Page images
PDF
EPUB

quent de propriété; qu'au contraire la pureté et les autres vertus du corps qui procèdent de la propre volonté, font l'impureté de l'âme.

DIRECT. Hé bien, monsieur, cela n'est-il pas beau? et où avez-vous rien vu de plus creusé et de mieux imaginé? « Il y

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

a alors une séparation si entière et si parfaite des deux parties, l'inférieure et la supérieure, qu'elles vivent ensemble comme étrangères, qui ne se connaissent pas, et les maux » les plus extraordinaires n'empêchent pas la parfaite paix, la tranquillité, la joie, l'immobilité de la partie supérieure. Voyez ce qu'en disent nos Torrens : « Dans les commencemens >> Dieu presse de si près les pauvres sens, qu'il ne leur donne >> aucune liberté; mais quand les sens sont suffisamment puri» fiés, Dieu qui veut tirer l'âme d'elle-même par un mouvement » tout contraire, permet que les sens s'extrovertissent. »

[ocr errors]
[ocr errors]

DOCT. S'extrovertir? voilà un mot bien noir et bien infernal. DIRECT. Point tant; cela veut dire, s'échappent, se débauchent, se dérèglent, ce qui paraît à l'âme une grande impureté. Cependant la chose est de saison, et en faire autrement, c'est se purifier autrement que Dieu veut, et se salir. « Cela n'empêche pas qu'il ne se fasse des fautes dans cette extro» version; mais la confusion que l'âme en reçoit, et la fidélité » à en faire usage, fait le fumier où elle pourrit plus vite, et » hâte sa mort. Tout coopère à ceux qui aiment; c'est aussi ici » où l'on perd entièrement l'estime des créatures: elles vous » regardent avec mépris. Ces âmes (continuons) paraissent des plus communes, parce qu'elles n'ont rien à l'extérieur qui les » différencie, qu'une liberté infinie, qui scandalise souvent les » âmes resserrées et rétrécies en elles-mêmes. Les âmes du se»cond ordre, je veux dire les saints et les saintes, paraissent plus grandes que les âmes du troisième ordre, qui sont nos parfaites abandonnées, à ceux qui n'ont pas ce discernement divin; car celles-là arrivent à une perfection éminente, elles » ont des unions admirables: mais cependant ces personnes ne » sont jamais véritablement anéanties, et Dieu ne les tire pas » de leur être propre, pour l'ordinaire, pour les perdre en lui. » Ces âmes font pourtant l'admiration et l'étonnement des >> hommes, elles sont les prodiges et les miracles de leur siècle: » Dieu se sert d'elles pour en faire ses saints; il semble qu'il » prenne plaisir d'accomplir tous leurs désirs. Ces âmes sont » dans une grande mortification ; on les croira dans les mêmes » voies des dernières et plus avancées : elles se servent des » mêmes termes de mort, de perte, d'anéantissement, et il est

[ocr errors]
[ocr errors]

>>

[ocr errors]

» bien vrai qu'elles meurent en leur manière, qu'elles s'anéan» tissent et se perdent ; elles portent leur perfection où elle peut aller; elles sont détachées, elles aiment la pauvreté; cependant elles sont et seront toujours propriétaires de la vertu, » mais d'une manière si délicate, que les seuls yeux divins le » peuvent découvrir. La plupart des saints, dont la vie est si » admirable, ont été conduits par cette voie. Ces âmes sont si chargées de marchandises, que leur marche est fort lente. Que faut-il donc faire? Ces âmes ne sortiront-elles jamais de >> cette voie? Non, sans un miracle et sans une conduite d'une >> direction toute divine, qui les porte à outre-passer toutes ces grâces. »

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

DOCT. Vous devez être content, mon père, de l'effort que vous venez de faire en faveur de vos âmes du parfait abandon, et de l'union essentielle; car les voilà au-dessus des martyrs et des confesseurs, des vierges, et de tous les saints que nous invoquons, qui sont nos intercesseurs auprès de Dieu, auxquels l'Église consacre des jours et des prières.

