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Le descendant de Charlemagne fut le premier qui alla plaider à trois cents lieues de chez lui devant un juge étranger, pour savoir quelle femme il devait aimer. Les peuples furent sur le point d'être les victimes de ce différend. Louis-le-Debonnaire avait été le premier exemple du pouvoir des évêques sur les empereurs. Lothairede Lorraine fut l'époque du pouvoir des papes sur les évêques. Il résulte de toute T'histoire de ces temps-là, que la société avait peu de règles certaines chez les nations occidentales, que les états avaient peu de lois, et que l'Eglise voulait leur en donner.

CHAPITRE XXXI.

De Photius, et du Schisme entre l'orient et l'occident.

(858) La plus grande affaire que l'Église eût alors, et qui en est encore une très-importante aujourd'hui, fut l'origine de la séparation totale des Grecs et des Latins. La chaire patriarchale de Constantinople étant, ainsi que le trône, l'objet de l'ambition, était sujette aux mêmes révolutions. L'empereur Michel III, mécontent du patriarche Ignace, l'obligea à signer lui-même sa déposition, et mit à sa place Photius, eunuque

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du palais, homme d'une grande qualité, d'un vaste génie, et d'une science universelle. Il était grand écuyer et ministre d'état. Les évêques, pour l'ordonner patriarche, le firent passer en six jours par tous les degrés. Le premier jour on le fit moine, parce que les moines étaient regardés dans l'Eglise grecque comme faisant partie de la hiérarchie: le second jour il fut lecteur, le troisième sous-diacre, puis diacre, prêtre, et enfin patriarche le jour de Noël en 858.

Le pape Nicolas prit le parti d'Ignace, et excommunia Photius. Il lui reprochait surtout d'avoir passé de l'état de laïque à celuid'évêque avec tant de rapidité; mais Photius répondait, avec raison, que saint Ambroise, gouverneur de Milan, et à peine chrétien, avait joint la dignité d'évêque à celle de gouverneur plus rapidement encore. Photius excommunia donc le pape à son tour, et le déclara déposé. Il prit le titre de patriarche œcuménique, et accusa hautement d'hérésie les évêques d'occident de la communion du pape. Le plus grand reproche qu'il leur faisait roulait sur la procession du père et du fils. »Des hommes,< dit-il, dans une de ses lettres, »sortis des »ténèbres de l'occident, ont tout corrompu >par leur ignorance. Le comble de leur »impiété est d'ajouter de nouvelles paroles au sacré symbole autorisé par tous les »conciles, en disant que le Saint-Esprit ne »procède pas du Père seulement, mais en

core du Fils: ce qui est renoncer au chri>stianisme.<<<

On voit, par ce passage, et par beaucoup d'autres, quelle supériorité les Grecs affectaient en tout sur les Latins. Ils prétendaient que l'Église romaine devait tout à la grecque, jusqu'aux noms des usages, des cérémonies, des mystères, des dignités. Baptême, eucharistie, liturgie, diocèse, paroisse, évêque, prêtre, diacre, moine, église, tout est grec. Ils regardaient les Latins comme des disciples ignorants, révoltés contre leurs maîtres, dont ils ne savaient pas même la langue. Ils nous accusaient d'ignorer le catéchisme, enfin, de n'être pas chrétiens.

Les autres sujets d'anathème étaient que les Latins se servaient alors communément de pain non levé pour l'eucharistie, mangeaient des œufs et du fromage en carême, et que leurs prêtres ne se faisaient point raser la barbe. Etranges raisons pour brouiller l'occident avec l'orient!

Mais quiconque est juste avouera que Photius était, non-seulement le plus savant homme de l'Église, mais un grand évêque. (867) Il se conduisit comme saint Ambroise, quand Basile, assassin de l'empereur Michel, se présenta dans l'église de Sophie: >>Vous »êtes indigne d'approcher des saints mystė»res, « lui dit-il à haute voix, »vous qui avez >>les mains encore souillées du sang de votre >>bienfaiteur.« Photius ne trouva pas un Théodose dans Basile. Ce tyran fit une

chose juste par vengeance. Il rétablit Ignace dans le siège patriarchal, et chassa Photius. (869) Rome profita de cette conjoncture pour faire assembler à Constantinople le huitième concile œcuménique, composé de trois cents évêques. Les légats du pape présidèrent, mais ils ne savaient pas le grec, et parmi les autres évêques trèspeu savaient le latin. Photius y fut universellement condamné comme intrus, et sou mis à la pénitence publique. On signa pour les cinq patriarches avant de signer pour le pape, ce qui est fort extraordinaire; car, puisque les légats eurent la première place, ils devaient signer les premiers. Mais, en tout cela, les questions qui partageaient l'orient et Toccident ne furent point agitées: on ne voulait que déposer Photius.

Quelque temps après, le vrai patriarche Ignace étant mort, Photius eut l'adresse de se faire rétablir par l'empereur Basile. Le pape Jean VIII le reçut à sa communion, le reconnut, lui écrivit; et, malgré ce huitième concile œcuménique qui avait anathématisé ce patriarche, (879) le pape envoya ses légats à un autre concile à Constantinople, dans lequel Photius fut reconnu innocent par quatre cents évêques, dont trois cents l'avaient auparavant condamné.

Les

légats de ce même siège de Rome, qui l'avaient anathematisé, servirent eux-mêmes à casser le huitième concile œcuménique.

Combien tout change chez les hommes!

combien ce qui était faux devient vrai selon les temps! Les légats de Jean VIII s'écrient en plein concile: »Si quelqu'un ne »reconnaît pas Photius, que son partage soit >avec Judas.<< Le, concile s'écrie: »Lon»gues années au patriarche Photius, et au >patriarche de Rome, Jean.<<<

Enfin, à la suite des actes du concile, on voit une lettre du pape à ce savant patriarche, dans laquelle il lui dit: >>Nous pensons >comme vous; nous tenons pour transgresseurs de la parole de Dieu, nous rangeons >avec Judas, ceux qui ont ajouté au sym»bole, que le Saint-Esprit procède du Père >et du Fils; mais nous croyons qu'il faut >user de douceur avec eux, et les exhorter »å renoncer à ce blaspheme.<<

Il est donc clair que l'Eglise romaine et la grecque pensaient alors différemment de ce qu'on pense aujourd'hui. L'Eglise romaine adopta depuis la procession du père et du fils; et il arriva même qu'en 1274, l'empereur Michel - Paléologue, implorant contre les Turcs une nouvelle croisade, envoya au second concile de Lyon son patriarche et son chancelier, qui chantèrent, avec le concile, en latin, qui ex patre filioque procedit. Mais l'Eglise grecque retourna encore à son opinion, et sembla la quitter encore dans la réunion passagère qui se fit avec Eugène IV. Que les hommes apprennent de là à se tolerer les uns les autres. Voilà des variations et des disputes sur un

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