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aux oiseaux et la fourrure aux ours; et ce principe est si constant, qu'il subsiste malgré toutes les passions qui le combattent, malgré les tyrans qui veulent le noyer dans le sang, malgré les imposteurs qui veulent l'anéantir dans la superstition. C'est ce qui fait que le peuple le plus grossier juge toujours très-bien, à la longue, des lois qui le gouvernent, parce qu'il sent si ces lois sont conformes ou opposées aux principes de commisération et de justice qui sont dans son

cœur.

Mais, avant d'en venir à former, une société nombreuse, un peuple, une nation, il faut un langage; et c'est le plus difficile. Sans le don de l'imitation on n'y serait jamais parvenu. On aura sans doute commencé par des cris qui auront exprimé les premiers besoins; ensuite les hommes les plus ingénieux, nés avec les organes les plus flexibles, auront formé quelques articulations que leurs enfants auront répétées; et les mères sur tout auront dénoué leurs langues les premières. Tout idiome commençant aura été composé de monosyllabes, comme plus aisés à former et à retenir.

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Nous voyons en effet que les nations les plus anciennes, qui ont conservé quelque chose de leur premier langage, expriment encore par des monosyllabes les choses les plus familières, et qui tombent les plus sous nos sens presque tout le chinois est fondé encore aujourd'hui sur des monosyllabes.

Consultez l'ancien tudesque et tous les idiomes du nord, vous verrez à peine une chose nécessaire et commune exprimée par plus d'une articulation. Tout est monosyllabes.. Zon, le soleil; moun, la lune; zé, la mer; flus, fieuve; man, l'homme; kof, la tête; boum, un arbre; drink, boire; march, marcher; shlaf, dormir, etc..

C'est avec cette brièveté qu'on s'exprimait dans les forêts des Gaules et de la Germanie et dans tout le septentrion. Les Grecs et les Romains neurent des mots plus composés que long-temps après s'être réunis en corps de peuple..

Mais par quelle sagacité avons-nous pu marquer les différences des temps? Comment aurons-nous pu exprimer les nuances je voudrais, j'aurais voulu; les choses positives, les choses conditionnelles?

Ce ne peut être que chez les nations déjà les plus policées qu'on soit parvenu, avec le temps, à rendre sensibles, par des mots composés, ces opérations secrètes de l'esprit humain. Aussi voit-on que chez les barbares il n'y a que deux ou trois temps. Les Hébreux n'exprimaient que le présent et le futur. La langue franque, si commune dans les échelles du Levant, est réduite encore à cette indigence. Et enfin, malgré tous les efforts des hommes, il n'est aucun langage qui approche de la perfection..

DE L'AMÉRIQUE.

SE peut-il qu'on demande encore d'où sont venus les hommes qui ont peuplé l'Amérique? On doit assurément faire la même question sur les nations des terres australes. Elles sont beaucoup plus éloignées du port dont partit Christophe-Colombe, que ne le sont les îles Antilles. On a trouvé des hommes et des animaux partout où la terre est habitable; qui les y a mis? On l'a déjà dit: c'est celui qui fait croître l'herbe des champs; et on ne devait pas être plus surpris de trouver en Amérique des hommes que des

mouches.

Il est assez plaisant que le jésuite Lafiteau prétende dans sa préface de l'histoire des Sauvages américains, qu'il n'y a que des athées qui puissent dire que Dieu a créé les Amé ricains.

On grave encore aujourd'hui des cartes de l'ancien monde, ou l'Amérique paraît sous le nom d'île Atlantique. Les iles du cap Verd y sont sous le nom de Gorgades; les Ca raïbes, sous celui d'ìles Hesperides. Tout cela n'est pourtant fondé que sur l'ancienne découverte des îles Canaries, et probablement de celle de Madère, où les Phéniciens et les Carthaginois voyagèrent; elles touchent presque à l'Afrique; et peut-être en étaient-elles moins éloignées dans les anciens temps qu'au jourd'hui.

Laissons le père Lafiteau faire venir les Caraïbes des peuples de Carie, à cause de la conformité du nom, et surtout parce que les femmes caraïbes faisaient la cuisine de leurs maris, ainsi que les femmes cariennes; laissons le supposer que les Caraïbes ne naissent rouges, et les Négresses noires, qu'à cause de l'habitude de leurs premiers pères de se peindre en noir ou en rouge.

Il arriva, dit-il, que les Négresses. voyant leurs maris teints en noir en eurent l'imagination si frappée, que leur race s'en ressentit pour jamais. La même chose arriva aux femmes caraïbes qui, par la même force d'imagination, accouchèrent d'enfants rouges.. Il rapporte l'exemple des brebis de Jacob, qui naquirent bigarrées par l'adresse qu'avait eue ce patriarche de mettre devant leurs yeux des branches dont la moitié était écorchée: ces branches paraissant à peu près de deux couleurs donnèrent aussi deux couleurs aux agneaux du patriarche. Mais le jésuite devait savoir que tout ce qui arrivait du temps de Jacob n'arrive plus aujourd'hui.

Si l'on avait demandé au gendre de Laban pourquoi ses brebis, voyant toujours de T'herbe, ne faisaient pas des agneaux verds," il aurait été bien embarrasé...

Enfin, Lafiteau fait venir les Américains des anciens Grecs; et voici ses raisons.. Les Grecs avaient des fables, quelques américains. en ont aussi. Les premiers Grecs allaient à la chasse, les Americains y vont. Les pre

miers Grees avaient des oracles, les Américains ont des sorciers. On dansait dans les fêtes de la Grèce, on danse en Amérique. Il faut avouer que ces raisons sont convain-,

cantes.

On peut faire, sur les nations du nouveau monde, une réflexion que le père Lafiteau n'a point faite; c'est que les peuples éloignés des tropiques ont toujours été invincibles, et que les peuples plus rapprochés des tropiques ont presque tous été soumis à des monarques. Il en fut long-temps de même dans notre continent. Mais on ne voit point que les peuples du Canada soient allés jamais subjuguer le Méxique, comme les Tartares se sont répandus dans l'Asie et dans l'Europe. Il paraît que les Canadiens ne furent jamais en assez grand nombre pour envoyer ailleurs des coLonies..

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1

être

En général, l'Amérique n'a jamais pu aussi peuplée que l'Europe et l'Asie: elle est couverte de marécages immenses qui rendent l'air très-malsain; la terre y produit un nombre prodigieux de poisons: les flèches trempées dans les sucs de ces herbes vénimeuses font des plaies toujours mortelles. La nature enfin avait donné aux Américains beaucoup moins d'industrie qu'aux hommes de l'ancien monde.. Toutes ces causes ensemble ont pu nuire beaucoup à la popu lation.

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Parmi toutes les observations physiques qu'on peut faire sur cette quatrième partie

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