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les plus grands crimes. Toute la proportion des peines est ôtée. Des gens qu'on ne sauroit regarder comme des hommes méchans sont punis comme des scélérats; ce qui est la chose du monde la plus contraire à l'esprit du gouvernement modéré.

J'ajoute que plus on met le peuple en occasion de frauder le traitant, plus on enrichit celui-ci et on appauvrit celui-là. Pour arrêter la fraude, il faut donner au traitant des moyens de vexations extraordinaires, et tout est perdu.

CHAPITRE IX.

D'une mauvaise sorte d'impôt.

Nous parlerons, en passant, d'un impôt établi dans quelques états sur les diverses clauses des contrats civils. Il faut, pour se défendre du traitant, de grandes connoissances, ces choses étant sujettes à des discussions subtiles. Pour lors le traitant, interprète des règlemens du prince, exerce un pouvoir arbitraire sur les fortunes. L'expérience a fait voir qu'un impôt sur le papier sur lequel le contrat doit s'écrire vaudroit beaucoup mieux.

CHAPITRE X.

Que la grandeur des tributs dépend de la nature
du gouvernement,

LES tributs doivent être très-légers dans le gouvernement despotique. Sans cela, qui est-ce qui voudroit prendre la peine d'y cultiver les terres? et de plus, comment payer de gros tributs dans un gouvernement qui ne supplée par rien à ce que le sujet a donné.

Dans le pouvoir étonnant du prince et l'étrange foiblesse du peuple, il faut qu'il ne puisse y avoir d'équivoque sur rien. Les tributs doivent être si faciles à percevoir, et si clairement établis, qu'ils ne puissent être augmentés ni diminués par ceux qui les lèvent. Une portion dans les fruits de la terre, une taxe par tête, un tribut de tant pour cent sur les marchandises, sont les seuls convenables.

Il est bon, dans le gouvernement despotique, que les marchands aient une sauvegarde personnelle, et que l'usage les fasse respecter; sans cela, ils seroient trop foibles dans les discussions qu'ils pourroient avoir avec les officiers du prince.

CHAPITRE XI.

Des peines fiscales.

C'EST une chose particulière aux peines fiscales, que, contre la pratique générale, elles sont plus sévères en Europe qu'en Asie. En Europe, on confisque les marchandises, quelquefois même les vaisseaux et les voitures; en Asie, on ne fait ni l'un ni l'autre. C'est qu'en Europe le marchand a des juges qui peuvent le garantir de l'oppression; en Asie, les juges despotiques seroient eux-mêmes les oppresseurs. Que feroit le marchand contre un bacha qui auroit résolu de confisquer ses marchandises?

C'est la vexation qui se surmonte elle-même, et se voit contrainte à une certaine douceur. En Turquie, on ne lève qu'un seul droit d'entrée; après quoi, tout le pays est ouvert aux marchands. Les déclarations fausses n'emportent ni confiscation ni augmentation de droits. On n'ouvre' point, à la Chine, les ballots des gens qui ne sont pas marchands. La fraude, chez le Mogol, n'est point punie par la confiscation, mais par le doublement

' Duhalde, tome II, page 37.

du droit. Les princes' tartares qui habitent des villes dans l'Asie ne lèvent presque rien sur les marchandises qui passent. Que si, au Japon, le crime de fraude dans le commerce est un crime capital, c'est qu'on a des raisons pour défendre toute communication avec les étrangers, et que la fraude2 y est plutôt une contravention aux lois faites pour la sûreté de l'état qu'à des lois de com

merce.

CHAPITRE XII.

Rapport de la grandeur des tributs avec la liberté.

RÈGLE générale : on peut lever des tributs plus forts, à proportion de la liberté des sujets; et l'on est forcé de les modérer à mesure que la servitude augmente. Cela a toujours été, et cela sera toujours. C'est une règle tirée de la nature, qui ne varie point on la trouve par tous les pays, en Angleterre, en Hollande, et dans tous les états où

'Histoire des Tattars, troisième partie, page 290.

2 Voulant avoir un commerce avec les étrangers sans se communiquer avec eux, ils ont choisi deux nations : la Hollandaise pour le commerce de l'Europe, et la Chinoise pour celui de l'Asie: ils tiennent dans une espèce de prison les facteurs et les matelots, et les gênent jusqu'à faire perdre patience.

la liberté va se dégradant, jusqu'en Turquie. La Suisse semble y déroger, parce qu'on n'y paie point de tributs; mais on en sait la raison particulière, et même elle confirme ce que je dis. Dans ces montagnes stériles, les vivres sont si chers et pays est si peuplé, qu'un Suisse paie quatre fois plus à la nature qu'un Turc ne paie au sultan.

le

Un peuple dominateur, tel qu'étoient les Athéniens et les Romains, peut s'affranchir de tout impôt, parce qu'il règne sur des nations sujettes. Il ne paie pas pour lors à proportion de sa liberté, parce qu'à cet égard il n'est pas un peuple, mais un monarque.

Mais la règle générale reste toujours. Il y a, dans les états modérés, un dédommagement pour la pesanteur des tributs; c'est la liberté. Il y a dans les états despotiques un équivalent pour la liberté; c'est la modicité des tributs.

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Dans de certaines monarchies en Europe, on voit des provinces 2 qui, par la nature de leur gouvernement politique, sont dans un meilleur état que les autres. On s'imagine toujours qu'elles ne paient pas assez, parce que, par un effet de la bonté de leur gouvernement, elles pourroient

'En Russie, les tributs sont médiocres on les a augmentés depuis que le despotisme y est plus modéré. Voyez l'Histoire des Tattars, deuxième partie.

2 Les pays d'états.

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