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jusqu'au fond ce que l'on est. Mais ce sont peut-être des pé» chés? Dieu a horreur de moi; mais que faire? Il faut souffrir; » il n'y a pas de remède. »

Docr. J'écoute, mon père, de toutes mes oreilles; mais je ne vois point dans tout ce que vous m'avez dit, votre union de l'âme avec Dieu, ni rien même qui en approche, à moins que ce ne soit à l'endroit où elle est insensible à la privation du soleil de justice, c'est-à-dire, à la grâce de Jésus-Christ.

DIRECT. N'avez-vous pas encore compris, monsieur, que cette bienheureuse âme étant morte par la privation de toutes les vertus, comme nous avons dit, elle a perdu toute vertu propre, et ainsi toute propriété? « Elle n'est donc pure dorénavant que » de la pureté divine; j'entends pure de la pureté du fond dans lequel elle est transformée au centre par lequel elle est attirée; » cela est-il si incompréhensible?

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» La félicité de l'âme dans cet état, consiste à se laisser ensevelir, enterrer, écraser, marcher sans se remuer non plus qu'un mort; à souffrir sa puanteur, et se laisser pourrir dans » toute l'étendue de la volonté de Dieu, sans aller chercher de quoi éviter la corruption : Non, non, laissez-vous telles que » yous êtes, pauvres âmes, sentez votre puanteur, il faut que >> vous la connaissiez, et que vous voyiez le fond infini de corruption qui est en vous: Mettre du baume et tâcher par quelque moyen vertueux et bon de couvrir la corruption, et » d'en empêcher l'odeur : Oh! ne le faites pas, vous vous feriez » tort. Dieu vous souffre bien, pourquoi ne vous souffririez» vous pas?

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DOCT. Cela est-il tiré de votre livre des Torrens?

DIRECT. Mot pour mot, monsieur, je ne vous dérobe rien. DocT. Cet endroit-ci est clair, et défend bien formellement aux âmes souillées de péchés, même les plus sales et les plus honteux, d'appliquer à leurs plaies le baume des vertus, comme de la chasteté, de la continence, de la tempérance.

DIRECT. Vous frappez au but, et je ne sache pas qu'aucun de nous l'ait encore entendu d'une autre manière. Les mots de corruption, de pourriture, de puanteur, mènent là tout droit. Voyez l'endroit qui suit : « Enfin cette âme commence à ne plus >> sentir sa puanteur, à s'y faire, à Ꭹ demeurer en repos, sans espérance d'en sortir jamais, sans pouvoir rien faire pour cela. » DOCT. Je vous suis voilà cette âme qui croupit dans son péché.

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DIRECT. C'est alors que commence l'anéantissement.
DOCT. Quoi, l'humilité chrétienne?

DIRECT.« Non, vraiment, mais la perte de toutes grâces et » de toutes vertus; ne l'oubliez pas. Autrefois en cet état, elle » se faisait horreur; elle n'y pense plus; elle est dans la dernière » misère, jusqu'à n'en avoir plus d'horreur. Autrefois elle craignait encore la communion, de peur d'infecter Dieu; à présent elle y va comme à table, tout naturellement.

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DOCT. » Et sans craindre d'infecter Dieu par ses péchés et ses » ordures, qui ne lui font plus d'horreur, qui ne lui font plus >> aucun scrupule, qui ne lui pèsent plus sur la conscience, auxquels elle serait fâchée de donner la plus petite attention. Suis-je dans le fait ?

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DIRECT. » Les autres ne la voient plus qu'avec horreur; mais >> cela ne lui fait point de peine : elle est même ravie que Dieu » ne la regarde plus; qu'il la laisse dans la pourriture, et qu'il » donne aux autres toutes ses grâces, que les autres soient l'objet » de ses affections, et qu'elle ne cause que de l'horreur. Vou» loir être rien aux yeux de Dieu, demeurer dans un entier » abandon, dans le désespoir même, se donner à lui lorsque » l'on en est le plus rebuté, s'y laisser et ne se pas regarder soi» même lorsque l'on est sur le bord de l'abîme; c'est ce qui est » très-rare, et qui fait l'abandon parfait. De dire les épreuves étranges qu'il fait de ces âmes du parfait abandon qui ne lui » résistent en rien, c'est ce qui ne se peut, et ne serait pas compris. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il ne leur laisse pas une chose qui puisse se nommer ni en Dieu, ni hors de » Dieu »>

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Docт. Je remarque, mon père, qu'après avoir plongé cette pauvre âme dans le désespoir, dans la corruption, et dans la pourriture, comme si ce ne devait être que le commencement de ses souffrances; vous nous parlez d'épreuves si étranges et si inquies qui doivent encore l'exercer, qu'il semble que vous les taisiez par la défiance où vous êtes qu'elles ne soient pas comprises. Je doute aussi de ma part, que madame et moi devions vous les demander avec plus d'instance; car enfin nous pourrions apprendre des choses abominables.

