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TRAGEDIE-BALLET EN CINQ ACTES.

1671.

LE LIBRAIRE AU LECTEUR'.

Cet ouvrage n'est pas tout d'une main. M. Quinault a fait les paroles qui s'y chantent en musique, à la réserve de la plainte italienne. M. Molière a dressé le plan de la pièce, et réglé la disposition, où il s'est plus attaché aux beautés et à la pompe du spectacle qu'à l'exacte régularité. Quant à la versification, il n'a pas eu le loisir de la faire entière. Le carnaval approchoit, et les ordres pressants du roi, qui se vouloit donner ce magnifique divertissement plusieurs fois avant le carême, l'ont mis dans la nécessité de souffrir un peu de secours. Ainsi il n'y a que le Prologue, le premier acte, la première scène du second, et la première du troisième, dont les vers soient de lui. M. Corneille a employé une quinzaine au reste; et, par ce moyen, Sa Majesté s'est trouvée servie dans le temps qu'elle l'avoit ordonné.

NOTICE.

Le passage suivant, que nous empruntons à Voltaire, est sans contredit le meilleur commentaire historique que nous puissions placer ici : « Le spectacle de l'Opéra, connu en France sous le ministère du cardinal Mazarin, était tombé par sa mort : il commençait à se relever. Perrin, introducteur des ambassadeurs chez Monsieur, frère de Louis XIV; Cambert, intendant de la musique de la reine mère, et le marquis de Soudiac, homme de

Il est probable que cet AVIS AU LECTEUR est de Moliere.

goût, qui avait du génie pour les machines, avaient obtenu en 1669 le privilége de l'Opéra; mais ils ne donnèrent rien au public qu'en 1671. On ne croyait pas alors que les Français pussent jamais soutenir trois heures de musique, et qu'une tragédie toute chantée pût réussir. On pensait que le comble de la perfection est une tragédie déclamée, avec des chants et des danses dans les intermèdes. On ne songeait pas que si une tragédie est belle et intéressante, les entr'actes de musique doivent en devenir froids; et que si les intermèdes sont brillants, l'oreille a peine à revenir tout d'un coup du charme de la musique à la simple déclamation. Un ballet peut délasser dans les entr'actes d'une pièce ennuyeuse; mais une bonne pièce n'en a pas besoin, et l'on joue Athalie sans les chœurs et sans la musique. Ce ne fut que quelques années après que Lulli et Quinault nous apprirent qu'on pouvait chanter une tragédie, comme on faisait en Italie, et qu'on la pouvait même rendre intéressante: perfection que l'Italie ne connaissait pas. Depuis la mort du cardinal Mazarin, on n'avait donc donné que des pièces à machines avec des divertissements en musique, tels qu'Andromède et la Toison d'or. On voulut donner au roi et à la cour, pour l'hiver de 1670, un divertissement dans ce goût, et y ajouter des danses. Molière fut chargé du sujet de la Fable le plus ingénieux et le plus galant, et qui était alors en vogue par le roman trop allongé que La Fontaine venait de donner en 1669. Il ne put faire que le premier acte, la première scène du second, et la première du troisième; le temps pressait : Pierre Corneille se chargea du reste de la pièce ; il voulut bien s'assujettir au plan d'un autre; et ce génie mâle, que l'âge rendait sec et sévère, s'amollit pour plaire à Louis XIV. L'auteur de Cinna fit, à l'âge de soixantecinq ans, cette déclaration de Psyché à l'Amour, qui passe encore pour un des morceaux les plus tendres et les plus naturels qui soient au théâtre. Toutes les paroles qui se chantent sont de Quinault; Lulli composa les airs. Il ne manquait à cette société de grands hommes que le seul Racine, afin que tout ce qu'il y eut jamais de plus excellent au théâtre se fût réuni pour servir un roi qui méritait d'être servi par de tels hommes. Psyché n'est pas une excellente pièce, et les derniers actes en sont très languissants; mais la beauté du sujet, les ornements dont elle fut embellie, et la dépense royale qu'on fit pour ce spectacle, firent pardonner ses défauts. »>

