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là cette espèce d'attraction que nous avons déjà signalée plus haut 1. Dans les autres, le genre ne peut s'expliquer que si on les considère comme des adjectifs pris substantivement, et par suite s'accordant avec les noms sous-entendus auxquels ils se rapportent. En effet, ce sont ou des noms d'oiseaux (fauvettes, mésanges et bergeronnettes) balle-queue, battequeue, batte-lessive, batte-mare 2, croque-abeilles, grattepaille, perd-sa-queue, pique-mouche; ou des noms de plantes: chasse-punaises, passe-pierre, passe-rosée, percemuraille, perce-neige, perce-pierre, perce-roche, sauvevie, tire-barbe; et il est vraisemblable qu'ils ont été employés pour la première fois par les naturalistes en qualité d'adjectifs : la mésange perd-sa-queue, la fauvette croque-abeilles, et que les auteurs de dictionnaires en auront fait à tort des substantifs feminins. C'est la manière la plus simple d'expliquer le genre de ces noms; peut-être la trouvera-t-on trop simple 3. En tout cas, il est difficile d'y voir une influence de la terminaison, excepté peut-être dans tire-barbe 4. Rappelons que perceneige, donné comme féminin par tous les dictionnaires, est masculin dans le peuple (je n'ai jamais entendu dire que LE perce-neige), et que perce-pierre, perce-roche, réellement féminins, ont pour synonyme rompt-pierre, qui est masculin.

Il reste, comme exceptions sérieuses, les deux mots perceronde (féminin d'après L, B, Lv, Ld, Be; manque dans les autres) et tire-pointe (donné par Littré seulement). Il est difficile de rendre compte du genre de perce-ronde, parce que le mot est obscur. Comment perce-ronde peut-il vouloir dire compas à l'usage des cribliers? Ronde est-il ici substantif ou adjectif? et même perce est-il bien un impératif? Il faudrait résoudre ces questions avant de chercher à expliquer les féminins. Quant à tire-pointe, Littré dit : « tire-point ou tirepointe, singulier féminin. On dit aussi tiers-point. » Les autres dictionnaires ne connaissent que tire-point, singulier masculin. Le féminin, d'après Littré, s'applique aux deux mots. Or,

P. 126, n. 2. attrape-nigaud.

Happelourde est un dérivé du composé happelourd

=

Ce balle est bien étrange. Il semble venir d'un verbe balter, dérivé irrégulièrement de battre, et qu'il faudrait peut-être retrouver dans les substantifs participiaux battée et aballée.

3 Il faudrait examiner les ouvrages d'histoire naturelle et de bota

nique. Mes recherches jusqu'ici n'ont pas abouti.

Le lire-poil et la lire-barbe sont deux noms d'une même plante.

comme tire-point est évidemment masculin, qu'il est donné d'ailleurs comme tel par Littré, et que tire-pointe devrait être à priori masculin, il est légitime d'admettre ici une erreur et de lire s. m.

En somme, l'on voit à quoi se réduisent les exceptions. Sur 40 composés donnés comme féminins, 14 sont réellement masculins; 3 sont douteux; 6 ont cessé d'être composés; 16 sont vraisemblablement des adjectifs féminins pris substantivement, 1 est obscur. On peut donc dire qu'il n'y a pas d'exception, et que les composés avec impératif et complément sont masculins, c'està-dire neutres.

V.

Pour achever l'examen des composés avec l'impératif, il nous reste à signaler les curieuses locutions adverbiales où on les rencontre d'arrache-pied, à brûle-pourpoint, à belles baisemains, à cloche-pied, à dépêche-compagnon, à écorchecul, à l'emporte-pièce, à lèche-doigts, à tire-larigot, à tue-tête, à la croque-au-sel, à la venvole, à la va-te-fairefiche, dont on peut rapprocher cette autre locution: à bouche que veux-tu ?

Dans ces adverbes qui, comme les noms composés, présentent divers compléments, substantif à l'accusatif, infinitif, vocatif, etc., il est à remarquer que baise-main et emporte-pièce seuls existent isolément comme noms ; dans les autres locutions, l'impératif ne peut se séparer de la préposition.

Quel est le genre des noms que régit la particule à ou de? Nous croyons que partout c'est le féminin, et que si l'usage avait permis l'introduction de l'article, on aurait dit : de l' (la) arrache-pied, à la brûle-pourpoint, à la cloche-pied, etc. Ce qui nous porte à le croire, ce sont les féminins : à la venvole, à la croque-au-sel, à la va-te-faire-fiche, et les locutions (travail fait) à la diable, écrire à la Chateaubriand 2, etc. Cela explique l'étrange changement de genre de baise-main, devenant féminin dans à belles baise-mains 3.

A l'article spécial tire-point, qui précède l'article tire-pointe.

2 Dans cette tournure, la régit sans doute le génitif. Ecrire à la Chateaubriand, c'est écrire à la (façon de) Chateaubriand. Comparez les locutions adverbiales à la légère, à la dérobée, à l'anglaise, etc. Cf. à la SaintMartin, c'est-à-dire à la fête de saint Martin. Voir plus haut, p. 26.

'Baise-main, en dehors de cette expression, a toujours été masculin;

SEPTIÈME SECTION.

COMPOSĖS IRRÉGULIERS.

Nous avons analysé tous les procédés réguliers qui sont en usage dans la composition; il ne nous reste plus qu'à rappeler quelques formations insolites qui échappent à tout classement: mots de création individuelle, phrases que l'usage, en les affublant d'un article, transforme en substantifs, etc.