DIRECT. Mais, monsieur, faut-il s'expliquer plus clairement sur cette matière? N'est-ce rien vous dire quand on vous dit, que Dieu ne laisse pas à ces âmes l'ombre d'une chose qui se puisse nommer ni en Dieu ni hors de Dieu ? Comprenez, si vous pouvez, l'étendue de ces paroles ; cela est immense.

DOCT. Quoi, mon père, plus d'amour de Dieu? plus de crainte de Dieu, et de ses jugemens? plus de foi, plus d'espérance, plus de vertus, plus de bonnes œuvres, plus d'humilité, plus

de continence, plus de chasteté, plus de grâces? Dieu, est si bon; il est si miséricordieux : exigerait-il d'une âme un si prodigieux abandonnement ?

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DIRECT. « Lisez, monsieur, nos Torrens; vous y verrez qu'une âme de ce degré, porte un fond de soumission à toutes les » volontés de Dieu; de manière qu'elle ne voudrait pas lui rien refuser mais lorsque Dieu explique ses desseins particuliers, et qu'usant des droits qu'il a acquis sur elle, il lui demande » les derniers renoncemens et les plus extrêmes sacrifices; ah! c'est pour lors, que ses entrailles sont émues, et qu'elle souffre » bien de la peine.

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DOCT. Je vous l'avoue, mon père, me voilà bien impatient de savoir quels peuvent être ces derniers renoncemens, et ces plus extrêmes sacrifices; car ce doit être quelque chose de plus fort que tout le reste qui emporte si aisément le consentement et la soumission de cette âme; s'agirait-il seulement pour cette âme du sacrifice de la virginité, ou en général de la chasteté?

DIRECT. Oh, monsieur, il n'y a guères d'apparence; car dans notre Cantique des Cantiques, à propos des lis de la chasteté, il est dit : « Que ceux de l'âme plaisent plus à Dieu que ceux du » corps » on veut dire que la perte de la propriété, qui est la pureté de l'âme, est plus agréable à Dieu que la continence ou la pureté du corps. Ainsi vous voyez bien, qu'il s'agit ici pour l'âme d'un plus grand sacrifice que celui de la chasteté.

DOCT. S'agirait-il pour elle, du renoncement à la grâce de sa justification? Dieu lui demanderait-il pour dernière épreuve, qu'elle consentît à sa réprobation dernière? cela fait de la peine seulement à penser.

DIRECT. Mais quelle peine?

DOCT. Quoi, mon père, qu'elle consentît, cette âme, à être pour toujours privée de la gloire de Dieu ?

DIRECT. Pourquoi non? et nos Torrens y sont formels. « Cette >> âme serait aussi indifférente d'être toute une éternité avec les » démons qu'avec les anges. Les démons lui sont Dieu comme » le reste, et il ne lui est plus possible de voir un être créé hors » de l'ordre incréé, étant tout, et en tout Dieu, aussi-bien dans >> un diable que dans un saint, quoique différemment. Je crois que si une telle âme était conduite en enfer, elle en souffrirait >> les douleurs cruelles dans un contentement achevé, non con» tentement causé seulement par la vue du bon plaisir de Dieu, >> mais contentement essentiel à cause de la beatitude du fond » transformé, et c'est ce qui fait la béatitude de ces, âmes pour » tout état. »

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DOCT. En vérité, mon père, voilà des choses bien nouvelles et d'étranges mystères! il n'y a au monde que vous autres qui puissiez trouver en enfer et dans la compagnie des démons, une beatitude essentielle d'un fond transformé, et le reste que je ne puis expliquer faute de l'entendre.

DIRECT. Vous entendez peut-être aussi peu les précipices affreux où tombe cette âme par la moindre résistance qu'elle apporte à la volonté de Dieu qui exige d'elle les extrêmes sacrifices; cependant nos Torrens ne parlent d'autre chose. « Combien >> êtes-vous jaloux, ô divin époux, que votre amante fasse toutes » vos volontés, puisqu'une simple excuse qui passe si vite, vous » offense si fort? Ne pouviez-vous pas empêcher une épouse si chère, si fidèle, de vous faire cette résistance?

