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Il faut refaire l'entendement humain, ont dit mille fois les empiristes; nous le répétons avec

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or entre l'infini et l'infini l'on ne peut admettre de différence. Voilà les prétentions de la raison pure, prétentions indestructibles par aucun raisonnement, et qui rompent en visière à l'expérience. Celle-ci dit, quand à son tour la raison l'adopte pour base (et alors la raison cesse d'être pure et devient empirique) : prétentions de la raison pure sont absurdes, car elles sont contradictoires à ce qui se manifeste en moi (ce qui, soit dit, en passant, n'est pas très-concluant). La matière n'est pas divisible à l'infini, car les corps étant des composés, il faut bien qu'il y ait des parties composantes, et la matière ne peut être qu'un agrégat de particules matérielles. Ainsi il n'est plus nécessaire que le caillou soit aussi gros que la terre, que la distance entre deux points soit infinie, et chaque chose reste ce qu'elle est. La raison est chimérique quand elle ne s'appuie pas sur moi, et c'est en moi qu'est toute vérité."

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On voit évidemment qu'aucune de ces manières d'argumenter ne détruit l'autre; que pour la spéculation, la divisibilité finie est absurde, comme la divisibilité infinie l'est pour l'expérience. Où est la vérité? Dans la raison, disent les uns, et l'expérience n'est qu'illusion (ceux-là deviennent idéalistes). Dans l'expérience, disent les autres, la raison est une fée qui nous trompe (ceux-là deviennent réalistes). Cette polémique est interminable pour ces deux classes de combattans. Le dernier sentiment conduit à la

philosophie corpusculaire d'Épicure, et le premier à la monadologie de Leibnitz. Celui-ci pour faire transiger la raison avec l'expérience, a fait naître l'étendue et la corporéité en général, de l'agrégation des monades. C'était couper le noeud. Il n'y a qu'une philosophie transcendentale qui puisse offrir un moyen de le délier. Les empiristes français ne s'en inquiètent même plus. La lassitude et le peu de succès de leurs prédécesseurs les ont découragés; ils laissent le noeud fermé et n'y regardent plus. L'indifférentisme est à cet égard toute leur philosophie: et ils se consolent avec le que nous importe? spécifique admirable, qui est la bella-dona de toute philosophic.

eux, mais dans un tout autre sens, dans celui qu'indiquait Condorcet. C'est la science de l'entendement humain, si défigurée par les sensualistes, qu'il s'agit de refaire. Il faut une métaphysique nouvelle et scientifique à la patrie de Lavoisier, à celle de Lalande et de Laplace, au pays qui a produit le génie de Descartes; il faut une nouvelle théorie des arts à ceux qui possèdent aujourd'hui les plus fameux chefsd'oeuvres dont s'honoraient jadis d'autres contrées; il faut enfin une nouvelle morale, pure comme celle de l'Évangile, sévère comme celle du Portique, à une nation qui tend sérieusement à jouir d'une liberté raisonnable, qui ne veut plus chez elle ni libertins, ni terroristes, ni la corruption des cours, ni la férocité des clubs.

IX.

Différence de la certitude analogique et de la certitude apodictique. D'où peut procéder cette dernière?

IL

Il a déjà été touché quelque chose, dans plusieurs des articles précédens, de ce qui fait l'objet de celui-ci. Mais il est des conceptions importantes qui ne peuvent se reproduire sous trop de formes dans ces élémens, qui n'y peuvent être établies avec trop de clarté et de solidité.

que

Nous trouvons en nous ce sentiment intime, cette conscience de certitude qui nous fait juger la réalité dans les choses ressemble à nos représentations des choses; nous trouvons, dis-je, en nous la certitude établie de deux manières toutes différentes.

Premièrement, elle peut être établie par la vue d'un fait, par l'expérience quelconque. Je suis certain que la rivière était trouble ce matin, , parce que je l'ai vu, ou que d'autres à qui je ne crois pas l'envie de me tromper l'ont vu pour moi. Je suis de même certain la ville de Rome existe, parce que je l'ai vu, ou

que

que

d'autres l'ont vu pour moi; je suis certain que Herschel a découvert Uranus et ses huit satellites, qu'Alexandre a conquis la Perse, enfin je suis certain qu'il fait maintenant grand jour, ou qu'il fait nuit, chaud, ou froid, etc... Cette certitude est purement historique, elle ne va point au-delà du fait, elle suit toujours le fait, d'où vient qu'on la nomme aussi certitude à posteriori.

Secondement, la certitude peut se trouver en nous établie avant le fait, avant l'expérience, et n'en être pas moins assurée, ni moins puissante. Je suis certain qu'une pierre que je tiens dans ma main tombera si je la lâche, qu'un amas de poudre détonnera si j'en approche un charbon; etc. Cette sorte de certitude devient plus philosophique; le fait ne sert qu'à la confirmer; elle le précède, le détermine d'avance, ce qui fait dire qu'elle a lieu à Il n'est question ici que de cette

priori. dernière.

La certitude à priori est à son tour, en certains cas, bien différente de ce qu'elle est en d'autres; sa nature et ses moyens de s'établir ne sont pas les mêmes dans les uns et les autres de ces cas, et sa source ne peut être en conséquence la même.

I. Tantôt elle ne donne qu'une conviction conditionnelle, sujète à être détruite, à souffrir des exceptions, une conviction d'induction et d'analogie *), qui tient de la vraisemblance et de la probabilité. Elle naît alors d'un certain nombre d'expériences répétées et du penchant que nous avons à croire que l'expérience, dans des suppositions semblables, offrira toujours les mêmes résultats. Nous appellerons cette espèce de certitude analogique.

En voici quelques exemples.

Tant que j'ai eu peu d'occasions d'éprouver l'envie et la malice des hommes, je les crois tous bons et généreux. Quand j'ai été souvent exposé aux traits de l'envie et de la malice, je crois tous les hommes envieux et méchans. Dans l'une et l'autre croyance, je n'ai qu'une certitude présumée; une expérience nouvelle peut la détruire; ma certitude n'est ni absolue, ni invariable.

J'ai déjà cité précédemment en plusieurs endroits des exemples de la certitude analogique. Dans le passage des Essais de Leibnitz inséré vers la fin de l'article V, on a vu quel genre

*) Lorsque Kant traite des analogies, il prend ce terme dans le sens scientifique; je ne le prends ici que dans l'acception vulgaire, où il signifie la ressemblance qui fait la base d'une induction.

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