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payer davantage : et il vient toujours dans l'esprit de leur ôter ce gouvernement même qui produit ce bien qui se communique, qui se répand au loin, et dont il vaudroit bien mieux jouir.

CHAPITRE XIII.

Dans quels gouvernemens les tributs sont susceptibles
d'augmentation.

On peut augmenter les tributs dans la plupart des républiques, parce que le citoyen, qui croit payer à lui-même, a la volonté de les payer, et en a ordinairement le pouvoir par l'effet de la nature du gouvernement.

Dans la monarchie, on peut augmenter les tributs, parce que la modération du gouvernement y peut procurer des richesses : c'est comme la récompense du prince, à cause du respect qu'il a pour les lois.

Dans l'état despotique on ne peut pas les augmenter, parce qu'on ne peut pas augmenter la servitude extrême.

CHAPITRE XIV.

Que la nature des tributs est relative au gouvernement.

L'IMPÔT par tête est plus naturel à la servitude; l'impôt sur les marchandises est plus naturel à la liberté, parce qu'il se rapporte d'une manière moins directe à la personne.

Il est naturel au gouvernement despotique que le prince ne donne point d'argent à sa milice ou aux gens de sa cour, mais qu'il leur distribue des terres, et par conséquent qu'on y lève peu de tributs. Que si le prince donne de l'argent, le tribut le plus naturel qu'il puisse lever est un tribut par tête. Ce tribut ne peut être que très-modique : car, comme on n'y peut pas faire diverses classes considérables, à cause des abus qui en résulteroient, vu l'injustice et la violence du gouvernement, il faut nécessairement se régler sur le taux de ce que peuvent payer les plus misérables.

Le tribut naturel au gouvernement modéré est l'impôt sur les marchandises. Cet impôt étant réellement payé par l'acheteur, quoique le marchand l'avance, est un prêt que le marchand a déjà fait à l'acheteur ainsi, il faut regarder le négociant, et comme le débiteur général de l'état,

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et comme le créancier de tous les particuliers. Il avance à l'état le droit que l'acheteur lui paiera quelque jour; et il a payé, pour l'acheteur, le droit qu'il a payé pour la marchandise. On sent donc que plus le gouvernement est modéré, que plus l'esprit de liberté règne, que plus les fortunes ont de sûreté, plus il est facile au marchand d'avancer à l'état, et de prêter au particulier des droits considérables. En Angleterre un marchand prête réellement à l'état cinquante ou soixante livres sterling à chaque tonneau de vin qu'il reçoit. Quel est le marchand qui oseroit faire une chose de cette espèce dans un pays gouverné comme la Turquie? et quand il l'oseroit faire, comment le pourroit-il, avec une fortune suspecte, incertaine, ruinée?

CHAPITRE XV.

Abus de la liberté.

CES grands avantages de la liberté ont fait que l'on a abusé de la liberté même. Parce que le gouvernement modéré a produit d'admirables effets, on a quitté cette modération; parce qu'on a tiré de grands tributs, on en a voulu tirer d'excessifs; et, méconnoissant la main de la liberté, qui fai

soit ce présent, on s'est adressé à la servitude, qui refuse tout.

La liberté a produit l'excès des tributs : mais l'effet de ces tributs excessifs est de produire, à leur tour, la servitude; et l'effet de la servitude, de produire la diminution des tributs.

Les monarques de l'Asie ne font guère d'édits que pour exempter chaque année de tributs quelque province de leur empire': les manifestations de leur volonté sont des bienfaits. Mais, en Europe, les édits des princes affligent même avant qu'on les ait vus, parce qu'ils y parlent toujours de leurs besoins, et jamais des nôtres.

D'une impardonnable nonchalance que les ministres de ces pays-là tiennent du gouvernement et souvent du climat, les peuples tirent cet avantage, qu'ils ne sont point sans cesse accablés par de nouvelles demandes. Les dépenses n'y augmentent point, parce qu'on n'y fait point de projets nouveaux et si par hasard on y en fait, ce sont des projets dont on voit la fin, et non des projets commencés. Ceux qui gouvernent l'état ne le tourmentent pas, parce qu'ils ne se tourmentent pas sans cesse eux-mêmes. Mais, pour nous, il est impossible que nous ayons jamais de règle dans nos finances, parce que nous savons toujours que

'C'est l'usage des empereurs de la Chine.

nous ferons quelque chose, et jamais ce que nous ferons.

On n'appelle plus parmi nous un grand ministre celui qui est le sage dispensateur des revenus publics, mais celui qui est homme d'industrie, et qui trouve ce qu'on appelle des expédiens.

CHAPITRE XVI.

Des conquêtes des Mahométans.

CE furent ces tributs' excessifs qui donnèrent lieu à cette étrange facilité que trouvèrent les Mahometans dans leurs conquêtes. Les peuples, au lieu de cette suite continuelle de vexations que l'avarice subtile des empereurs avoit imaginées, se virent soumis à un tribut simple, payé aisément, reçu de même; plus heureux d'obéir à une nation barbare qu'à un gouvernement corrompu dans lequel ils souffroient tous les inconvéniens d'une liberté qu'ils n'avoient plus, avec toutes les horreurs d'une servitude présente.

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Voyez dans l'histoire la grandeur, la bizarrerie, et même la folie de ces tributs. Anastase en imagina un pour respirer l'air: ut quisque pro haustu aëris penderet,

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