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notre purgatoire et notre paradis; et sur ce modèle il est bie clair que vous avez formé votre système. C'était une riche inver tion, de placer dans ce monde un purgatoire, où tous les pé chés fussent expiés, et qui fût suivi d'une béatitude parfaite vous le trouvez dans votre martyre spirituel. C'était un mervei leux attrait, que la possession de Dieu dès cette vie, donnée por récompense aux âmes qui ont langui dans le prétendu martyre vous l'avez dans l'union essentielle. Arriver à un état si sublime et à une si parfaite félicité par la pratique de la loi de JésusChrist, par les commandemens de Dieu et de son Église, par l foi, l'espérance, et la charité, c'était entrer dans d'importun détails, ou dire des choses bien triviales: L'indifférence sur tout cela, et le parfait abandon aux décrets divins, sont au contraire une nouvelle découverte.

DIRECT. Vous y êtes, voilà tout le mystère.

DOCT. Mais, mon père, permettez-moi de vous faire une petite question, nullement pour vous faire de la peine, mais pour m'éclaircir et m'instruire. Allez-vous à Dieu par Jésus-Christ?

Car voilà selon nous l'essence de la religion chrétienne.

DIRECT. Vraiment, monsieur, il faut débuter par là nécessairement; nous l'inspirons autant qu'il nous est possible à tous nos commençans.

DocT. Je le crois, mon père, puisque vous le dites; mais demeurez-vous en Dieu par Jésus-Christ?

PÉNIT. Oh! mon frère, voilà une belle demande que vous faites là au révérend père; l'un ne suit-il pas de l'autre indispensablement ?

DIRECT. Excusez-moi, madame, la question est très-bien formée par monsieur le docteur, et nos livres sont pleins de maximes et de décisions sur cette matière. Par exemple, monsieur, sans aller plus loin, vous pouvez lire dans notre explication du Cantique des Cantiques, une question presque semblable à la vôtre. On demande, savoir, si l'âme arrivée en Dieu parle de JésusChrist, et peut penser encore à sa divine personne. C'est à la page 6. Et on répond: « Que l'union à Jésus-Christ a précédé » d'un très-long temps l'union essentielle; mais que pour une âme parvenue à ce dernier et sublime état, celui d'être unie à Jésus» Christ, et de penser encore à sa divine personne, est abso>> lument passé. >> N'est-ce pas là ce que vous demandez ? Mais voulez-vous rien de plus positif que ce que je vous montrerai écrit quelque part, en termes exprès : « Que l'idée de Jésus>> Christ après avoir éclipsé l'idée de toutes les créatures, s'éclipse | » insensiblement elle-même, pour laisser l'âme dans la vue con» fuse et générale de Dieu. »

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Bien plus, un de nos docteurs assure « que dans l'oraison (il parle de la grande oraison) il faut voir seulement une foi » obscure et universelle, et oublier toutes sortes de réflexions particulières : On ne doit pas même, selon lui, penser à Jé» sus-Christ (1). L'âme est surprise, dit un autre, quand sans » avoir pensé, en aucun état, aux inclinations de Jésus-Christ depuis les dix, les vingt, les trente années, elle les trouve imprimées en elle par état. Les inclinations sont la petitesse, la pauvreté, etc. » Il va plus loin, et parle décisivement: « L'âme, poursuit-il, dans toute la voie, n'a pas de vue distincte de Jé>> sus-Christ ; » où vous remarquerez que voilà Jésus-Christ interdit, même aux commençans (2).

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DocT. Et j'ajoute, mon père, inutile au salut, à ceux du moins qui cherchent à se le procurer par votre méthode.

DIRECT. Il n'avance pas cela en l'air, et il n'est pas seul de son sentiment; car vous lisez ailleurs : Que dans la voie mystique, il ne faut pas de représentation du corps de Jésus-Christ. DOCT. C'est-à-dire, chez vous autres ?

DIRECT. Sans doute, et que la foi suffit pour la justification, sans aucun souvenir de Jésus-Christ.

DOCT. Je vous ai écouté, mon père, avec toute la patience dont je suis capable : mais il me semble que vous n'avez pas encore répondu précisément à ma question, qui était de savoir, si comme on va à Dieu par Jésus-Christ, on demeure en Dieu par Jésus-Christ.