DIRECT. Je n'ai rien dit sur cela qui ne soit extrait fidèlement de notre livre des Torrens, et nous sommes tous d'un même sentiment. Aussi est-il admirable de lire dans nos mêmes Torrens les mystérieuses, sublimes et magnifiques paroles qu'ils emploient pour exprimer l'état de l'âme unie à Dieu dans cette vie, et pour donner l'idée de l'union essentielle, qui est la béatitude: «L'âme, après bien des morts redoublées, expire enfin dans les >> bras de l'amour; mais elle n'aperçoit point ces mêmes bras. » Elle n'est pas plutôt expirée, qu'elle perd tout acte de vie, » pour simple et délicat qu'il fût: ici toutes distinctions d'ac» tions sont ôtées, n'ayant plus de vertu propre, mais tout » étant Dieu à cette âme.

[ocr errors]

» L'âme, continue ce sublime livre, l'âme ne se sent plus ne se voit plus, ne se connaît plus; elle ne voit rien de Dieu,

[ocr errors]

» n'en comprend rien, n'en distingue rien; il n'y a plus d'a»mour, de lumière, ni de connaissance. »

DOCT. Voilà en vérité, mon père, une âme fort illuminée. DIRECT. « L'âme, dit tout de suite le même auteur, a perdu » toute volonté : ici l'âme n'en a plus de propre ; et si vous lui » demandiez ce qu'elle veut, elle ne le pourrait dire : elle ne peut plus choisir; tous ses désirs sont ôtés; parce qu'étant » dans le centre et dans le tout, le cœur perd toute pensée » tendance et activité; cé torrent n'a plus de pente ni de mou» vement, il est dans le repos et dans la fin. »

>>

DOCT. Vous vous laissez insensiblement aller à nous entretenir

du repos et de la félicité de l'autre vie, et vous en parlez même aussi affirmativement que si vous l'aviez vue.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

DIRECT. Je ne parle, monsieur, que de ce que chacun de nous expérimente pendant sa vie, et autant qu'il lui plaît, cela est trivial. « Cette âme, dit-il ailleurs, ne sent pas, n'est pas en peine de chercher, ni de rien faire; elle demeure comme » elle est, cela lui suffit: mais que fait-elle? rien, et toujours » rien. L'âme, dit le Moyen court et facile, ne peut être unie » à Dieu, qu'elle ne soit dans un repos central, et dans la pu»reté de sa création. Et dans notre Cantique des Cantiques : il y a des personnes qui disent qu'une telle union ne se peut faire en cette vie; mais je tiens pour certain qu'elle se peut faire » en celle-ci. Les Torrens enseignent aussi que c'est par une perte de volonté en Dieu que l'union arrive jusques à un état » de déification, où tout est Dieu, sans savoir que cela est ainsi : l'âme est établie par cet état dans son bien souverain, sans changement; elle est dans la béatitude foncière, où rien »> ne peut traverser ce bonheur parfait, lorsqu'il est par cet état » permanent: Dieu donne l'état d'une manière permanente, y » établit l'âme pour toujours. » Mais voulez-vous rien voir de plus précis et en même temps de plus glorieux pour cette âme du parfait abandon ? C'est dans l'explication de notre Cantique des Cantiques, retenez ces paroles-ci : « L'âme ne doit plus >> faire de distinction de Dieu et d'elle: Dieu est elle, et elle est » Dieu. >>>

[ocr errors]

"

[ocr errors]

DOCT. Vraiment, mon père, elles sont d'une nature à ne pouvoir pas sortir de la mémoire; et, comme je l'espère, madame qui l'a si excellente, ne les oubliera pas.

PÉNIT. Je compte bien, mon frère, de ne les pas oublier; mais souvenez-vous aussi que nous sommes entrés ici à près de quatre heures ; le révérend père a parlé long-temps, et a besoin de repos.

DOCT. Je ne saurais me repentir sérieusement des peines que je lui ai attirées, quand je lui dois des découvertes qu'il m'a fait faire sur l'union essentielle, dont j'avoue que je n'avais eu jusqu'à présent qu'une connaissance assez imparfaite; et véritablement il y a des notions sur cette matière qui ne se peuvent pas deviner.