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L'époux permet cette faute dans son épouse, afin de la punir, et de la purifier en même temps de l'attache qu'elle avait » à sa pureté et à son innocence, et de la répugnance qu'elle >> sentait au dépouillement de sa propre justice. » Et dans un autre endroit vous lisez : « Cette amante affligée oubliant ses

blessures, quoiqu'elles saignent encore, ne se souvient plus » de sa perte, elle n'en parle pas même, et quand elle se ver» rait précipitée dans l'abîme, elle n'y ferait point de réflexion. » Celle qu'elle venait de faire par l'appréhension de se salir, lui a trop coûté, puisqu'elle lui a causé l'absence de son époux; » de sorte qu'instruite par sa disgrâce, elle ne peut plus se regarder, et quand elle serait aussi affreuse qu'elle est belle, » elle ne pourrait pas y penser.

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» Cette âme plus avancée n'est pas si bien établie dans son état en Dieu, qu'elle ne puisse encore jeter quelques regards sur elle-même; c'est une infidélité, mais qui est rare, et qui ne » vient que de faiblesse. L'époux a permis que son épouse ait » fait cette légère faute, afin de nous instruire par là du dom» mage que cause la propre réflexion dans les états les plus » avancés. Elle est donc rentrée pour un moment en elle-même » sous les meilleurs prétextes du monde ; c'était pour y voir les » fruits de l'anéantissement, si la vigne fleurissait, si elle avançait, si la charité était féconde; cela ne paraît-il pas juste et » très-raisonnable? »

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DOCT. Si raisonnable et si juste, mon père, que cette attention sur nous-même, est le principe de toute la conduite chrétienne, et qu'elle nous est expressément recommandée par saint Paul, et après lui, par tous les Pères de l'Église.

DIRECT. « Je le faisais, dit-elle, sans y penser, et sans croire » faire mal, ni déplaire à mon époux; cependant je n'ai pas

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plutôt fait cette faute, que mon âme a été troublée par mille » et mille réflexions qui roulaient dans ma tête, qui m'allaient perdre. Cette pauvre âme est obligée après avoir tout perdu » de se perdre elle-même par un entier désespoir de tout; elle » est comme une personne qui n'est plus et qui ne sera plus ja» mais; elle ne fait ni bien ni mal. »>

DOCT. Quoi dans un entier désespoir de tout? voilà qui est bien intelligible, mais mon père, songez-vous bien aux dispositions préalables que vous imposez à une pauvre âme pour se rendre digne d'être unie à Dieu, comme de se livrer au démon, de se prostituer dans tous les désordres imaginables, de s'abandonner à toutes sortes d'excès, et de regarder comme une noire infidélité la moindre réflexion salutaire qui lui viendrait sur son état si misérable, et qui pourrait contribuer à l'en faire sortir? Encore une fois, mon père, parlez-vous sérieusement? Est-ce un jeu d'esprit ? est-ce un délire ?

DIRECT. Je vous réponds, monsieur, avec l'incomparable auteur des Torrens : « Ne portéz point de compassion à ces âmes,

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et laissez-les dans leurs ordures apparentes, qui sont cepen» dant les délices de Dieu, jusqu'à ce que de ces désordres re»> naisse une vie nouvelle. » Et un peu après « Il n'y a point » pour elles de malignité en quoi que ce soit, à cause de l'unité » essentielle qu'elles ont avec Dieu, qui, en concourant avec » les pécheurs, ne contracte rien de leur malice, à cause de sa pureté essentielle. Ceci est plus réel qu'on ne peut dire, et » cette âme participe à la pureté de Dieu : ou plutôt toute pu» reté propre, qui n'est qu'une impureté grossière, ayant été anéantie, la seule pureté de Dieu en lui-même subsiste dans ce néant, mais d'une manière si réelle, que l'âme est dans une parfaite ignorance du mal, et comme impuissante de le con» naître ce qui n'empêche pas qu'on ne puisse toujours dé» choir, mais cela n'arrive guère ici, à cause du profond anéan>> tissement où est l'âme, qui ne lui laisse, prenez garde mon»sieur, qui ne lui laisse aucune propriété ; et la seule propriété peut causer le péché ; car quiconque n'est plus, ne peut plus pécher. Et cela est si vrai, que les âmes dont je parle ne » peuvent presque jamais se confesser, ne pouvant rien trouver en elles de vivant, et qui puisse avoir voulu offenser Dieu, à cause de la perte entière de leur volonté en Dieu.

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DocT. Si je l'ai bien compris, mon père, il résulte littéralement de toute cette sublime théologie que vous venez de nous étaler, que les impuretés et les souillures du corps font la pureté de l'âme, qui n'a plus alors de vertu propre, et par consé

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