Cog-à-l'âne. - Dans l'origine, aller, discourir du coq à l'âne 1, puis, par une ellipse semblable à celle qu'on retrouve dans il possède vingt à trente mille livres de rente, mais plus difficile à expliquer, de tombe: causer coq à l'âne, d'où faire en causant un coq-à-l'âne.

Le qu'en-dira-t-on, son quant à moi, un on-dit, un vivela-joie, un sauve-qui-peut, un faire-le-faut, un sot-l'y-laisse et arch. fol-l'y-laisse, (être sur) le qui-vive, une saintenitouche (ou n'y touche), tous composés de formation claire et transparente. Si le mot simagrée doit se décomposer, comme le veut M. Brachet (Dict. étym.), en si m'agrée, il faut admettre une influence de la terminaison sur le genre.

A la queue leu leu, queussi-queumi sont des locutions adverbiales prises à des patois. Coussi coussi est l'italien cosi cosi.

Il est inutile de parler de la composition formée par le redoublement d'une syllabe, comme dans bébé, bonbon, dodo, fanfan, mimi, nanan, nounou, toutou, etc.; ces mots appartiennent à la langue des enfants, langue qui n'est pas plus française que latine ou allemande, qui est universelle et présente les mêmes caractères chez tous les peuples.

Les onomatopées comme coucou, cri-cri, crin-crin, flonflon, froufrou, tam-tam, ronron, etc., n'ont rien à voir non plus à la composition. Disons cependant un mot de ces sortes d'interjections, formées de monosyllables qui reproduisent les

on a dit aussi baisedoigt : « Les offrandes et tout le baisemain » (Chartes du roi Charles VI). — « Oblations faites au baisedoy» (texte de 1487), dans Ducange, s. v. baisemain.

1

« Je te supply de m'excuser, Si du coq a l'asne voys Saultant » (Clém. Marot, Première Ép. du cog à l'asne).

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voyelles i, a, ou, ou les deux premières seulement i, a ; ces interjections, qui deviennent parfois substantifs, se rencontrent dans les langues romanes comme dans les langues germaniques. Voici celles du français :

INTERJECTIONS ou ADVERBES: bredi-breda, de bric et de broc, coucicouça, cric-crac, flic-flac, pif-paf, patati-patata, ric-à-rac ou ric-etrac, cahin-caha (si l'ėtym. n'est pas quà hinc, quà hac).

SUBSTANTIFS: bric-à-brac ', micmac, tic-tac, trictrac, zigzag,—méli

mélo.

Les patois sont très-riches en formations de ce genre: baribara (galimatias; Ouest); bouli-boula (pêle-mêle; Ouest) 2, bourin-boura (id.), bredique-bredoque (id.); mochi-mora (pas trop; Nord, Ouest); rif-raf (exclamation indiquant la rapidité avec laquelle les choses disparaissent; Nord); rim-ram (dans l'expression : cela n'a ni rim ni ram, ni rime ni raison; Nord), etc. L'échelle complète se trouve dans le français pifpaf-pouf, qui se dit à côté de pif-paf; dans le picard berdif, berdouf, berdaf (même sens), et dans le milanais flicchflacch-floucch (baragouin) 3.

Rappelons enfin les composés où une erreur populaire a amené la soudure de l'article avec le substantif: lierre, lendemain, lendit, luette, loriot, larigot, lévier (populaire), et les noms propres de lieux et de personnes: Lille, Launay, Lers, Laval, · Lefèvre, Lelièvre 5, etc. L'espagnol est rempli de mots arabes

Bric-a-brac ne peut être séparé de la locution de bric et de broc, sur le modèle de laquelle il est sans doute formé. De bric et de broc doit avoir pour élément primitif broc, qui a amené par allitération bric, et qui est sans doute le radical de brocanter. En effet, brocanter suppose un simple broquer (cf. le v. fr. cravanter, de cravant = crepantem), auquel conduit le bas latin abrocamentum. Ces mots brac, broc, broquer doivent être rapportés à l'allemand brock, morceau.

Cf. boul-ci bout-là, qui, grâce aux déterminatifs ci et là, tend à se confondre avec les mots de cette série (comme aussi peut-être cahincaha).

Voir pour plus de détails, Höfers Zeitschrift f. d. Wissenschaft der Sprache, III, 397. On trouvera là réunies un certain nombre de formes romanes analogues.

Cf. plus haut, p. 31.

A cette série l'on peut rattacher mamour (dans l'expression populaire faire des mamours), dinde (= poule d'Inde), d'où dindon, mais non tante. Les uns voient dans le t de tante un t euphonique, comme dans voilà-t-il; les autres l'adjectif possessif la. Ni l'une ni l'autre de ces hypothèses n'est satisfaisante. Tante est un redoublement enfantin de ante (ante ante antante, tante), comme nounou est pour nourrice) nou(rrice), comme fifi est pour fils fils et fanfan pour (en)fant (en)fant.

=

ou latins, précédés de l'article al; quelques-uns de ces mots ont pénétré dans notre langue : algèbre, alchimie, alcove, etc. Alcoran vient directement de l'arabe. Eldorado, mot purement espagnol (proprement le doré), a été francisé comme mot simple: l'Eldorado1.

'Cf., sur cette fusion de l'article avec le nom, Diez, Gramm., 3, I, 204; II, 437.

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