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PÉNIT. L'aimer? aimer le désespoir ?

DIRECT. L'aimer, ma chère enfant, si du moins vous vouliez

être une parfaite abandonnée.

PÉNIT. Mais, mon père, je pourrais donc par la même raison consentir à l'extinction entière de ma foi ?

DIRECT. Vous y êtes, ma fille, et vous commencez à voir les conséquences dans leurs principes.

PÉNIT. Je les vois si bien, que je conclus qu'on peut se résigner à la perte de toute la perfection, et de toute la sainteté où l'on peut parvenir en cette vie.

DIRECT. Comment l'entendez-vous ?

PÉNIT. Ne m'avez-vous pas parlé ainsi de l'état sublime où une âme se trouve élevée par l'oraison du simple regard?

DIRECT. Oh sans doute!

PÉNIT. Ne l'appelez-vous pas oraison de foi, nudité de foi, un acte de foi pure?

DIRECT. Jamais autrement, ma fille.

PÉNIT. N'est-ce pas, mon père, dans ce premier et seul acte que l'on ne réitère plus, et dont les autres actes qui pourraient échapper à l'âme, ne sont que la continuation, que consiste le parfait abandonnement, et l'entière résignation à la volonté de Dieu ?

DIRECT. Cela est ainsi.

PÉNIT. Concluez donc vous-même que c'est uue conséquence de ce premier acte d'un parfait abandonnement qui n'est autre chose que l'oraison de foi pure et de nudité de foi, que l'âme peut non-seulement consentir à l'extinction de sa charité et de son espérance, mais même de sa propre foi, et qu'il arrive en elle que c'est par la foi du simple regard; je veux dire, que c'est à force de foi qu'elle est même contente de n'en avoir plus, qu'elle est indifférente à en avoir, ou à n'en avoir pas.

DIRECT. Hé bien, ma fille, quelle merveille y a-t-il à cela? PÉNIT. La merveille, mon père, est que par nos propres principes, cette sublimité de notre état, sans laquelle nous sommes réduits à rien, nous la perdons gaîment et avec la dernière indifférence, et qu'à force d'abandonnement, nous pourrions déchoir aux complaisances de l'abandonnement même, et tomber dans le vice opposé. Ce qui me paraît obscur et impliqué, je vous l'avoue.

DIRECT. Est-ce là, madame, tout ce que monsieur le docteur vous a appris sur ce sujet ? Je vais le mener plus loin, et s'il était ici, je lui ferais bien voir du pays.

PÉNIT. Je vous l'amènerai, mon père, je vous l'ai promis.

DIRECT. Qui lui dirait, madame, qu'il faut que l'âme qui tend

à la plus haute perfection (1), se résolve de perdre absolument toute volonté propre, qu'elle renonce à toutes inclinations particulières quelque bonnes qu'elles soient, sitôt qu'elle les sent naître, pour se mettre dans l'indifférence : qu'elle ne doit pas affecter la pratique d'aucune vertu choisie entre plusicurs qu'elle

(1) Pour la pratique, elle doit être de perdre sans cesse sa volonté propre, de renoncer à toutes les inclinations particulières, quelques bonnes qu'elles paraissent, sitôt qu'elle les sent naître pour se mettre dans l'indifférence. Moyen court.

Il n'y a point pour cette âme abandonnée, de malignité en quoi que ce soit : Elle est tellement anéantie, que cet abandonnement ne lui laisse aucune propriété, et que la seule propriété peut causer le péché; car quiconque n'est plus, ne peut plus pécher. Livre des Torrens.

,

Notre Seigneur commence à dépouiller l'âme peu à peu, à lui ôter ses ornemens tous ses dons, grâces et faveurs : Ensuite il lui ôte toute facilité au bien. Après quoi il lui ôte la beauté de son visage, qui sont comme les divines vertus qu'elle ne saurait plus pratiquer...... Tout pouvoir lui est ôté..... C'est une chose horrible qu'une âme ainsi nue des dons de Dieu. Mais c'est encore peu, si elle conservait sa beauté; mais il la fait devenir laide et la fait perdre. Jusques ici l'âme s'est bien laissée dépouiller des dons, grâces, faveurs, facilité au bien, elle a perdu toutes les bonnes choses comme les austérités, le soin des pauvres, la facilité à aider le prochain, mais elle n'a pas perdu les divines vertus. Cependant ici il les faut perdre quant à l'usage. Explication du Cantique des Cantiques.

