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de notre univers, si long-temps inconnue, la plus singulière, peut-être, c'est qu'on n'y trouve qu'un peuple qui ait de la barbe; ce sont les Esquimaux. Ils habitent au nord, vers le cinquante-deuxième degré, où le froid est plus vif qu'au soixante et sixième de notre continent. Leurs voisins sont imberbes. Voilà done deux races d'hommes absolument différentes à côté l'une de l'autre, supposé qu'en effet les Esquimaux soient barbus. Mais de nouveaux voyageurs disent que les Esquimaux sont imberbes, que nous avons pris leurs cheveux crasseux pour de la barbe. A qui croire?

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Vers l'isthme de Panama est la race des Dariens presque semblable aux Albinos, qui fuit la lumière et qui végète dans les cavernes; race faible et par conséquent en trèspetit nombre.

Les lions de l'Amérique sont chétifs et poltrons; les animaux qui ont de la laine y sont grands et si vigoureux, qu'ils servent à porter les fardeaux. Tous les fleuves y sont dix fois au moins plus larges que les nôtres. Enfin les productions naturelles de cette terre ne sont pas celles de notre hẻmisphère. Ainsi tout est varié; et la même providence qui a produit l'éléphant, le rhinocéros et les Nègres, a fait naître dans un autre monde des orignaux, des condors, des animaux à qui on a cru long-temps le nombril sur le dos, et des hommes d'un caractère qui n'est pas le nôtre...

DE LA THEOCRATIE.

IL semble que la plupart des anciennes na→ tions aient été gouvernées par une espèce de théocratie. Commencez par l'Inde, vous y voyez les brames long-temps souverains; en Perse, les mages ont la plus grande au torité. L'histoire des oreilles de Smerdis peut bien être une fable; mais il en résulte toujours que c'était un mage qui était sur letrône de Cyrus. Plusieurs prêtres d'Égypte prescrivaient aux rois jusqu'à la mesure de leur boire et de leur manger, élevaient leur enfance, et les jugeaient après leur mort, et souvent se faisaient rois eux-mêmes..

Si nous descendons aux Grecs, leur histoire, toute fabuleuse qu'elle est, ne nous apprendelle pas que le prophète Calchas avait assez de pouvoir dans l'armée pour sacrifier la fille du roi des rois?

Descendez encore plus bas, chez des nations sauvages postérieures aux Grecs, les druides gouvernaient la nation gauloise..

Il ne paraît pas même possible que dans les premières peuplades un peu fortes *) on ait eu d'autre gouvernement que la théocralie; car dès qu'une nation a choisi un dieu tutélaire, ce díeu a des prêtres. Ces prêtres dominent sur l'esprit de la nation: ils ne

*) On entend par premières peuplades des hommes rassemblées au nombre de quelques milliers, après plusieurs révolutions de ce globe...

peavent dominer qu'au nom de leur dieu; ils le font donc toujours parler: ils débitent ses oracles,, et c'est par un ordre exprès de Dieu que tout s'exécute.

C'est de cette source que sont venus les sacrifices de sang humain qui ont souillé presque toutes la terre. Quel père, quelle mere, aurait jamais pu abjurer la nature, au point de présenter son fils ou sa fille à un prêtre pour être égorgé sur un autel, si l'on n'avait pas été certain que le dieu du pays ordonnait ce sacrifice?

..Non-seulement la théocratie a long-temps régné, mais elle a poussé la tyrannie aux plus horribles excès où la démence humaine puisse parvenir; et plus ce gouvernement disait divin, plus il était abominable..

Presque tous les peuples ont sacrifié des enfants à leurs dieux; donc ils croyaient recevoir cet ordre dénaturé de la bouche des dieux qu'ils adoraient.

Parmi les peuples qu'on appelle si improprement civilisés, je ne vois guère que les Chinois qui n'aient pas pratiqué ces horreurs absurdes. La Chine est le seul des anciens états connus qui n'ait pas été soumis au sacerdoce; car les Japonais étaient sous les lois d'un prêtre six-cents ans avant notre ère. Presque partout ailleurs la théocratie: est si établie, si enracinée, que les premières: histoires sont celles des dieux mêmes qui se sont incarnés pour venir gouverner les hommes. Les dieux, disaient les peuples de Thèbes

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et de Memphis, ont régné douze mille ans en Egypte. Brama s'incarna pour régner dans l'Inde; Samonocodom, à Siam; le dieu Adad gouverna la Syrie; la déesse Cybele avait été souverraine de Phrygie; Jupiter, de Crete; Saturne, de Grèce et d'Italie. Le même esprit préside à toutes ces fables; c'est partout une confuse idée chez les hommes, que les dieux sont autrefois descendus sur la terre.

DES CHALDÉENS.

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LES Chaldéens,, les Indiens, les Chinois me paraissent les nations les plus anciennement policies. Nous avons une époque certaine de la science des Chaldéens; elle se trouve dans les dix-neuf cent trois ans d'observations célestes envoyées de Babylone par Callysthène au précepteur d'Alexandre. Čes tables astronomiques remontent précisément à l'année 2234 avant notre ère vulgaire. Il est vrai que cette époque touche au temps où la Vulgate place le déluge. Mais n'entrons point ici dans les profondeurs des différentes chronologies de la Vulgate, des Samaritains et des Septante, que nous révérons également. Le déluge universel est un grand miracle qui n'a rien de commun avec nos recherches. Nous ne raisonnons ici que d'après les notions naturelles, en soumettant toujours les faibles tâtonnements de notre esprit borné aux lumières d'un ordre supérieur.

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Essai sur les Moeurs. T. I.

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D'anciens auteurs, cités dans Georges-leSincelle, disent que du temps d'un roi chaldéen, nommé Xixoutrou, il y eut une terrible inondation. Le Tigre et l'Euphrate se déborderent; apparemment plus qu'à l'ordinaire. Mais les Chaldéens n'auraient pu savoir que par la révélation qu'un pareil fléau eût submergé toute la terre habitable. Encore une fois, je n'examine ici que le cours ordinaire de la nature.

Il est clair que si les Chaldéens n'avaient existé sur la terre que depuis dix-neuf cents années avant notre ère, ce court espace ne leur eût pas suffi pour trouver une partie du véritable système de notre univers; notion étonnante, à laquelle les Chaldéens étaient enfin parvenus. Aristarque de Samos nous apprend que les sages de Chaldée avaient connu combien il est impossible que la terre occupe le centre du monde planétaire; qu'ils avaient assigné au soleil cette place qui lui appartient; qu'ils faisaient rouler la terre et les autres planètes autour de lui, chacune dans un orbe différent.

Les progrès de l'esprit sont si lents, l'illusion des yeux est si puissanté, l'asservissement aux idées reçues si tyrannique, qu'il n'est pas possible qu'un peuple qui n'aurait eu que dix-neuf cents ans eût pu parvenir à ce haut degré de philosophie qui contredit les yeux, et qui demande la théorie la plus approfondie. Aussi les Chaldéens comptaient quatre cent soixante et dix mille ans;

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