DIRECT. Oui, oui, il y a quelque chose d'abstrait, d'impliqué, et qui n'entre pas d'abord sous les sens. Les choses fort mystiques sont comme cela.

DOCT. Je ne vous quitte pas au reste, mon révérend père, de la conversation que vous m'avez promise sur l'amour de Dieu;

car il est étonnant que vous ne l'admettiez pas dans votre béatitude.

PÉNIT. Vous allez, mon frère, recommencer si vous n'y prenez garde. Je vous prie, laissons le père, je vous promets de vous ramener ici quand il vous plaira, pourvu qu'il veuille y consentir.

DIRECT. Vous ne sauriez trop tôt dégager votre parole.
DOCT. J'aurai soin de l'en faire souvenir.

PÉNIT. Je ne me ferai pas beaucoup prier d'une chose où j'ai plus d'intérêt que vous, et que je souhaite de même.

FIN.

OUVRAGES des Auteurs Quiétistes, d'où sont tirées les preuves de ce qui est avancé dans ces Dialogues.

La Guide spirituelle de Molinos, prêtre Espagnol; en italien, Rome, 1685; en latin, Leipsik, 1685; en français, Amsterdam, 1688. Lettres du même.

Lettre de Jean Falconi, de l'Ordre de la Merci, à une Fille spirituelle.

Moyen court de madame Guyon; Lyon, 1686.

Explication du Cantique des Cantiques, par la même; Lyon, 1688. Traité des Torrens, manuscrit.

Analyse de l'Oraison mentale du P. de La Combe; Verceil, 1686. Pratique facile pour élever l'âme à la contemplation, par Malaval de Marseille, imprimé plusieurs fois.

Lettre du même à M. Foresta de Colongues, pour répondre aux propositions de Molinos; Marseille, 1695.

Conférences mystiques d'Epiphane, abbé d'Estival en Lorraine, de l'Ordre de Prémontré; Paris, 1676.

Règle des Associés à l'Enfance de Jésus, imprimée plusieurs fois.

NOTICE

OTICE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES DE LA BRUYÈRE.

Page

LES CARACTÈRES OU LES MOEURS DE CE SIÈCLE.

CHAPITRE PREMIER. Des Ouvrages de l'esprit.
CHAPITRE II. Du Mérite personnel.

CHAPITRE III. Des Femmes.

CHAPITRE IV. Du Cœur.

CHAPITRE V. De la Société et de la Conversation.

CHAPITRE VI. Des Biens de Fortune.

CHAPITRE VII. De la Ville.

CHAPITRE VIII. De la Cour.

CHAPITRE IX. Des Grands.

CHAPITRE X. Du Souverain ou de la République.

CHAPITRE XI. De l'Homme.

CHAPITRE XII. Des Jugemens.

CHAPITRE XIII. De la Mode.

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small]
[blocks in formation]

229

[blocks in formation]

CHAPITRE III. De l'Impertinent, ou du Diseur de riens.

281

CHAPITRE IV. De la Rusticité.

ibid.

CHAPITRE V. Du Complaisant, ou de l'Envie de plaire.

283

CHAPITRE VI. De l'image d'un Coquin.

284

CHAPITRE VII. Du grand Parleur.

285

CHAPITRE VIII. Du débit des Nouvelles.

287

CHAPITRE XII. Du Contre-temps.

CHAPITRE XIII. De l'Air empressé.

CHAPITRE XIV. De la Stupidité.

CHAPITRE IX. De l'Effronterie causée par l'avarice.

CHAPITRE X. De l'Épargne sordide.

CHAPITRE XI. De l'Impudent, ou de celui qui ne rougit de rien.

288

289

290

292

293

ibid.

CHAPITRE XV. De la Brutalité.
CHAPITRE XVI. De la Superstition.
CHAPITRE XVII. De l'Esprit chagrin.
CHAPITRE XVIII. De la Défiance.

294

295

296

297

[ocr errors]
« PreviousContinue »