Comme la plupart des pièces que Molière composa pour Louis XIV, Psyché, après avoir diverti la cour, fut jouée devant le public de la capitale. Le registre manuscrit de Lagrange, qui fut, comme on le sait, l'éditeur de Molière, après avoir été son camarade de théâtre, nous donne sur la mise en scène de cette pièce des détails qui se placent naturellement ici :

« Ledit jour, dit Lagrange, mercredi quinzième avril (1671), après une délibération de la compagnie de représenter Psyché, qui avait été faite pour le roi l'hiver dernier et représentée sur le grand théâtre du palais des Tuileries, on commença à faire travailler tant aux machines, décorations, musique, ballets et généralement tous les ornements nécessaires pour ce grand spectacle. Jusques ici les musiciens et musiciennes n'avaient point voulu paraître en public; ils chantaient à la comédie dans des loges grillées et treillissées; mais on surmonta cet obstacle, et, avec quelque légère dépense, on trouva des personnes qui chantèrent sur le théâtre à visage découvert, habillées comme les comédiens... Tous lesdits frais et dépenses pour la préparation de Psyché se sont montés à la somme de 4,359 livres 15 sols. Dans le cours de la pièce, M. de Beauchamp a reçu de récompense, pour avoir fait les ballets et conduit la musique, 1,100 livres, non compris les 11 livres par jour que la troupe lui a données tant pour battre la mesure à la musique que pour entretenir les ballets. >>

Après six semaines d'études, Psyché fut représentée le 24 juillet 1671, sur le théâtre de Molière. La splendeur et la nouveauté du spectacle attirèrent la foule ; et trente-huit recettes productives dédommagèrent pleinement la troupe de ses avances.

Comme directeur et comme auteur, Molière obtint donc un succès complet; mais comme mari, il eut à supporter, à l'occasion de la nouvelle pièce, un nouveau malheur. Le jeune Baron, qu'il aimait comme son fils, était chargé du rôle de l'Amour, et mademoiselle Molière de celui de Psyché. Ces rôles furent pris au sérieux de part et d'autre ; écoutons, à ce sujet, l'auteur de la Fameuse comédienne; on verra par son récit combien Molière dut souffrir en portant au milieu du monde qui l'entourait la susceptibilité d'un grand cœur :

«Tant que mademoiselle Molière avait demeuré avec son mari, dit l'auteur de la Fameuse comédienne, elle avait haï Baron comme un petit étourdi qui les mettait fort souvent mal ensemble par ses rapports; et, comme la haine aveugle aussi bien que les autres passions, la sienne l'avait empêchée de le trouver joli. Mais quand ils n'eurent plus d'intérêts à démêler, et qu'elle lui eut entièrement abandonné la place, elle commença à le regarder sans prévention, et trouva qu'elle en pouvait faire un amusement agréable. La pièce de Psyché, que l'on jouait alors, seconda heureusement ses desseins et donna naissance à leur amour. La Molière représentait Psyché à charmer, et Baron, dont le personnage était l'Amour, y enlevait les cœurs de tous les spectateurs : les louanges communes qu'on leur donnait les obligèrent de s'examiner de leur côté avec plus d'attention, et même avec quelque sorte de plaisir. Baron n'est pas cruel; il

se fut à peine aperçu du changement qui s'était fait dans le cœur de la Molière en sa faveur qu'il y répondit aussitôt. Il fut le premier qui rompit le silence par le compliment qu'il lui fit sur le bonheur qu'il avait d'avoir été choisi pour représenter son amant; qu'il devait l'approbation du public à cet heureux hasard; qu'il n'était pas difficile de jouer un personnage que l'on sentait naturellement; qu'il serait toujours le meilleur acteur du monde si l'on disposait les choses de la même manière. La Molière répondit que les louanges que l'on donnait à un homme comme lui étaient dues à son mérite, et qu'elle n'y avait nulle part; que cependant la galanterie d'une personne qu'on disait avoir tant de maîtresses ne la surprenait pas, et qu'il devait être aussi bon comédien auprès des dames qu'il l'était sur le théâtre.

