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Il est doux de voir ses amis par goût et par estime; il est pénible de les cultiver par intérêt, c'est solliciter.

Il faut briguer la faveur de ceux à qui l'on veut du bien, plutôt que de ceux de qui l'on espère du bien.

On ne vole point des mêmes ailes pour sa fortune, que l'on fait pour des choses frivoles et de, fantaisie. Il y a un sentiment de liberté à suivre ses caprices, et tout au contraire de servitude à courir pour son établissement : il est naturel de le souhaiter beaucoup et d'y travailler peu, de se croire digne de le trouver sans l'avoir cherché.

Celui qui sait attendre le bien qu'il souhaite, ne prend pas le chemin de se désespérer s'il ne lui arrive pas; et celui au contraire qui désire une chose avec une grande impatience, y met trop du sien pour en être assez récompensé par le succès.

Il y a de certaines gens qui veulent si ardemment et si déterminément une certaine chose, que de peur de la manquer, ils n'oublient rien de ce qu'il faut faire pour la manquer.

Les choses les plus souhaitées n'arrivent point; ou si elles arrivent, ce n'est ni dans le temps, ni dans les circonstances où elles auraient fait un extrême plaisir.

Il faut rire avant que d'être heureux, de peur de mourir sans

avoir ri.

La vie est courte, si elle ne mérite ce nom que lorsqu'elle est agréable; puisque si l'on cousait ensemble toutes les heures que l'on passe avec ce qui plaît, l'on ferait à peine d'un grand nombre d'années une vie de quelques mois.

Qu'il est difficile d'être content de quelqu'un !

On ne pourrait se défendre de quelque joie à voir périr un méchant homme; l'on jouirait alors du fruit de sa haine, et l'on tirerait de lui tout ce qu'on en peut espérer, qui est le plaisir de sa perte. Sa mort enfin arrive, mais dans une conjoncture où nos intérêts ne nous permettent pas de nous en réjouir : il meurt trop tôt ou trop tard.

Il est pénible à un homme fier de pardonner à celui qui le surprend en faute, et qui se plaint de lui avec raison: sa fierté ne s'adoucit que lorsqu'il reprend ses avantages, et qu'il met l'autre dans son tort.

Comme nous nous affectionnons de plus en plus aux personnes à qui nous faisons du bien, de même nous haïssons violemment ceux que nous avons beaucoup offensés.

Il est également difficile d'étouffer dans les commencemens le sentiment des injures, et de le conserver après un certain nombre

d'années.

C'est par faiblesse que l'on hait un ennemi et que l'on songe à

s'en venger; et c'est par paresse que l'on s'apaise et qu'on ne se venge point.

Il y a bien autant de paresse que de faiblesse à se laisser gou

verner.

Il ne faut pas penser à gouverner un homme tout d'un coup et sans autre préparation dans une affaire importante et qui serait capitale à lui ou aux siens : il sentirait d'abord l'empire et l'ascendant qu'on veut prendre sur son esprit, et il secouerait le joug par honte ou par caprice. Il faut tenter auprès de lui les petites choses; et de là le progrès, jusqu'aux plus grandes, est immanquable. Tel ne pouvait au plus dans les commencemens qu'entreprendre de le faire partir pour la campagne ou retourner à la ville, qui finit par lui dicter un testament où il réduit son fils à la légitime.

Pour gouverner quelqu'un long-temps et absolument, il faut avoir la main légère, et ne lui faire sentir que le moins qu'il se peut sa dépendance.

Tels se laissent gouverner jusqu'à un certain point, qui audelà sont intraitables et ne se gouvernent plus: on perd tout à coup la route de leur cœur et de leur esprit : ni hauteur, ni souplesse, ni force, ni industrie, ne les peuvent dompter; avec cette diffé-. rence que quelques uns sont ainsi faits par raison et avec fondement, et quelques autres par tempérament et par humeur.

Il se trouve des hommes qui n'écoutent ni la raison ni les bons conseils, et qui s'égarent volontairement par la crainte qu'ils ont d'être gouvernés.

D'autres consentent d'être gouvernés par leurs amis en des choses presque indifférentes, et s'en font un droit de les gouverner à leur tour en des choses graves et de conséquence.

