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le sien avec le comte d'Anjou sous le même prétexte.

Le roi et sa maîtresse furent ensuite mariés solennellement par les mains d'un évêque de Baïeux. Ils étaient condamnables; mais ils avaient au moins rendu ce respect aux lois, de se servir d'elles pour couvrir leurs fautes. Quoi qu'il en soit, un pape avai? excommunié Robert pour avoir épousé sa parente, et un autre pape excommunia Philippe pour avoir quitté sa parente. Ce qu'il y a de plus singulier, c'est qu'Urbain II, qui prononça cette sentence, la prononça dans les propres états du roi à Clermont en Auvergne, où il venait chercher un asile, et dans ce même concile où nous verrons qu'il prêcha la croisade.

Cependant il ne paraît point que Philippe excommunié ait été en horreur à ses sujets: c'est une raison de plus pour douter de cet abandon général où l'on dit que le roi Robert avait été réduit.

Ce qu'il y eut d'assez remarquable, c'est le mariage du roi Henri, père de Philippe, avec une princesse de Russie, fille d'un duc nommé Jaroslaw. On ne sait si cette Russie était la Russie noire, la blanche, ou la rouge. Cette princesse était-elle née idolâtre, ou chrétienne, ou grecque? changea-t-elle de religion pour épouser un roi de France? Comment, dans un temps où la communication entre les états de l'Europe était si rare, un roi de France eut-il connaissance d'une princesse du pays des anciens Scythes? Essai sur les Moeurs. T. I. 28

Qui proposa cet étrange mariage? L'histoire de ces temps obscurs ne satisfait à aucune de ces questions.

Il est à croire que le roi des Français, Henri Ier, rechercha cette alliance afin de ne pas s'exposer à des querelles ecclésiasti ques. De toutes les superstitions de ces temps-là, ce n'était pas la moins nuisible au bien des états que celle de ne pouvoir épouser sa parente au septième degré. Presque tous les souverains de l'Europe étaient parents de Henri. Quoi qu'il en soit, Anne, fille d'un Jaroslaw, duc inconnu `d'une Russie alors ignorée, fut reine de France; et il est à remarquer qu'après la mort de son mari elle n'eut point la régence, et n'y prétendit point. Les lois changent selon les - temps. Ce fut le comte de Flandre, un des vassaux du royaume, qui en fut régent. La reine veuve se remaria à un comte de Crépi. Tout cela serait singulier aujourd'hui, et ne le fut point alors.

En général, si on compare ces siècles au nôtre, ils paraissent l'enfance du genre humain dans tout ce qui regarde le gouvernement, la religion, le commerce, les arts, les droits des citoyens.

C'est surtout un spectacle étrange que l'avilissement, le scandale de Rome, et sa puissance d'opinion, subsistant dans les esprits au milieu de son abaissement; cette foule de papes créés par les empereurs, l'esclavage de ces pontifes, leur pouvoir immense dès qu'ils sont maîtres, et l'excessif abus

de ce pouvoir. Silvestre II, Gerbert, ce savant du dixième siècle, qui passa pour un magicien parce qu'un Arabe lui avait enseigné larithmétique et quelques éléments de géométrie, ce précepteur d'Othon III, chassé de son archevêché de Rheims du temps du roi Robert, nommé pape par Fempereur Othon III, conserve encore la réputation d'un homme éclairé et d'un pape sage. Cependant, voici ce que rapporte la chronique d'Ademar Chabanois, son contemporain et son admirateur.

Un seigneur de France, Gui, vicomte de Limoges, dispute quelques droits de l'abbaye de Brantôme à un Grimoad, évêque d'Angoulême; l'évêque l'excommunie; le vi-. comte fait mettre l'évêque en prison. Ces violences réciproques étaient très-communes dans toute l'Europe, où la violence tenait lieu de loi.

Le respect pour Rome était alors si grand dans cette anarchie universelle, que l'évêque, sorti de sa prison, et le vicomte de Limoges, allèrent tous deux de France à Rome plaider leur cause devant le pape Silvestre II, en plein consistoire. Le croira-t-on? Ce seigneur fut condamné à être tiré à quatre chevaux; et la sentence eût été exécutée s'il ne se fût évadé. L'excès commis par ce seigneur, en faisant emprisonner un évêque qui n'était pas son sujet, ses remords, sa soumission pour Rome, la sentence aussi barbare qu'absurde du consistoire, peignent parfaitement le caractère de ces temps agrestes.

Au reste, ni le roi des Français, Henri Ier, fils de Robert, ni Philippe Ier, fils de Henri, ne furent connus par aucun évènement mémorable; mais, de leur temps, leurs vassaux et arrière-vassaux conquirent des royaumes. Nous allons voir comment quelques aventuriers de la province de Normandie, sans biens, sans terres, et presque sans soldats, fondèrent la monarchie des Deux-Siciles, qui depuis fut un si grand sujet de discorde entre les empereurs de la dynastie de Souabe et les papes, entre les maisons d'Anjou et d'Aragon, entre celles d'Autriche et de France.

CHAPITRE XL.

Conquète de Naples et de Sicile par des gentilshommes normands.

QUAND Charlemagne prit le nom d'empereur, ce nom ne lui donna que ce que ses armes pouvaient lui assurer. Il se prétendait dominateur suprême du duché de Bénéveat, qui composait alors une grande partie des états connus aujourd'hui sous le nom de royaume de Naples. Les ducs de Bévévent, plus heureux que les rois lombards, lui résistèrent ainsi qu'à ses successeurs. La Pouille, la Calabre, la Sicile, furent en proie aux incursions des Arabes. Les empereurs grecs et latins se disputaient en vain la souveraineté de ces pays; plusieurs seigneurs particuliers en partageaient les dépouilles avec les Sarrasins. Les peuples ne savaient à qui ils appartenaient, ni sils étaient de le communion romaine, ou de la grecque, ou

mahométans. L'empereur Othon Ier exerça son autorité dans ces pays en qualité de plus fort: il érigea Gapoue en principauté. Othon II, moins heureux, fut battu par les Grecs et par les Arabes réunis contre lui. Les empereurs d'orient restèrent alors en possession de la Pouille et de la Calabre, qu'ils gouvernaient par un catapan. Des seigneurs avaient usurpé Salerne. Ceux qui possédaient Bénévent et Capoue envahissaient ce qu'ils pouvaient des terres du catapan; et le catapan les dépouillait à son tour. Naples et Gaiete étaient de petites républiques comme Sienne et Lucques: l'esprit de l'ancienne Grèce semblait s'être réfugié dans ces deux petits territoires. Il y avait de la grandeur à vouloir être libres, tandis que tous les peuples d'alentour étaient des esclaves qui changeaient de maîtres. Les mahométans, cantonnés dans plusieurs châteaux, pillaient également les Grecs et les Latins: les Eglises des provinces du catapan étaient soumises au métropolitain de Constantinople; les autres, à celui de Rome. Les mœurs se ressentaient du mélange de tant de peuples, de tant de gouvernements et de religions: l'esprit naturel des habitants ne jetait aucune étincelle: on ne reconnaissait plus le pays qui avait produit Horace et Cicéron, et qui devait faire naître le Tasse. Voilà dans quelle situation était cette fertile contrée aux dixième et onzième siècles, de Gaiète et du Garillan jusqu'à Otrante.

Le goût des pèlerinages et des aventures.

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