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L'âme bien loin d'être oisive, fait un acte universel et très-excellent, et suspend ses actes particuliers pour s'absorber en Dieu seul. Si Dieu par un secours surnaturel, la met dans l'état passif au regard de lui-même, elle se trouve encore plus élevée. Malaval, Pratique facile.

Il faut vous détacher de quatre choses pour parvenir à une cinquième, qui est la fin de la science Mystique. 1. Des Créatures. 2. Des choses temporelles. 3. Des dons du Saint-Esprit. 4. De vous-même. 5. Et vous perdre enfin en Dieu. Molinos. Guid. Spirit. liv. 3, chap. 18, n. 183.

Elle ne saurait lui rien demander ni rien désirer de lui, à moins que ce ne fût lui-même, qui lui en donnât le mouvement; non qu'elle méprise et rejette les consolations divines, mais c'est que ces sortes de grâces ne sont plus guères de saison pour une âme aussi anéantie qu'elle l'est, et qui est établie dans la jouissance du Centre, et qui ayant perdu toute volonté dans la volonté de Dieu, ne peut plus rien vouloir. Explication du Cantique des Cantiques. Une âme spirituelle doit être indifférente à toutes choses, soit pour le corps, soit pour l'âme ou pour les biens temporels et éternels; laisser le passé dans l'oubli, et l'avenir à la providence de Dieu, et lui dénier le présent. Moyen

court.

Une âme spirituelle ne doit point s'amuser à réfléchir sur ce qu'elle opère, ni à penser si elle met en pratique, ou non, les vertus. Falconi, Lett. à une Fille spirit.

Dans le vide volontaire de la contemplation, il y a un détachement de tout ce qui n'est pas Dieu, et même de ses grâces et de ses faveurs, pour s'attacher inviolablement à lui seul. Malaval, Pratique facile.

Si l'on dit à ces âmes abandonnées de se confesser, elles le font, car elles sont très-soumises: mais elles disent de bouche ce qu'on leur fait dire, comme un petit enfant à qui l'on dirait : Il faut vous confesser de cela, il le dit sans connaître ce qu'il dit, sans savoir si cela est, ou non, sans reproches, sans remords ; car ici l'âme ne peut trouver de conscience, et tout est tellement per

doit être indifférente à toutes vertus, flotter entre la vertu et le vice, et attendre le bon plaisir de Dieu, à qui seul il appartient d'en ordonner : qu'elle doit porter cette indifférence jusques aux choses qui concernent son âme, aux biens spirituels, à sa prédestination, à son éternité : qu'elle ne doit point demander à Dieu d'être délivrée des tentations, d'éviter le mal, et de persévérer dans le bien qu'elle doit être franche de tout remords d'avoir péché, sans être le moins du monde alarmée de ses chutes, ni inquiète des scandales qu'elle a pu donner, parce qu'elle a oublié le passé, qu'elle remet l'avenir a la Providence, contente de l'état bon ou mauvais où elle se trouve actuellement, et à chaque moment de sa vie par la volonté infaillible de Dieu, à laquelle elle est parfaitement résignée. O mystère ineffable de cette résignation totale aux décrets divins et irrévocables! Serez-vous toujours si peu connu des hommes? Ne concevront-ils jamais que le rien est disposé à tout ce que Dieu voudra? Que qui ne désire rien, ne fait élection de rien, ne refuse rien; que le rien est rien, encore rien et toujours rien?

Voilà l'état de l'âme dans le parfait anéantissement, où elle est entrée depuis qu'elle a abandonné à Dieu son libre arbitre : elle ne doit plus, elle ne peut plus rien penser, rien vouloir et rien faire; elle laisse tout faire à Dieu. Plus de retour sur ellemême, plus d'attention à la récompense ou à la punition. C'est à elle une grâce singulière de ne plus penser à ses défauts. Elle agit alors sans connaissance, elle oublie Dieu et soi-même. Que dirait à tout cela monsieur le docteur?