Drance (1) veut passer pour gouverner son maître, qui n'en croit rien non plus que le public parler sans cesse à un grand que l'on sert, en des lieux et en des temps où il convient le moins, lui parler à l'oreille ou en des termes mystérieux, rire jusqu'à éclater en sa présence, lui couper la parole, se mettre entre lui et ceux qui lui parlent, dédaigner ceux qui viennent faire leur cour, ou attendre impatiemment qu'ils se retirent, se mettre proche de lui en une posture trop libre, figurer avec lui le dos appuyé à une cheminée, le tirer par son habit, lui marcher sur les talons, faire le familier, prendre des libertés, marquent mieux un fat qu'un favori.

Un homme sage ni ne se laisse gouverner, ni ne cherche à gouverner les autres : il veut que la raison gouverne seule, et toujours.

Je ne haïrais

pas d'être livré par

la confiance à une personne

raisonnable, et d'en être gouverné en toutes choses, et absolument, et toujours : je serais sûr de bien faire sans avoir le soin de délibérer, je jouirais de la tranquillité de celui qui est gouverné par la raison.

Toutes les passions sont menteuses, elles se déguisent autant qu'elles le peuvent aux yeux des autres; elles se cachent à ellesmêmes: il n'y a point de vice qui n'ait une fausse ressemblance avec quelque vertu, et qui ne s'en aide.

On ouvre un livre de dévotion, et il touche: on en ouvre un autre qui est galant, et il fait son impression. Oserai-je dire que le cœur seul concilie les choses contraires, et admet les incompatibles?

Les hommes rougissent moins de leurs crimes que de leurs faiblesses et de leur vanité : tel est ouvertement injuste, violent, perfide, calomniateur, qui cache son amour ou son ambition, sans autre vue que de la cacher.

Le cas n'arrive guère où l'on puisse dire, j'étais ambitieux; ou on ne l'est point, ou on l'est toujours : mais le temps vient où l'on avoue que l'on a aimé.

Les hommes commencent par l'amour, finissent par l'ambition, et ne se trouvent dans une assiette plus tranquille que lorsqu'ils meurent.

Rien ne coûte moins à la passion que de se mettre au-dessus de la raison son grand triomphe est de l'emporter sur l'intérêt. L'on est plus sociable et d'un meilleur commerce par le cœur que par l'esprit.

Il y a de certains grands sentimens, de certaines actions nobles et élevées, que nous devons moins à la force de notre esprit, qu'à la bonté de notre naturel.

Il n'y a guère au monde un plus bel excès que celui de la reconnaissance.

Il faut être bien dénué d'esprit, si l'amour, la malignité, la nécessité, n'en font pas trouver.

Il y a des lieux que l'on admire; il y en a d'autres qui touchent, et où l'on aimerait à vivre.

Il me semble que l'on dépend des lieux pour l'esprit, l'humeur, la passion, le goût et les sentimens.

Ceux qui font bien mériteraient seuls d'être enviés, s'il n'y avait encore un meilleur parti à prendre, qui est de faire mieux, c'est une douce vengeance contre ceux qui nous donnent cette jalousie.

Quelques uns se défendent d'aimer et de faire des vers, comme de deux faibles qu'ils n'osent avouer, l'un du cœur, l'autre de l'esprit.

Il y a quelquefois dans le cours de la vie de si chers plaisirs et de si tendres engagemens que l'on nous défend, qu'il est naturel de désirer du moins qu'ils fussent permis: de si grands charmes ne peuvent être surpassés que par celui de savoir y renoncer par

vertu.

CHAPITRE V.

DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION.

UN caractère bien fade est celui de n'en avoir aucun.

C'est le rôle d'un sot d'être importun: un homme habile sent s'il convient, ou s'il ennuie; il sait disparaître le moment qui précède celui qù il serait de trop quelque part.

L'on marche sur les mauvais plaisans, et il pleut par tout pays de cette sorte d'insectes. Un bon plaisant est une pièce rare : à un homme qui est né tel, il est encore fort délicat d'en soutenir long-temps le personnage : il n'est pas ordinaire que celui qui fait rire se fasse estimer.

