pas long-tems, il se décide » malgré lui de manière ou d'autre, et il aime mieux se » tromper que de ne rien croire.» Émile.

là ses colonnes, dit à celui qui a été jusqu'alors son compagnon, peut-être son guide: » Restes, si tu le veux, assis sur la pierre du doute où tu crois te reposer; je veux voir au moins sur quoi elle s'appuie, jusqu'où ton doute est fondé. Je veux m'enfoncer jusqu'aux racines des connaissances humaines, assister aux mystères de leur formation, et découvrir, autant que je le pourrai, de quels élémens elles se composent *).»

Depuis bien des

Quittons la métaphore. siècles le dogmatisme avait prétendu montrer une métaphysique existante, et puisqu'en effet, il y avait des systèmes complets de cette science, la question de fait paraissoit décidée

*) Locke, après lui Condillac et quelques autres, ont aussi eu le même projet d'examiner l'origine des connaissances humaines. Mais en déclarant qu'elles avaient toutes leur origine dans la sensation, ils ont déclaré que le tronc était l'origine de l'arbre, et ils sont restés à la superficie du sol. Ils ont analysé, disséqué en mille manières, et très-ingénieusement, les fruits, les fleurs, les feuilles; mais les racines leur ont toujours échappé. Pour les rencontrer, il fallait creuser le puits et miner; mais à cette profondeur il ne fait pas clair pour tous les yeux; il faut un peu s'être accoutumé à la lampe du mineur. On a de la répugnance à suivre ces recherches obscures. Ceux qui démontrent les fruits et les fleurs, qui ont des choses jolies, évidentes et palpables à dire, qui s'écrient: Voici tout ce que l'homme sait, tout ce qu'il peut savoir; nous opérons au grand jour de l'expérience. . ... Ceux-là, sans doute, doivent avoir gain de cause devant la multitude.

affirmativement; tandis que d'un autre côté le scepticisme y répondait négativement, en exposant la vanité des systèmes. Kant est venu, et il a le premier élevé, discuté surtout dans le véritable esprit critique la question de droit: Peut-il y avoir une métaphysique? et s'il y en en a une, comment et jusqu'où estelle possible? Voilà, dans son expression la plus générale, le problème spéculatif de la critique. Ses partisans disent que la solution qu'elle en a donné renferme la seule métaphysique, ou si l'on veut, la seule ontologie possible. Pour savoir s'ils disent vrai, il faut d'abord convenir de ce qu'on est en droit d'attendre et d'exiger d'une métaphysique avant qu'elle soit fondée elle même à se produire comme science.

La métaphysique s'annonce principalement comme la science de trois objets qui ne peuvent être chacun que l'objet immédiat d'une pensée, jamais celui d'une perception sensible: Dieu, le monde, l'ame.

Elle promet de décider si Dieu existe, ou n'existe pas; s'il est infini, s'il est le créateur, ou seulement l'architecte du monde; s'il est de mème nature que le monde visible, ou d'une nature différente, etc.

Elle promet de décider si le monde est éternel, ou s'il a eu un principe, s'il aura une fin; s'il a des bornes, ou s'il est infini; si le mouvement lui est propre, ou s'il lui est donné; s'il y a du plein et du vide, ou seulement du plein, etc....

Elle promet enfin de décider si l'ame de l'homme est matérielle ou spirituelle, mortelle ou immortelle, substance ou accident, libre ou soumise à la nécessité, au fatalisme, etc....

Le premier préliminaire, indispensable pour la métaphysique, est donc de démontrer comment et jusqu'à quel point la réalité se trouve dans les objets des perceptions sensibles; comment l'entendement peut prétendre à la connaissance de choses qui s'élèvent au-dessus de toute perception sensible; de déterminer si l'entendement prend connaissance des choses en elles-mêmes, ou seulement de ses propres pensées ou représentations; quel rapport, quel lien il peut exister entre les pensées de l'entendement et les objets qu'elles doivent représenter, et d'où vient que nous tenons celles-là pour adéquates à ceux-ci; comment nos pensées peuvent nous faire connaître autre chose que nos pensées; comment nous pouvons croire que nous connaissons, quand nous n'avons fait que penser; qui nous porte à établir, en certain

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