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VII.

Quelle philosophie règne maintenant

en France?

En particulier quelle

métaphysique et quelle morale? Période des scholastiques....

des sceptiques.....

siens....

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des carté

des encyclopédistes et

des beaux-esprit.

QUAND l'Europe occidentale commença à sortir du long déluge d'ignorance qui sépare les nations modernes de l'antiquité grecque et romaine, le penchant naturel de l'homme vers la spéculation se manifesta vivement, et donna naissance à une philosophie, laquelle ne fut pas toujours la même dans le même tems, ni dans des tems consécutifs, mais que l'on désigne d'ordinaire sous le nom commun de scholastique. La France est l'une des contrées où la scholastique fut cultivée avec le plus d'ardeur et le plus de succès. Ceux qui croiraient l'esprit de la nation incompatible avec les arduosités de la plus subtile dialectique, auraient contre eux l'histoire de la philosophie pendant les cinq siècles qui suivirent le dixième. S'il leur en coûtait trop TOME I.

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de feuilleter, pour se convaincre, les nombreux écrits des péripatéticiens, des théologiens et des mystiques de toutes couleurs, depuis Abélard, Bérenger, Hildebert, etc....., ils n'auraient qu'à jeter les yeux sur le quatrième tome de l'Histoire littéraire de France par les bénéIdictins de St. Maur. Ils y verraient l'assiduité Française aux prises avec les difficultés les plus inextricables des livres d'Aristote malentendus, qu'on voulait faire concorder avec ceux du grand évêque d'Hippone et des autres pères de l'église. Paris était le plus brillant théâtre pour les athlètes de l'école, et les Thomas, les Scot s'y rendaient pour trouver des antagonistes et des juges dignes d'eux. Les historiographes bénédictins, il est vrai, maltraitent un peu la scholastique; mais ils avaient pour cela leurs raisons. Ce qui doit paraître plus étrange, c'est de voir cette même scholastique honnie et huée par des gens qui en savent à peine le nom, qui ne seraient pas en état de trouver le fort ou le faible d'un seul de ses argumens. Mais on crie volontiers haro sur le vaincu dans le bon de France. Le mot de scholastique est depuis long-tems, parmi la populace philosophique, un épouvantail comme celui d'aristocratie en a été un dans les premières années de la révolution. Cependant on doit à ces

pays

scholastiques, c'est-à-dire, à ces érudits qui exposaient leur doctrine dans les écoles (et où l'exposerait-on ?), une foule de connaissances indispensables, et les premiers fondemens de l'édifice des sciences. Ils ont montré dans toute son étendue l'emploi que l'esprit humain pouvait faire de l'instrument logique. Ils en ont perfectionné, arrondi et fini la science. Ils ont purifié, ennobli et intellectualisé l'idée de l'être suprême. Enfin ce n'est qu'élevés par eux, et aidés de tant de connaissances préparatoires cultivées par eux, que leurs adversaires ont pu les attaquer avec avantage. Il ne serait pas à désirer de voir renaître la scholastique, mais il ne faut pas la rabaisser au-dessous de sa valeur. Elle mettait sur le chemin d'une métaphysique rationnelle, et par là valait toujours mieux que l'empirisme. On la tourne volontiers en ridicule, tandis qu'il n'y a de ridicule que l'ignorance qui tranche sur ce qu'elle ne

connaît pas. A les scholastiques

peine sait-on, par exemple, que furent, à une certaine époque, partagés en deux sectes qui disputèrent avec beaucoup de chaleur, celle des universaux et celle des nominaux. Ces derniers soutenaient contre l'opinion de leurs adversaires, que les idées de genres, d'espèces, de classes, d'ordre, de ressemblance, de différence, etc..... n'étaient pas fondées dans

la nature des choses, mais bien dans celle de l'esprit humain, n'obtenant la réalité, et comme le sceau de leur existence, que du nom par lequel l'homme les désignait, pour ranger ses connaissances d'une façon plus commode *). Depuis que Buffon a réchauffé et proclamé cette doctrine, chacun la caresse et convient. que la nature ne nous offre que des individus, que c'est nous qui transportons en elle les rapports de ressemblance, d'espèce, de genre, etc.... On prononce cependant toujours avec un ton capable, que la querelle des universaux et des nominaux était puérile; et il y allait, sans qu'on s'en aperçoive, de la nature de l'entendement humain.

Cependant il faut convenir que l'école avait besoin d'une immense réforme; elle avait abusé de la dialectique; elle avait fait une alliance monstrueuse de la philosophie payenne et de la

*) Roscelin, pêre des Nominaux, fut homme d'une forte tête. Au reste, la scholastique paraît sous un tout autre point de vue que celui du préjugé vulgaire, quand on a seulement lu ce que Tiedemann en a dit dans son Esprit de la philosophie spéculative, et le baron d'Eberstein dans son livre sur la Logique et la Métaphysique des Purs-péripatéticiens, où il se trouve entre autres un morceau curieux sur les Universaux et les Nominaux (ou mieux sur les Réalistes et les Nominalistes). Impr. à Halle. 1800.

théologie chrétienne. Elle avait même ouvert çà et là ses portes aux rêveries de la cabale, et devait révolter les bons esprits, qui marchant avec un siècle où les lumières allaient en croissant, désiraient une philosophie plus pure et moins sophistiquée. Enfin Rabelais, par ses facéties satyriques, Ramus par ses raisonnemens (qui lui coûtèrent, hélas, la vie), Sanchez dans. ses leçons publiques à Toulouse, le fragmentaire Montagne et son systématique disciple Charron, dans leurs écrits, attaquèrent ouvertement la doctrine qui dogmatisait depuis plusieurs siècles, et lui enlevèrent la plupart de ses partisans.

Quand un jeune arbre a pris une croissance fausse et oblique, on ne le redresse pas sans le pencher avec violence de l'autre côte; ce n'est qu'après l'y avoir tenu assujéti long-tems qu'il reprend enfin sa véritable direction. Les philosophes que je viens de nommer, sortant donc d'un dogmatisme absolu et intolérant, se jetérent dans le doute le plus exagéré *), et fondèrent une époque sceptique qui succéda à la scholastique, ou plutôt qui règna conjointement avec elle, celle-ci plus étroitement confinée dans les cloîtres et les chaires, celle là dans la monde et

*) » Le monde, dit Luther, ressemble à un paysan ivre. Veut-on » le mettre en selle d'un côté, il retombe de l'autre. »

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