Il y a beaucoup d'esprits obscènes, encore plus de médisans ou de satiriques, peu de délicats. Pour badiner avec grâce, et rencontrer heureusement sur les plus petits sujets, il faut trop de manières, trop de politesse, et même trop de fécondité : c'est créer que de railler ainsi, et faire quelque chose de rien.

Si l'on faisait une sérieuse attention à tout ce qui se dit de froid, de vain et de puéril dans les entretiens ordinaires, l'on aurait honte de parler ou d'écouter, et l'on se condamnerait peut-être à un silence perpétuel, qui serait une chose pire dans le commerce que les discours inutiles. Il faut donc s'accommoder à tous les esprits; permettre comme un mal nécessaire le récit des fausses nouvelles, les vagues réflexions sur le gouvernement présent ou sur l'intérêt des princes, le débit des beaux sentimens, et qui reviennent toujours les mêmes : il faut laisser Aronce (1) parler proverbe, et Mélinde parler de soi, de ses vapeurs, de ses migraines et de ses insomnies.

L'on voit des gens (2) qui dans les conversations ou dans le peu de commerce que l'on a avec eux, vous dégoûtent par leurs ridicules expressions, par la nouveauté, et j'ose dire par l'impropriété des termes dont ils se servent, comme par l'alliance de certains mots qui ne se rencontrent ensemble que dans leur bouche, et à qui ils font signifier des choses que leurs premiers inventeurs n'ont jamais eu intention de leur faire dire. Ils ne suivent en parlant ni la raison, ni l'usage, mais leur bizarre génie, que l'envie de toujours plaisanter, et peut-être de briller,

tourne insensiblement à un jargon qui leur est propre, et qui devient enfin leur idiome naturel : ils accompagnent un langage si extravagant d'un geste affecté et d'une prononciation qui est contrefaite. Tous sont contens d'eux-mêmes et de l'agrément de leur esprit, et l'on ne peut pas dire qu'ils en soient entièrement dénués; mais on les plaint de ce peu qu'ils en ont; et, ce qui est pire, on en souffre.

:

Que dites-vous? comment? je n'y suis pas vous plairait-il de recommencer? j'y suis encore moins : je devine enfin : vous voulez, Acis, me dire qu'il fait froid; que ne disiez-vous, il fait froid: vous voulez m'apprendre qu'il pleut ou qu'il neige ; dites, il pleut, il neige: vous me trouvez bon visage, et vous désirez de m'en féliciter; dites, je vous trouve bon visage. Mais, répondez-vous, cela est bien uni et bien clair, et d'ailleurs qui ne pourrait pas en dire autant? Qu'importe, Acis? est-ce un si grand mal d'être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde? Une chose vous manque, Acis, à vous et à vos semblables les diseurs de phébus, vous ne vous en défiez point, et je vais vous jeter dans l'étonnement; une chose vous manque, c'est l'esprit ce n'est pas tout, il y a en vous une chose de trop, qui est l'opinion d'en avoir plus que les autres : voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient rien. Vous abordez cet homme, ou vous entrez dans cette chambre, je vous tire par votre habit et vous dis à l'oreille: ne songez point à avoir de l'esprit, n'en ayez point, c'est votre rôle ; ayez, si vous pouvez, un langage simple, et tel que l'ont ceux en qui vous ne trouvez aucun esprit, peut-être alors croira-t-on que vous en

ayez.

Qui peut se promettre d'éviter dans la société des hommes la rencontre de certains esprits vains, légers, familiers, délibérés, qui sont toujours dans une compagnie ceux qui parlent, et qu'il faut que les autres écoutent? On les entend de l'antichambre; on entre impunément et sans crainte de les interrompre : ils continuent leur récit sans la moindre attention pour ceux qui entrent ou qui sortent, comme pour le rang ou le mérite des personnes qui composent le cercle: ils font taire celui qui commence à conter une nouvelle, pour la dire de leur façon, qui est la meilleure; ils la tiennent de Zamet, de Buccelay, ou de Conchini *, qu'ils ne connaissent point, à qui ils n'ont jamais parlé, et qu'ils traiteraient de monseigneur s'ils leur parlaient ils s'approchent quelquefois de l'oreille du plus qualifié de l'assemblée pour le gratifier d'une circonstance que personne ne sait, et dont ils ne

* Sans dire monsieur.

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