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que leur objet ne peut jamais s'individualiser, ou que du moins, il ne peut être jamais reconnu pour tel objet sensible, pour tel individu qu'on a vu, palpé, etc. . . . Voilà le second caractère. Telles sont les abstractions: Espace, tems, substance, point géométrique, premier, second, nombre, le même, l'autre, plus, moins, cause, effet, existence, devoir, etc. Je ne saurais indiquer hors de moi un individu qui s'apellat espace, tems, substance, point géométrique, cause, infini, etc. . . . dont j'aie eu la perception sensible. L'objet individuel ne peut ici se montrer seul, nu, sans secours d'autrui dans une sensation; je ne sais où prendre hors de moi ces choses; je n'ai jamais rien vu ni palpé de pareil; elles restent in abstracto.

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Je le crois bien! Notre chambre obscure aurait bien de la peine aussi à me montrer hors d'elle un objet qui fût un rouge. Elle voit du rouge par-tout, elle peut l'abstraire, si bon lui semble, de tout; mais il n'est pas venu dans les objets par la même voie que le reste.

Je demanderai donc à un analyste empirique où il a vu, palpé, senti, etc. l'espace pur, le tems pur, le point géométrique, le nombre, l'identité, la cause? Il me répondra que ce ne

sont point là des sensations, mais des abstracFort bien! c'est-à-dire, que la

tions.

méthode par où je parviens à me représenter la conception pure de l'espace, du tems, de la substance, du point, de la cause, etc. . . . . c'est l'abstraction. Nous avons cette faculté d'abstraire, de séparer dans les objets les différentes choses qui les composent; mais au moyen de cette faculté, nous parvenons à abstraire des objets des choses qui ne peuvent être l'objet d'aucune sensation; oui, même nous parvenons à abstraire de la sensation des choses qui ne sont pas sensibles, qui ne sont pas sensation! Cela mérite bien qu'on y réfléchisse; s'il y a dans les objets sensibles quelque chose qui n'est pas lui-même un objet, qui n'est pas objectif, il faut bien que ce quelque chose soit subjectif. S'il y a dans la sensation quelque chose qui n'est pas sensation, il faut bien le chercher ailleurs dans l'objet senti; et ce pourrait bien être le rouge de la chambre obscure.

-

que

Condillac et ses disciples qui se piquent d'analyse, admettent la sensation pour le principe, pour l'élément simple de toutes nos connaissances. Il est probable que nous ne sommes pas éloignés de découvrir les élémens de ces élémens, et d'analyser leur analyse.

TOME I.

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En effet je reconnais, que des objets tout façonnés et tels qu'ils m'apparaissent, je puis abstraire deux sortes d'élémens: les uns objectifs, qui peuvent se rendre individuellement visibles dans une sensation; les autres nullement objectifs, nullement percevables dans aucune Il entre donc dans la façon des objets certaines parties constituantes lesquelles ne peuvent être rencontrées nulle part dans l'objectif, et qu'en conséquence il faut bien chercher dans le subjectif.

sensation.

Concluons enfin qu'il y a abstraction eta bstraction, que les empiristes, qui aiment tant les idées claires, et qui dissertent à perdre haleine sur le rapport des signes avec la pensée, ne devraient pas confondre des conceptions si différentes à cause d'un nom qui leur est malà-propos commun; enfin que les conceptions générales d'espèce, de classe, etc. qui reposent sur des individus, sont d'une toute autre nature, et ont une toute autre source que les conceptions universelles, primitives et fondamentales, qui ne peuvent reposer sur aucun rapport d'individus.

Remarque première.

CONDILLAC a écrit un Essai sur l'origine des connaissances humaines. Quand on a lu cet ouvrage avec l'attention qui convient à ces sortes de matières et la plume à la main, qu'on a extrait, analysé, rapproché, on trouve résultat les notions les plus contradictoires et le chaos le plus ténébreux sur l'objet principal de l'Essai; on ne peut deviner ce que l'auteur a voulu dire par ces mots: l'orgine de nos

connaissances.

en

Il distingue d'abord deux sortes de métaphysique: « L'une, dit-il, ambitieuse, veut percer tous les mystères, la nature, l'essence des êtres, les causes les plus cachées."... (Ambitieuse ou non, je ne vois pas trop quel autre but pourrait avoir une métaphysique, ni comment on pourrait appeler métaphysique des recherches qui n'auraient pas un tel but. Rien n'est, par exemple, plus mystérieux et plus caché que l'origine de nos connaissances, et c'est pourtant ce que Condillac lui-même assure qu'il veut rechercher). « L'autre, ne cherchant à voir les choses que comme elles sont en effet, est aussi simple que la vérité même.”

Voir les choses comme elles sont en effet! mais c'est-là précisément la grande difficulté; c'est là le noeud gordien de toutes les métaphysiques, et rien n'est plus ambitieux que cette simplicité et cette vérité-là. Condillac voulait peut-être dire: Voir les choses comme elles nous semblent être en effet? mais pour les voir ainsi, on n'a nul besoin de métaphysique, ni de première, ni de seconde qualité; et sur ce chemin l'on ne parvient sûrement pas a l'origine de nos connaissances.

« Nous ne découvrirons point une manière sûre de conduire nos pensées, tant que nous ne saurons point comment elles sont formées." Sans doute, découvrir le mode de formation de nos pensées, c'est déjà beaucoup, mais ce n'est pas encore leur origine, et bien sûrement Condillac n'a découvert ni l'un ni l'autre.

« Nous ne devons aspirer, poursuit-il, qu'à découvrir une première expérience.... Elle doit montrer sensiblement quelle est la source de nos connaissances, quels en sont les matériaux, par quels pricipes ils sont mis en oeuvre, quels instrumens on y emploie, etc."... Voilà une expérience bien fertile: mais je doute fort que tout cela s'y trouve. Car enfin il s'agit de savoir comment naît l'expérience elle-même, comment l'homme parvient à faire une expérience; et

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