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médecine, simple empirisme, qui ne repose que sur des faits, que d'autres faits peuvent contredire, et qui n'a pour doctrine que des aphorismes d'induction, dépourvus de toute certitude apodictique *)..

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**) L'anglais Brown a tenté de fonder la médecine sur des principes purs à priori, et par-là de l'élever au rang des sciences proprement dites. Je ne puis décider s'il y a réussi, mais tout penseur ne peut qu'applaudir à son but et à l'idée qu'il a éveillée, idée belle et solide qui fructifiera indubitablement quelque jour, et qui tirera la médecine de l'état de confusion et d'incertitude où elle est encore. C'est un essai pareil que Lavoisier a tenté pour la chimie, et par-là il en est devenu le grand réformateur. La logique a dû à Aristote d'être devenu une science pure à priori; la géométrie a dû le même avantage à Thalès, ou, quel que soit son nom, à celui qui a vu le premier que l'entendement devait construire avant la main. Verulam, Galilée, Toricelli, Sthal ont posé les fondémens d'une physique pure; Keppler ceux de l'astronomie; Kant ceux d'une philosophie scientifique. Il n'y a que les têtes systématiques qui soient capables de tirer ce parti de l'expérience, et de l'attacher à un fil qui conduise avec sûreté dans le labyrinthe. Les systèmes trompent souvent (et l'on verra pourquoi et comment), mais hors d'eux point de salut pour les sciences. Un faiseur d'expérience est le maçon qui travaille en aveugle au bàtiment dont le génie systématique est l'architecte. Sans doute qu'il faut bien aligner des pierres et remuer du mortier pour bâtir un édifice, mais il faut que la pensée de l'architecte ait précédé et réglé la place des matériaux.

Remarque seconde.

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etc.

AFFIRMER, c'est juger. La certitude, quelle qu'elle soit, se manifeste toujours en nous par un jugement. Or nous jugeons de deux manières. 1o. Nous affirmons d'une chose ce qui est déjà renfermé dans la représentation que nous avons de cette chose, comme quand nous disons : Un corps est étendu. Un triangle a trois côtés. Un cercle est rond. Une perpendiculaire ne penche ni à droite ni à gauche. Un animal est un être vivant. Les jugemens de cette espèce se nomment analytiques, parce qu'on n'a qu'à analyser un objet pour les trouver. Ils sont toujours à priori, car on n'a pas besoin d'en faire l'expérience, pour savoir que ce qui est renfermé dans l'idée d'un objet peut être affirmé de cet objet. Ils sont d'une certitude absolue, et fondés sur le principe de la contradiction*). Ils servent à classer, à rendre plus claires nos connaissances des objets, mais ils ne peuvent évidemment

*) C'est-à-dire, on ne peut découvrir par l'analyse dans un objet, et l'on ne peut assurer de cet objet, que ce qui ne lui est pas contradictoire.

jamais servir à les étendre, à en acquérir de

nouvelles.

2o. Pour acquérir des connaissances nouvelles des objets, il nous faut leur attribuer des qualités, des rapports qui ne se trouvent pas encore renfermés dans la représentation que nous avons d'eux, et qui soient pris tout-à-fait en dehors de cette représentation. Dans ce cas, les jugemens sont synthétiques, c'est-à-dire, additionnels. On a eu long-tems l'idée de l'air, sans rien savoir de sa pesanteur, de sa couleur bleue, de son élasticité, de sa composition d'oxigène et d'azote; à chaque fois qu'on lui a découvert ces nouveaux attributs, on a formé des jugemens synthétiques. Or, quant à la source de ces jugemens; il s'offre deux considérations auxquelles il est indispensable de s'arrêter.

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A. Jugemens synthétiques qui suivent l'expérience. Ils ont lieu quand je dis: L'or est ductile. La rose est odorante. Pierre est etc.... Je vois,

malade.

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Le feu brûle.

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je perçois ces attributs que je donne à l'or, à

etc.

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la rose, ils ont pour moi la réalité du fait; l'expérience est le moyen sûr et compréhensible par où je parviens à les former; ils naissent d'elle, et conformément à elle, c'est-à-dire, qu'ils sont à posteriori. La source et la possibilité des jugemens synthétiques à

posteriori est donc évidente, et n'a pas besoin de plus profondes recherches.

ou,

n'est

pas éternel,

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B. Jugemens synthétiques qui précédent l'expérience. Ils ont lieu quand je dis: Le ligne droite est le plus court chemin d'un point à un autre. Tout ce qui arrive dans la nature doit avoir une cause. Le monde est éternel Le monde est infini ou, il est fini. L'ame est un être simple elle est immortelle, et mille autres de cette nature, vrais ou faux, mais auxquels l'expérience ne peut m'avoir conduit, et qui par conséquent sont des jugemens synthétiques à priori.

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Ils sont à priori, car l'expérience me confirme bien, mais ne peut m'apprendre s'il n'y a pas un chemin plus court que la ligne droite *); elle ne peut me faire voir tout ce qui arrive dans la nature, ni la nécessité que tout ait une cause; elle ne peut me donner l'idée d'un monde éternel, infini, ni d'un être simple. Ces jugemens ne sont donc le résultat d'aucune

*) Elle m'apprend seulement que la ligne droite est le chemin le plus court que j'aie trouvé jusqu'ici par expérience; mais qu'un autre plus court soit d'absolue impossibilité, c'est ce qui ne résulterait pas de cent millions d'expériences, et c'est pourtant ce que je sais; je le sais donc d'autre part que de l'expérience.

expérience qu'on ait faite, c'est-à-dire, qu'ils sont à priori.

Ils sont synthétiques, c'est-à-dire, qu'ils attachent aux choses des attributs, lesquels ne sont pas renfermés nécessairement et comme parties intégrantes dans la représentation de ces choses. Qu'une ligne droite me soit donnée entre deux points, j'ai beau analyser et disséquer en mille manières, l'idée d'une ligne, suite de points, et l'idée de rectitude, je n'y trouve nullement celle de plus courtou de plus long: droit est une qualité, dont jamais nulle idée de quan tité ni de grandeur ne peut résulter. Plus courte est donc un attribut pris tout-à-fait en dehors de l'idée d'une ligne droite, mais que je me trouve fondé à lui adjoindre à priori. De même quant à ce principe à priori, que tout ce qui arrive doit avoir une cause, et doit produire un effet, je ne trouve dans l'idée d'un fait, d'un évènement donné, avec toutes les ressources de la plus subtile analyse, rien que ce qui concerne ce fait, ce quelque chose qui arrive: je n'y trouve point l'idée de quelqu' autre chose qui a dû nécessairement précéder, ni d'une autre chose qui devra nécessairement suivre. La loi de causalité que nous transportons à toute la nature, et que nous posons comme base à toutes nos observations, est donc une représentation

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