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sont lieux sacrés. Voyez après si la différence des temps ou des lieux est recevable.

Non, madame, et si vous me dites que vous êtes dans l'habitude d'aller certains jours visiter les temples pour y prier Dieu, la sainte Vierge et les Saints; tant pis, madame; tant pis, du moins pour ce qui regarde la Vierge et les Saints. Ils sont créatures, et par conséquent vous ne les devez pas prier.

PÉNIT. Je ne saurais m'empêcher, mon père, de vous interrompre encore sur ce que vous venez d'avancer touchant la prière de la Vierge et des Saints, que vous condamnez si ouvertement. Il faut que je vous témoigne la peine que cela me fait. Je suis élevée dans des sentimens bien différens : l'on ne m'a rien tant recommandé dès mon enfance, que d'avoir de la dévotion envers la Vierge et les Saints. L'on m'a enseigné qu'un chrétien devait leur adresser ses prières, afin d'obtenir de Dieu par leur intercession, les grâces dont il a besoin ; qu'il est bon d'avoir de la confiance dans leur intercession, et principalement dans celle de la Vierge auprès de son fils; qu'elle est notre patronne et notre avocate auprès de lui; que les Saints de l'Église triomphante en louant et glorifiant celui qui fait leur bonheur pour toujours, ne cessent de prier pour l'Église militante, et de lui demander que les mortels qui sont sur la terre soient participans du bonheur dont ils jouissent: ce sont là les maximes que j'ai sucées avec le lait, dans lesquelles j'ai été élevée : maximes que j'ai entendu annoncer à tous les prédicateurs de l'Evangile, et que je vois autorisées par la pratique universelle de l'Église. Que dites-vous à cela, mon père? Croyezvous. qu'un raisonnement aussi faible que celui que vous m'apportez, que la Vierge et les Saints sont des créatures, et par conséquent qu'il ne les faut point prier, soit capable de m'ébranler? C'est une objection cent et cent fois répétée par les prétendus réformés, et détruite par les docteurs catholiques. Il faut que je vous raconte ce que j'entendis dire là-dessus dernièrement à mon frère le docteur : Il recevait l'abjuration d'un nouveau converti, qui convaincu de la vérité de tous les autres points de la créance de l'Église, avait encore quelque difficulté sur celui du culte et de l'invocation de la Vierge et des Saints, par la même raison que vous alléguez. Il avait dans la tête que l'on ne pouvait honorer les Saints sans une espèce d'idolâtrie, parce que ce sont des créatures, et qu'il n'y a que Dieu qu'on doive adorer. Il n'était pas encore revenu des préventions que les ministres lui avaient inspirées contre les catholiques, en les accusant de rendre à des créatures un culte qui n'est dû qu'à Dieu, d'adorer la Vierge et les Saints; et il y avait même été confirmé par les discours im

prudens de quelques catholiques peu éclairés, qui portent trop loin la vénération qu'on doit rendre à la Vierge et aux Saints, et par les pratiques superstitieuses de quelques particuliers. Mais mon frère le docteur résolut aisément ses difficultés, dissipa ses doutes, et le fit bientôt revenir de son erreur, et convenir de la vérité, en lui exposant nettement la doctrine de l'Eglise. Il y a bien de la différence, lui dit-il, entre le culte d'adoration qui n'est dû qu'à Dieu, et le culte que nous rendons à la Vierge et aux Saints. Nous les honorons, comme dit saint Augustin, d'un culte de dilection et de société, et non pas d'un culte de latrie nous les honorons, en les imitant, et non point en les adorant. La vierge Marie doit être honorée, dit saint Epiphane ; mais Dieu seul doit être adoré. Elle est le temple de Dieu, selon saint Ambroise, et non pas le Dieu du temple; on doit respecter le temple de Dieu, mais il ne faut adorer que Dieu seul. Nous honorons les martyrs et leurs reliques, comme le remarque saint Jérôme, mais c'est afin d'honorer le Dieu dont ils sont les martyrs. Il en est de la prière comme du culte : celle que nous adressons à la Vierge et aux Saints, est bien différente de celle que nous adressons à Dieu; nous prions Dieu comme la source et l'auteur des grâces et des biens que nous demandons; au lieu que nous n'invoquons la Vierge et les Saints, que comme des intercesseurs, qui prient Dieu comme nous et pour nous; mais dont les prières sont d'autant plus efficaces auprès de Dieu, qu'ils sont dans un état de perfection, de sainteté et d'union avec lui, dont ils ne peuvent déchoir. Voilà, dit mon frère, ce que nous enseignons, c'est la doctrine de l'Eglise, dont la clarté et les vives lumières sont capables de dissiper tous les nuages, dont vos faux ministres l'ont voulu obscurcir. Le nouveau converti, homme d'esprit, de bon sens et de bonne foi, n'eut pas de peine à se rendre à une instruction si solide; il reconnut aussitôt l'artifice dont on s'était servi tant de fois pour lui donner de l'horreur de la doctrine de l'Eglise, et détesta la mauvaise foi de ceux qui l'avaient trompé jusqu'alors.

