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doit au moins nous faire examiner si leurs idées sur cette antiquité sont destituées de toute vraisemblance.

Tout

Pour qu'une nation soit rassemblée en corps de peuple, qu'elle soit puissante, aguerrie, savante, il est certain qu'il faut un temps prodigieux. Voyez l'Amérique: on n'y comptait que deux royaumes quand elle fut découverte, et encore dans ces deux royaumes on n'avait pas inventé l'art d'écrire. le reste de ce vaste continent était partagé, et l'est encore, en petites sociétés, à qui les arts sont inconnus. Toutes ces peuplades vivent sous des huttes; elles se vêtissent de peaux de bêtes dans les climats froids, et vont presque nues dans les tempérés. Les unes se nourrissent de la chasse, les autres de racines qu'elles pêtrissent: elles n'ont point recherché un autre genre de vie, parce qu'on ne désire point ce qu'on ne connaît pas. Leur industrie n'a pu aller au-delà de leurs besoins pressants. Les Samoïèdes, les Lapons, les habitants du nord de la Sibérie, ceux du Kamtschatka, sont encore moins avancés que les peuples de l'Amérique. La plupart des Negres, tous les Cafres, sont plongés dans la même stupidité, et y croupiront long-temps.

Il faut un concours de circonstances favorables pendant des siècles, pour qu'il se forme une grande société d'hommes rassemblés sous les mêmes lois: il en faut même pour former un langage. Les hommes n'articuleraient pas si on ne leur apprenait à pronon

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cer des paroles; ils ne jetteraient que des cris confus; ils ne se feraient entendre que par signes. Un enfant ne parle, au bout de quelque temps, que par imitation; et il ne sénoncerait qu'avec une extrême difficulté, si on laissait passer ses premières années sans dénouer sa langue.

Il a fallu peut-être plus de temps pour que des hommes, doués d'un talent singulier, aient formé et enseigné aux autres les premiers rudiments d'un langage imparfait et barbare, qu'il n'en a fallu pour parvenir ensuite à l'établissement de quelque société. Il y a même des nations entières qui n'ont jamais pu parvenir à former un langage régulier, et à prononcer distinctement: tels ont été les Troglodytes, au rapport de Pline; tels sont encore ceux qui habitent vers le cap de Bonne-Espérance. Mais qu'il y a loin de ce jargon barbare à l'art de peindre ses pensées! la distance est immense.

Cet état de brutes où le genre humain a été long-temps, dut rendre l'espèce très-rare dans tous les climats. Les hommes ne pouvaient guère suffire à leurs besoins, et, ne s'entendant pas, ils ne pouvaient se secourir. Les bêtes carnassieres, ayant plus d'instinct qu'eux, devaient couvrir la terre et dévorer une partie de l'espèce humaine.

Les hommes ne pouvaient se défendre contre les ànimaux féroces qu'en lançant des pierres, et en s'armant de grosses branches d'arbres; et de là peut-être vint cette notion

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confuse de l'antiquité, que les premiers héros combattaient contre les lions et contre les sangliers avec des massues.

Les pays les plus peuplés furent sans doute les climats chauds, où l'homme trouva une nourriture facile et abondante dans les cocos, les dattes, les ananas, et dans le riz qui croît de lui-même. Il est bien vraisemblable que l'Inde, la Chine, les bords de l'Euphrate et du Tigre, étaient très-peuplés, quand les autres régions étaient presque désertes. Dans nos climats septentrionaux, au contraire, il était beaucoup plus aisé de rencontrer une compagnie de loups qu'une société d'hommes.

DE LA CONNAISSANCE DE L'AME.

QUELLE notion tous les premiers peuples auront-ils eue de l'âme? celle qu'ont tous nos gens de campagne avant qu'ils aient entendu le catéchisme, ou même après qu'ils l'ont entendu. Ils n'acquièrent qu'une idée confuse, sur laquelle même ils ne réfléchissent jamais. La nature a eu trop de pitié d'eux pour en faire des métaphysiciens; cette nature est toujours et partout la même. Elle fit sentir aux premières sociétés qu'il y avait quelque être supérieur à l'homme, quand elles éprouvaient des fléaux extraordinaires; elle leur fit sentir de même qu'il est dans T'homme quelque chose qui agit et qui pense. Elles ne distinguaient point cette faculté de celle de la vie; et le mot d'âme signifia tou

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jours la vie chez les anciens, soit Syriens, soit Chaldéens, soit Egyptiens, soit Grecs, soit ceux qui vinrent enfin s'établir dans une partie de la Phénicie.

Par quels degrés peut-on parvenir à imaginer dans notre être physique un autre être métaphysique? Certainement des hommes, uniquement occupés de leurs besoins, n'en savaient pas assez pour se tromper en philosophes.

Il se forma, dans la suite des temps, des sociétés un peu policées, dans lesquelles un petit nombre d'hommes put avoir le loisir de réfléchir. Il doit être arrivé qu'un homme sensiblement frappé de la mort de son père, ou de son frère, ou de sa femme, avait vu dans un songe la personne qu'il regrettait. Deux ou trois songes de cette nature auront inquiété toute une peuplade. Voilà un mort qui apparaît à des vivants, et cependant ce mort, rongé des vers, est toujours en la même place. C'est donc quelque chose qui était en lui qui se promène dans l'air; c'est son âme, son ombre, ses mânes; c'est une légère figure de lui-même. Tel est le raisonnement naturel de l'ignorance qui commence à raisonner. Cette opinion est celle de tous les premiers temps connus, et doit avoir été par conséquent celle des temps ignorés. Lidée d'un être purement immatériel n'a pu se présenter à des esprits qui ne connaissaient que la matière. Il a fallu des forgerons, des charpentiers, des maçons, des laboureurs,

avant qu'il se trouvât un homme qui eût assez de loisir pour méditer. Tous les arts de la main ont sans doute précédé la métaphysique de plusieurs siècles.

Remarquons, en passant, que dans l'âge moyen de la Grèce, du temps d'Homère, T'âme n'était autre chose qu'une image aérienne du corps. Ulysse voit dans les enfers des ombres, des mânes; pouvait-il voir des esprits purs?

Nous examinerons dans la suite comment les Grecs empruntèrent des Egyptiens l'idée des enfers et de l'apothéose des morts; comment ils crurent, ainsi que d'autres peuples, une seconde vie, sans soupçonner la spiritualité de l'âme. Au contraire, ils ne pouvaient imaginer qu'un être sans corps put éprouver du bien et du mal; et je ne sais si Platon n'est pas le premier qui ait parle d'un être purement spirituel. C'est-là peutêtre un des plus grands efforts de l'intelligence humaine. Encore la spiritualité de Platon est très-contestée, et la plupart des pères de l'Eglise admirent une âme corporelle, tout platoniciens qu'ils étaient. Mais nous n'en sommes pas à ces temps si nouveaux, et nous ne considérons le monde que comme encore informe et à peine dégrossi.

DE LA RELIGION DES PREMIERS HOMMES.

LORSQUE après un grand nombre de siècles, quelques sociétés se furent établies, il est

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