DIRECT. Premièrement, monsieur, quand on vous dit, que dans ce sublime état d'union essentielle, il n'est plus donné à l'âme de penser à Jésus-Christ, de recevoir l'idée et le souvenir de Jésus-Christ, c'est ce me semble vous répondre, que cette âme n'est pas unie à Dieu par Jésus-Christ. Que voudriez-vous davantage? Serait-ce d'être sûr que bien que cette âme ait commencé d'aller à Dieu par Jésus-Christ comme médiateur, elle est en Dieu, elle est avec Dieu sans médiateur? A cela ne tienne que vous ne soyez satisfait. Ce même auteur vous apprendra, monsieur, «< que l'âme » dans cet état d'union essentielle, devient forte, immuable, qu'elle a perdu tout moyen, qu'elle est dans la fin: Et ailleurs, que cette » union est non-seulement essentielle, mais immédiate et sans » moyen, plus substantielle que l'union hypostatique. » C'est

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(1) Quand nous sommes en Dieu, qu'est-ce que nous prétendions en considérant la vie et la passion du Sauveur? Il ne faut plus reculer en arrière, en retournant aux méditations ni aux considérations raisonnées sur sa vie et sa passion: Il ne faut pas quitter la fin pour les moyens. Malaval, Pratique facile.

(2) Dans le livre des Torrens.

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mon cher monsieur, que l'union centrale avec Dieu, tient lieu de Jésus-Christ son fils; vous savez la force des termes, il ne dit pas par Jésus son fils. Et un peu plus bas : « La voix de la tour>> terelle de mon humanité vous invite à venir vous perdre et ca» cher avec elle (elle ne dit pas par elle) dans le sein de mon père (1). » Et ensuite : « La passion qu'elle a d'aller dans le sein » de Dieu, fait que sans considérer qu'elle y doit être avec lui, >> elle dit qu'elle veut s'y introduire. » Mais plus clairement encore dans quelques pages suivantes : « Il faut, y est-il dit, monter » plus haut (c'est Jésus-Christ que l'on fait parler à l'âme) et >> outre-passer toutes choses pour entrer avec moi (le Para» phraste se donne bien de garde de dire, par moi) dans le sein » de mon père, et vous y reposer sans milieu et par la perte de » tout moyen. » Voulez-vous, monsieur, des termes plus clairs et des passages plus formels pour détruire la médiation de Jésus-Christ que ceux que je vous apporte ?

DOCT. J'en suis content, mon père, et je doute fort, que si on en avait lu de pareils dans saint Paul et dans les premiers docteurs de l'Église, la foi du médiateur eût pu parvenir jusqu'à nous aussi constante qu'elle me le paraît. Mais cela me donne la curiosité de connaître à fond cette union immédiate et essentielle vous dites être la récompense du martyre spirituel, et l'heureux effet de l'abandon à la volonté divine.

que

DIRECT. Ah! je vois bien, monsieur, que vous voulez que je vous dise des nouvelles de notre parfaite béatitude, et comme vous disiez tantôt, de notre paradis. Ce sujet est grand, merveilleux, et par soi-même, et dans les suites; et vous me permettrez de vous dire, que si nous commencions si tard une matière si étendue et si importante, nous courrions risque de n'en pas voir la fin avant le temps que nous serons obligés de nous séparer. Ainsi et pour notre commune satisfaction, et pour l'utilité de madame votre belle-sœur, il la faut prier de nous ménager une seconde entrevue, où j'espère de vous renvoyer content sur les éclaircissemens que vous désirez de moi. Vous voyez que je ne vous cache rien, et vous pourrez bientôt vous vanter de connaître le fond de nos mystères, autant du moins que je suis capable de vous les révéler; car il me paraît que vos intentions sont droites.

DOCT. Elles ne peuvent l'être davantage, mon père, je cherche le salut de ma sœur, et rien autre chose. Elle peut nous faire retrouver ensemble, et je suis prêt pour le jour et l'heure qu'elle voudra me conduire ici une seconde fois.

DIRECT. Je vous attends tous deux avec impatience.

(1) Dans l'Explicat. du Cant. des Cant. p. 57.

Oraison de foi pure, parfaite béatitude. Idée de Dieu présent partout, seul objet de cette foi. Baisers, attouchemens, mariages, martyres spirituels. Propriété et activité opposées à l'union essentielle, et sources de tout déréglement. Abandon parfait, mort spirituelle. Suites horribles de ces principes, découvertes et avouées en partie par les Quiétistes, avec la réfutation de leurs explications. Compatibilité de l'état d'union essentielle avec les crimes les plus énormes.

DOCTEUR. Ce que nous dîmes hier, mon père, a une trop intime liaison avec ce qui se doit traiter aujourd'hui, pour les séparer par un plus long intervalle de temps; et sans autre préambule, souffrez que je commence par vous demander une chose.

DIRECTEUR. Vous êtes le maître, monsieur, et je ne suis ici que pour vous répondre.

DOCT. N'est-il pas écrit quelque part, que l'oraison de foi pure fait la parfaite béatitude?

DIRECT. C'est au Cantique des Cantiques, je veux dire dans l'explication que nous en faisons, et dans l'endroit où il est dit : Que la vue de Dieu n'est pas l'essentielle béatitude, et que la foi pure suffit (1).

DOCT. Distinguez-vous foi pure, d'avec l'oraison de foi pure? DIRECT. C'est la même chose.