DIRECT. C'en est assez sur cette matière: elle n'est pas du nombre de celles dont je veux vous entretenir en particulier; c'est un différend à démêler entre monsieur le docteur et moi. Revenons à notre sujet. Vous me demanderez peut-être s'il ne vous sera pas permis d'entrer dans certaines pratiques de pénitence, et de vous imposer des mortifications? Non ma fille elles nuisent au corps et ne profitent point à l'âme, je vous l'ai déjà enseigné; demeurez en repos sur cet article (1). A l'égard

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(1) L'âme étant appliquée directement à l'austérité et au dehors, elle est tournée de ce côté-là; de sorte qu'elle met les sens en vigueur loin de les

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des saints mouvemens et des bonnes inclinations, je vous les défends, ne vous les procurez point; s'ils viennent sans qu'il y ait de votre faute, ne les cultivez point, ne les rejetez pas aussi courez à l'asile de l'indifférence. Pour le choix d'une vertu particulière, je ne puis pas tolérer une affectation comme cellelà; c'est la ruine de toute spiritualité.

PÉNIT. Quoi, mon père, je ne pourrais pas aimer l'humilité? DIRECT. Non vraiment, ma chère fille (1).

PÉNIT. La patience, la douceur, le pardon des injures ? DIRECT. Rien de tout cela, je vous prie, mais bien l'indifférence à toutes ces vertus et aux vices contraires.

PÉNIT. Il s'en suivrait donc, mon père, de ce que vous dites, qu'aimer à être humble et à pardonner les injures, serait un péché.

DIRECT. Un péché? Non : mais une imperfection, chose à la vérité, dont les confesseurs et les casuistes ne conviendront pas : aussi faut-il avouer que la vie intérieure n'a rien de commun avec les confessions, et les confesseurs, ni même avec les cas de conscience; ce sont choses toutes séparées. Ils vous exhorteront par exemple d'entrer dans le goût des choses spirituelles, ou bien ils approuveront que vous ayez un goût sensible dans l'oraison, qui est, à le bien prendre, une chose purement humaine, que dis-je ? abominable. D'autres fois ils ne vous parleront que de la paix d'une bonne conscience, et de la tranquillité qu'apporte avec soi la pratique de la loi de Dieu et des bonnes œuvres. Ecueils dangereux où cinglant à pleines voiles, comme il vous paraît, dans les routes salutaires de la haute perfection, on vient se briser et se perdre.

Le moyen sûr, ma chère fille, de les éviter, c'est d'entrer dans le port de la parfaite résignation à la volonté divine: alors, ma fille, alors, vertus ou vices, piété ou sacriléges, grâces de Dieu ou réprobation, espérance ou désespoir de son salut, tout anéantir. Les austérités peuvent bien affaiblir le corps, mais ne peuvent émousser la pointe des sens ni leur vigueur. Moyen court.

Il n'y a plus rien pour elle, plus de réglement, plus d'austérités, tous les sens et les puissances sont dans le désordre. Ibid.

(1) Lorsqu'elle voit (l'âme parfaite ) quelques personnes dire des paroles d'humilité et s'humilier beaucoup, elle est toute surprise et étonnée de voir qu'elle ne pratique rien de semblable; elle revient comme d'une léthargie, et si elle voulait s'humilier, elle en est reprise comme d'une infidélité, et même elle ne le pourrait faire, parce que l'état d'anéantissement par lequel elle a passé, l'a mise au-dessus de toute humilité. Car pour s'humilier, il faut être quelque chose, et le néant ne peut s'abaisser au-dessous de ce qu'il est : L'état présent l'a mis au-dessus de toute humilité et de toutes vertus par la transformation en Dieu. Livre des Torrens.

est indifférent à une parfaite abandonnée (1). Une seule chose lui convient, que les décrets immuables de Dieu soient accomplis en elle. Mais tandis que je vous parle, madame, il me paraît que quelque chose vous passe par l'esprit : parlez hardiment et avec confiance; car il s'agit de votre salut.

PÉNIT. Il s'agirait de peu de chose, mon père, puisque vous voulez que j'y sois si indifférente. Mais comme vous me permettez que sur les voies de mon salut, auquel je ne puis m'empêcher de prendre encore beaucoup d'intérêt, je vous expose mes doutes et mes scrupules, je vous avouerai que je faisais en moimême une Oraison Dominicale à notre manière, je veux dire en l'ajustant à nos principes et à notre doctrine.

