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fourmillent; il n'y a là rien à apprendre, pas une idée saine à acquérir. Un penseur exact et profond, aux travaux duquel la philosophie est redevable de beaucoup d'ordre et de précision, M. le professeur Reinhold, a dit: » La » philosophie (dans le sens le plus restreint) » est la science de la liaison déterminée des » choses, indépendamment de l'expérience.»> On sentira mieux dans la suite combien cette définition est convenable et approchante du but. L'idée aussi bien que la définition particulière des diverses parties de la science peut s'en déduire avec facilité.

Kant, sans prétendre donner une définition rigoureuse de la philosophie, en a considéré l'idée sous deux points de vue, ce qu'elle doit être pour l'école, et ce qu'elle doit être pour le monde. Il a rassuré ainsi ceux qui craignaient de voir la philosophie reléguée dans les chaires, et bannie du cours ordinaire de la vie. Pour l'école, la philosophie reste science, sans autre but que le savoir, sans autre occupation que de réduire la science en un tout systématique, lié, posé sur des principes fondamentaux. Pour le monde, elle devient sagesse, dénomination qui se distingue alors de celle de science, ne désignant plus celle-ci comme n'ayant d'autre but le savoir, mais comme devant tendre à la

que

pratique, comme devant être une téléologie de la raison humaine.

On se tromperait, si l'on croyait que l'on ne peut philosopher, et pousser à leur dernier période certaines connaissances philosophiques, à moins que d'avoir au préalable une définition fixe et non contestée de la philosophie. La jurisprudence cherche encore une telle définition pour le droit, la morale pour le bon, et les arts pour le beau. Dira-t-on qu'il n'y a encore eu ni droit, ni juste, ni injuste, ni beau sur la terre, parce qu'on n'a encore bien pu convenir d'une phrase précise qui en exprimât discursivement l'idée. On a parlé et écrit très à fond de ces choses sans définition, et il peut en être ainsi de la philosophie.

Bien des mots représentent confusément une idée, laquelle a dix nuances diverses, qui exigeraient dix mots différens. Peu de savans seraient d'accord entr'eux, par exemple, s'il falloit définir avec justesse ce que c'est qu'une définition. Chacun en exigerait quelque caractère nouveau, et lui prêterait d'autres attributs. La définition d'un mathématicien n'est pas celle d'un chimiste, ni celle d'un jurisconsulte. C'est ici le lieu de rapporter ce que Kant dit lui-même à ce sujet.

» Une bonne définition, suivant toute la valeur de ce terme, doit représenter fidèlement la conception d'une chose, et en décrire exactement les fins ou limites; elle doit encore être complète, absolue, renfermer les caractères primitifs et fondamentaux de la chose, c'est-à-dire, qu'elle ne doit pas être secondaire, ou dérivée, ni avoir besoin d'aucune démonstration. D'après cela il est évident qu'un objet donné par l'expérience ne peut être jamais défini avec certitude; il ne peut qu'être exposé. En effet, rien ne peut nous assurer que l'expérience nous livre tous les caractères d'une chose; on sait que d'un côté elle ne fait pas reconnaître à la fois toutes les qualités, et que de l'autre elle en mêle quelquefois d'étrangères à la chose; de sorte qu'à son aide, on ne peut répondre d'avoir épuisé toute une conception, et de n'y avoir rien introduit d'étranger. Le mot qui désigne un objet peut avoir aujourd'hui une signification, et demain une autre, en ce qu'on ajoute ou qu'on ôte des caractères de la chose, ou qu'on en admet de tout-à-fait différens. Les prétendues définitions de l'eau et de la lumière sont maintenant autres qu'elles étaient il y a vingt ans ; et qui peut répondre qu'elles ne varieront pas encore? où est la garantie qui assure qu'on n'attribuera pas à ces substances de nouveaux caractères, et

qu'on ne les verra pas sous de nouveaux points de vue? Il en est ainsi de tous les objets donnés immédiatement par l'expérience. >>>

de

» Mème incertitude dans l'exposition des notions abstraites et universelles, telles que celles de substance, cause, droit, justice, etc...... Rien ne peut ici fixer la pensée, qui ajoutera sans cesse, ou retranchera, ou modifiera arbitrairement ces notions. Il faudrait, avant que les définir, apprendre si elles sont adéquates à leurs objets, et où sont ces objets? On voit donc que de tout ce qui est donné à l'esprit, il ne saurait rien définir avec certitude. Il ne peut qu'exposer ce qu'il découvre par l'analyse, sans savoir si une analyse subséquente, si de nouvelles observations ne lui feront pas découvrir d'autres caractères, et rejeter les premiers. En un mot, il ne peut qu'analyser les objets donnés, sans être jamais rigoureusement sûr de les avoir définis.»

>> Il ne reste donc de choses aptes à une vraie définition, que celles qui ne sont pas données à l'esprit, mais qui sont engendrées et construites par lui. En pareil cas, je puis définir; car encore faut-il bien que je sache ce que j'ai voulu penser et construire. L'ouvrier qui a le projet d'une machine, d'une horloge marine, par exemple, peut dire en quoi consiste l'idée

qu'il s'en est faite, quel est son but, quelles parties entreront dans sa construction, ni plus, ni moins qu'il n'y en a; et cependant les définitions d'idées de cette espèce, qui ne correspondent pas à un objet donné et invariable, devraient plus convenablement s'appeler descriptions.»

«Mais le champ des rigoureuses et véritables définitions, est celui des mathématiques pures. Tous les objets sur lesquels on y opère, sont construits par l'entendement, et sont tout-à-lafois donnés et invariables sous une forme sensible. Le triangle équilatéral, l'hexagone, le cube, la parabole, peuvent être définis (c'est-à-dire, décrits et détaillés d'une manière complète, définitive), parce que l'entendement qui en a projeté la conception, peut se rendre un compte entier et parfait de son opération et de son but. On voit donc par ceci: 1°., que l'homme ne peut définir que ce qu'il a construit lui-même; qu'il n'est jamais assuré de la perfection d'une analyse que quand c'est sa propre composition qu'il décompose, et qu'il a été lui-même l'auteur de la synthèse que de toutes les autres choses, de celles qui lui ont été données, sans qu'il ait présidé a leur composition, il ne peut livrer tout au plus que des expositions dont il ne saurait jamais garantir ni la certitude, ni l'intéTOME I.

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