DocT. Vous ne distinguez pas aussi, ce me semble, l'oraison de foi pure, d'avec l'oraison de vue confuse, et immédiate de Dieu, que vous appelez autrement la grande oraison, l'oraison de simple regard, de simple présence de Dieu en tous lieux (2).

(1) Voyez la note 2, pag. 388.

(2) La foi par laquelle on croit que Dieu est partout, sert à le rendre présent; mais l'idée de son existence et de ses perfections y demeure. L'idée de Dieu qui est dans mon entendement n'est pas partout, parce qu'elle n'est qu'en moi, et que ce n'est pas la présence de Dieu que je contemple, et Dieu le Père, Fils et Saint-Esprit, selon la théologie. Si Dieu n'était point partout, il se trouverait dans l'âme du Juste, et qu'ainsi par proportion celui qui contemple Dieu, en l'adorant, et en l'aimant, ne le contemple pas, parce qu'il est partout où peut aller le contemplateur, mais parce qu'il est Dieu, qu'il est saint, qu'il est parfait, qu'il est tout. L'idée de Dieu est le fondement de l'édifice et le souvenir de Dieu, que l'on entretient par un acte continuellement et suavement réitéré avec la grâce, est une toile d'attente pour recevoir tout ce que Dieu nous voudra inspirer tantôt seul, tantôt avec nous. Malaval, Réponse à Foresta.

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Pour avancer une âme de plus en plus dans la perfection, il faut qu'elle s'engage moins que de coutume dans les opérations sensibles, et qu'elle s'éloigne de tout ce qui a quelque rapport aux puissances corporelles.

Pour s'avancer dans la perfection, il faut avoir une foi vive, que Dieu rem

DIRECT. Tous ces mots sont synonymes.

DOCT. Croyez-vous, mon père, que dans cette oraison de simple présence, il y ait quelque chose d'assez surnaturel pour tenir lieu à l'âme de sa parfaite béatitude?

DIRECT. Oui, par l'union essentielle qu'elle cause à cette âme (1). DocT. Mais, mon père, parlons de bonne foi, croyez-vous que les païens n'eussent pas l'idée de Dieu, de Jupiter maître et souverain des dieux et des hommes ?

DIRECT. Sans doute, mais que concluez-vous de là?

DOCT. Patience, mon père; ne croyez-vous pas aussi que les païens ont eu attention à Dieu ? Qu'ils lui ont fait des voeux? Qu'ils lui ont adressé des oraisons? Vous faudrait-il rapporter ce qu'on lit encore dans leurs poëtes?

DIRECT. Cela n'est pas nécessaire.

DOCT. Je vous demande donc, mon père, quelle idée de Dieu, quelle vue, quelle connaissance de ce souverain Être pouvaientils avoir ? pensez-vous qu'elle fût bien claire et bien distincte ? Et si elle n'était pas telle, que pouvait-elle être, je vous prie, que confuse et indistincte?

DIRECT. Mais, monsieur, vous me permettrez de vous interplit tout de son essence, de sa présence et de sa puissance. Falconi, Lettre à une fille spirituelle.

Les philosophes connaissent Dieu, les chrétiens le croient, les gens de méditation le considèrent; mais les contemplatifs le possèdent, parce qu'ils ne regardent fixement et invariablement que lui. Malaval, Pratique facile.

Les perfections de Dieu, comme sa bonté, sa sagesse, sa toute-puissance, son éternité, sa science, et ainsi des autres, ne doivent être considérées, que pour nous élever à lui-même. Ibid.

La contemplation est une simple vue de Dieu présent, appuyée sur la foi que Dieu est partout et qu'il est tout. Ibid.

Il y a deux manières d'aller à Dieu, l'une par la réflexion et le raisonnement, et l'autre par une foi simple, et par une connaissance générale et confuse. On appelle la première, méditation, et la seconde, recueillement intérieur et contemplation acquise. La première est pour ceux qui commencent, la seconde est pour ceux qui sont avancés : La première est sensible et matérielle, et la seconde plus pure et plus spirituelle. Molinos, Introduction à la Guide spirituelle, sect. I.

(1) L'oraison parfaite de contemplation met l'homme hors de soi, le délivre de toutes les créatures, le fait mourir et entrer dans le repos de Dieu : Il est en admiration de ce qu'il est uni avec Dieu, sans douter qu'il soit distingué de Dieu : Il est réduit au néant, et ne se connaît plus : il vit et ne vit plus : il opère et n'opère plus : il est et n'est plus. La Combe, Analyse de l'Oraison · mentale.

L'union du Père avec le Fils, et du Fils avec le Père passera par transfusion dans notre esprit. Idem, ibid.

Il y a deux repos, l'un qui est la cessation de toute oeuvre; l'autre en la jouissance de la fin: Tel est le repos du parfait contemplatif, qui sait s'élever à Dieu au-dessus de soi en esprit, et se reposer en lui par fruition. Fruitive quiescere. Idem, ibid.

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