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à priori que nous attribuons par synthése aux objets *). Sans donc considérer ici le degré de valeur de ces jugemens synthétiques à priori que nous portons en certains cas, il suffit de reconnaître que nous en portons en effet de cette espèce. N'y en eût-il qu'un seul dans tout notre entendement, ce serait une apparition assez remarquable pour nous inspirer le désir de remonter à sa source; mais nous trouvons de ces jugemens mêlés à toutes nos connaissances. Leur justification est positivement le plus haut problème d'une philosophie transcendentale. Cette question première, reproduite déjà précédemment sous plusieurs formes, peut donc se poser ici sous cette formule plus précise: COMMENT SONT POSSIBLES DES JUGEMENS SYNTHÉTIQUES à priori? Je crois avoir amené mon lecteur

*) Le sceptique Hume (dans ses Essais philosophiques concernant l'entendement humain) avait déjà vu et demontré que la relation de cause et d'effet ne pouvait appartenir aux choses en ellesmêmes, et comme il n'admettait rien à priori dans l'entendement, il avait conclu que cette causalité était une simple fantaisie de notre part, une sorte d'habitude acquise qui nous portait à voir les choses ainsi. C'était résoudre fort mal une difficulté aperçue par la plus subtile pénétration. Si la causalité n'est pas dans les choses, comment contracterions-nous pas expérience l'habitude de l'y voir? Kant a adopté les prémisses de Hume, mais il a conclu autrement la loi de la causalité dit-il, n'est pas dans les choses observées, donc elle est dans l'observateur. Elle n'est point objective, donc elle est subjective; il n'y a point de milieu.

au point d'apercevoir que la solution de ce problème doit livrer la clé de tout le savoir humain. Kant, qui a saisi ce problème mieux que tous les philosophes qui l'avaient précédé, qui l'a exprimé d'une manière plus précise et plus scientifique, en a livré aussi la solution la plus belle qui ait paru jusqu'à lui, dans sa Critique de la raison pure.

X.

Distinction de deux sortes de connaissances, que l'on confond d'ordinaire sous le nom commun d'abstraction.

Ceux qui n'observent pas nos connaissances dans leurs premiers élémens et dans leur mode originaire de formation, se contentent de les prendre toutes formées, telles qu'elles sont, et de les analyser, ou décomposer en cet état. Ils peuvent, à l'aide de cette analyse, en distinguer quelques élémens, mais ils ne peuvent apprendre d'elle la nature diverse de ces élémens, ni d'où ils proviennent, ni même s'ils sont de vrais élémens.

Ils voient, en premier lieu, que nous avons des connaissances qui se bornent à un seul être, à un individu, tel homme, telle plante, tel corps coloré, etc... et ils les appellent réalités idées individuelles. Ils voient en suite d'autres connaissances où l'entendement fait abstraction de toute individualité sensible, homme en général, plante, corps, couleurs, etc.... et ils rangent celles-ci sous une même classe, celle

des idées abstraites, ou des abstractions. Arrêtons-nous à ces dernières.

Tout ce qui n'a donc nul objet individuel et sensible, est appellé par les nouveaux analystes une abstraction; et cela sans distinction, sans recherche de la différence totale qu'il peut y avoir entre abstraction et abstraction.

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Homme, métal, livre, arbre, rivière, etc. Espace, tems, substance, point géométrique, cause, effet, existance, infini, devoir, etc.... sont également pour eux des idées abstraites.

>> Comme j'ai pu abstraire toutes ces idées » des objets, il est clair, dit l'empiriste, qu'el>> les me sont données ou suggérées par ces ob>> jets; et comme c'est la sensation qui me fait » connaître les objets, il est clair encore que » c'est de la sensation que me viennent les idées >> abstraites." Admirable manière de rai

sonner!

Notre chambre obscure de l'article V conclurait absolument de même si elle disait: » J'ana

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lyse plusieurs des objets que je vois, ils ont >> des rameaux, des feuilles, du rouge; j'en » déduis donc les idées abstraites de rameau, » feuille, rouge, et ce sont les objets qui me >> fournissent ces idées."

Quant au rouge, il est bien évident que notre analyste se tromperait. A la vérité si elle ne

voyait pas d'objets du tout (s'il faisait nuit, par exemple), elle ne verrait pas de rouge, mais cependant ce rouge ne vient pas des objets, il vient de sa propre nature; et si elle l'abstrait des objets, ce n'est qu'après l'avoir adjoint elle même à ces objets.

Examinons donc un peu plus scrupuleusement toute cette famille d'idées abstraites, et voyons si leur soi-disant arbre généalogique ne serait pas en effet divisible

distincts l'un de l'autre?

en deux troncs fort

1

J'y trouve au premier coup-d'oeil deux caractères absolument dissemblables, lesquels ne peuvent convenir à des idées qui auraient la même origine. L'un de ces caractères exclut l'autre, et ils me servent à séparer nos abstractions en deux classes très-différentes.

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I. Les unes sont telles, que leur objet peut sur-le-champ s'individualiser et être reconnu pour tel objet sensible, un individu qu'on a vu, palpé, etc.... Voilà le premier caractère. Telles sont les abstractions: homme, pierre, livre, arbre, rivière, etc. . . . Je dis un homme, une pierre, un livre, etc...., et j'ai eu la perception sensible de ces objets in concreto; je sais où les prendre, et où ils existent.

II. Les autres au contraire sont telles, ou

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