DIRECT. Dites, ma fille, le projet en est louable.
PÉNIT. Écoutez ma composition.

DIRECT. J'écoute.

PÉNIT. Dieu qui n'êtes pas plus au ciel que sur la terre et dans les enfers, qui êtes présent partout : je ne veux ni ne desire que votre nom soit sanctifié, vous savez ce qui nous convient; si vous voulez qu'il le soit, il le sera, sans que je le veuille et le désire que votre royaume arrive ou n'arrive pas, cela m'est indifférent : je ne yous demande pas aussi que votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, elle le sera malgré que j'en aie; c'est à moi à m'y résigner: donnez-nous à tous notre pain de tous les jours, qui est votre grâce, ou ne nous la donnez pas; je ne souhaite de l'avoir, ni d'en être privé : de même si vous me pardonnez mes crimes, comme je pardonne à ceux qui m'ont offensé, tant mieux si vous m'en punissez au contraire par la damnation, tant mieux encore, puisque c'est votre bon plaisir : enfin, mon Dieu, je suis trop abandonnée à votre volonté pour vous prier de me délivrer des tentations et du péché.

DIRECT. Je vous assure, madame, que cela n'est pas mal; le Pater noster ainsi réformé, édifierait sans doute toutes les âmes du parfait abandon; et j'ai envie de l'envoyer à nos nouvelles Eglises, pour être inséré dans la formule du simple regard : qu'en dites-vous ?

PÉNIT. En attendant, mon père, que je sois aussi contente de mon oraison que je voudrais l'être, je suis bien aise que vous ne

(1) L'indifférence de cette amante est si grande, qu'elle ne peut pencher, ni du côté de la jouissance, ni du côté de la privation: La mort et la vie luj sont égales, et quoique son amour soit incomparablement plus fort qu'il n'a jamais été, elle ne peut néanmoins désirer le paradis, parce qu'elle demeure entre les mains de son époux, comme les choses qui ne sont point. Ce doit être à l'effet de l'anéantissement plus profond. Explication du Cantique des Can

la désapprouviez pas, et encore plus d'avoir eu le loisir de vous la réciter avant que je vous souhaite le bon soir; car la nuit s'approche, et m'oblige à me séparer de vous.

DIRECT. J'y consens, ma chère dame; mais il ne faut plus être si long-temps sans nous voir. Vous avez besoin d'être soutenue; la moindre chose vous ferait faire une grande chute. Vous devez regarder la maison de votre mari comme un piége qui vous est tendu, et dont vous ne sauriez trop vous défier. Je vous ai exhortée à la quitter, il faut faire cela sagement, et abandonner votre mari avec une prudence chrétienne. Madame, Dieu aura soin de vous, sans que vous vous en mêliez.

DIALOGUE VI.

Les Quiétistes abandonnent l'Évangile, l'Église et la Tradition, pour suivre ce qu'ils appellent faussement volonté de Dieu. Béatitude et purgatoire des Quiétistes en cette vie. État d'union essentielle selon eux, dans lequel l'âme, pour demeurer en Dieu, n'a plus besoin de Jésus-Christ médiateur.

PÉNITENTE. Voilà, mon père, cet excellent ami, dont je vous ai entretenu plusieurs fois ; c'est mon beau-frère, de qui je vous ai promis la connaissance, l'homme du monde après vous à qui j'ai plus d'obligation; j'espère recevoir de vous deux de pareils remercîmens, de vous avoir fait connaître l'un à l'autre, et par là mis en état de vous estimer réciproquement, comme vous le devez.

DOCT. Je souhaite, mon révérend père, que cette entrevue soit utile à celle qui a bien voulu la ménager : que ma sœur apprenne de vous ou de moi, ou de tous deux ensemble, si cela se peut, les choses les plus essentielles à son salut. Nous lui devons tous deux la vérité, et moi plus particulièrement, et par l'alliance que j'ai avec elle, et par la reconnaissance sur l'honneur qu'elle me procure aujourd'hui, en me présentant à un homme de votre mérite.

DIRECT. Votre réputation, monsieur, est venue jusqu'à moi, et par madame votre belle-sœur, et par d'autres endroits : votre présence promet encore des choses au-delà de votre réputation: il me semble qu'avec un peu de bonne foi de part et d'autre, on peut aller loin dans l'éclaircissement de la vérité, si on la préfère du moins aux sentimens communs et aux pratiques reçues qui n'ont pour l'ordinaire d'autre avantage sur elle, que le çues.qui temps et le grand nombre.

DOCT. Que voulez-vous dire, mon père, qu'en matière de re

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