>> Baron, à qui cette manière de reproches ne déplaisait pas, lui dit de son air indolent qu'il avait à la vérité quelques habitudes que l'on pouvait nommer bonnes fortunes, mais qu'il était prêt à lui tout sacrifier, et qu'il estimerait davantage la plus simple de ses faveurs que le dernier emportement de toutes les femmes avec qui il était bien, et dont il lui nomma aussitôt les noms par une discrétion qui lui est naturelle. La Molière fut enchantée de cette préférence. » Nous n'avons pas besoin d'ajouter que Baron fut heureux.

M. Saint-Marc Girardin, dans son Cours de littérature dramatique, a analysé avec la finesse qui le distingue l'un des sentiments que Molière et Corneille ont le plus heureusement mis en relief dans Psyché; ce sentiment c'est l'inimitié entre sœurs. « Ces inimitiés, dit M. Saint-Marc, vont quelquefois jusqu'à la haine; elles s'arrêtent ordinairement à la jalousie. Les rivalités d'amour et de beauté, la vanité, la coquetterie, sont les causes les plus fréquentes de ces inimitiés, qui, selon les effets qu'elles produisent, appartiennent à la tragédie ou à la comédie.

» Il y a dans l'envie je ne sais combien de degrés, et le dépit involontaire que donne à une femme le succès d'une autre femme, fût-ce sa sœur, ne ressemble pas, il s'en faut, à l'envie farouche et meurtrière de Caïn contre son frère. Cependant il y touche, quoique de loin. Nous rions, dans Clarisse, des dépits jaloux d'Arabelle Harlowe, et nous applaudissons volontiers à la gaieté de Clarisse dans ses premières lettres, quand elle raconte les colères de sa sœur. Nous voyons cependant, à travers cette gaieté, comment l'envie de la sœur aînée deviendra la cause des malheurs de la cadette. Le drame dont Clarisse doit être l'héroïne et la victime naît de ces zizanies entre les deux sœurs, et bientôt même Clarisse, toute bienveillante et toute charitable qu'elle est, sera forcée de croire qu'il y a contre elle une sorte de conspiration, «que son frère et sa sœur veulent » l'abattre ; » et elle fera cette triste et juste réflexion « qu'on a

» bien tort de s'étonner que des courtisans emploient l'intrigue >> et les complots pour s'entre-détruire, lorsque dans le sein des >> familles les personnes les plus unies par le sang ne peuvent » pas se supporter. >>

» Ainsi, dans l'envie, tous les degrés se touchent. Les causes en sont parfois frivoles; mais les sentiments sont amers, et les effets souvent terribles. Les sœurs de Psyché ne voudraient pas assurément tuer leur sœur ; elles ne voudraient même pas la voir mourir; mais elles voudraient qu'elle fût moins belle et moins heureuse. » M. Saint-Marc Girardin, à l'appui de ces réflexions, cite les caractères d'Aglaure et de Cidippe tels qu'ils ont été tracés par Molière; et nous avons cru devoir indiquer ici ces remarques de l'auteur du Cours de littérature dramatique, parce qu'il a signalé le premier de délicates observations morales dans une pièce où jusqu'alors les critiques n'avaient vu que la mise en œuvre, plus ou moins heureuse, d'une fable tant soit peu surannée.

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Mademoiselle
Mademoi-

Acteurs de la troupe de Molière: DU CROISY.-Mademoiselle DE BRIE.3 BARON. 4 MOLIÈRE. -Mademoiselle LA THORILLIÈRE. — LA THORILLIÈRE. Mademoiselle MOLIÈRE. 10 Mademoiselle BEAUVAL. HUBERT. 12 LA GRANGE. - CHATEAUNEUF.-" DE BRIE.-15 LA THORILLIERE fils, et BARILLONET.

DU CROISY.

selle BEAUPRÉ.

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