PÉNIT. Hélas! mon père, je ne sais pas précisément ce qu'il pourrait dire; mais je suis assurée que s'il était en ma place, il serait bien moins embarrassé que je ne le suis car après vous avoir entendu parler tous deux, je conclurais presque qu'il faut qu'il y ait deux religions chrétiennes, que Jésus-Chrit ait laisdu en elle, qu'il n'y a plus chez elle d'accusateur; elle demeure contente sans en chercher. Livre des Torrens.

L'âme qui est arrivée à ce degré, entre dans les intérêts de la divine Justice, et à son égard et à celui des autres d'une telle sorte, qu'elle ne pourrait vouloir d'autre sort pour elle, ni pour autre quelconque que celui que cette divine Justice lui voudrait donner pour le temps et pour l'éternité. Explication du Cantique des Cantiques.

Qui pourrait dire jusqu'où se doit porter cet abandon? Jusqu'à agir sans connaissance, ainsi qu'une personne qui n'est plus. Règle des Associés à l'Enfance de Jésus.

Elle ne leur laisse pas l'ombre d'une chose qui se puisse nommer en Dicu ni-hors de Dieu. Livre des Torrens.

L'àme ne se sent plus, ne se voit plus, ne se connaît plus; elle ne voit rien de Dieu, n'en comprend rien, n'en distingue rien; il n'y a plus d'amour, de lumières, ni de connaissance. Ibidem.

sées aux hommes avant que de quitter la terre : que mon frère le docteur enseigne l'une, et vous l'autre. Vous me permettrez pourtant de vous dire, que la doctrine de mon beau-frère me paraît avoir un très-grand rapport avec celle des prédicateurs que j'ai entendus depuis que je suis au monde, et avec celle aussi que j'ai lue dans tous les livres qui ont passé par mes mains.

DIRECT. Cela peut être, madame, mais cela ne prouve rien. PÉNIT. Comment, mon père, une telle différence de créance et de sentimens sur des choses de religion, ne prouve-t-elle pas du moins que l'un des deux se trompe? Et que si comme je le veux croire, vous ne vous trompez pas, il faut que mon frère le docteur et toute la Sorbonne dont il suit la doctrine, et la plupart des catholiques qui n'en ont pas d'autre, à ce que j'apprends, soient dans un prodigieux égarement?

DIRECT. Ah! ma fille, cela fait trembler en effet, et comme vous dites fort bien, si c'est une erreur de croire qu'il ne faut pas renoncer absolument à toutes sortes d'inclinations bonnes ou mauvaises, et n'avoir pas, par exemple, plus de disposition à l'adultère qu'à la chasteté conjugale, ni à la chasteté qu'à l'adultère, mais se tenir dans l'indifférence entre tous vices et toutes vertus; que deviennent ces âmes (1)?

PÉNIT. Mais, mon père.......

DIRECT. Patience, madame, s'il vous plaît; que deviennent, dis-je, ces pauvres âmes, qui ne peuvent entrer dans un parfait abandonnement au bon plaisir de Dieu ?

PÉNIT. Pardonnez-moi, mon père, si je vous interromps ; vous me faites parler à votre gré sur cette indifférence entre la chasteté et un péché que je n'oserais nommer: je ne connais pas cet état-là, dans lequel vous faites consister la perfection la plus haute. J'avoue ingénuement que je n'y suis pas encore parvenue; j'ai toujours cru jusqu'à présent, selon que la conscience et la

(1) Une âme de ce degré (c'est une âme parfaitement abandonnée) porte un fond de soumission à toutes les volontés de Dieu, de manière qu'elle ne voudrait rien lui refuser. Mais lorsque Dieu explique ses desseins particuliers, et qui sont des droits qu'il a acquis sur elle, il lui demande les derniers renoncemens et les plus extrêmes sacrifices. Ah! c'est alors que toutes ses entrailles sont émues, et qu'elle trouve bien de la peine. Explication du Cantique des Cantiques.

De dire les épreuves étranges que Dieu fait de ces âmes (de l'abandon parfait) qui ne lui résistent en rien, c'est ce qui ne se peut, et ne serait pas compris. Tout ce qu'on peut dire, est qu'il ne leur laisse pas l'ombre d'une chose qui puisse se nommer en Dieu ou hors de Dieu...... Dieu fait voir en elles, qu'il n'y a point pour elles de malignité en quoi que ce soit, à cause de l'unité essentielle qu'elles ont avec Dieu, qui en concourant avec les pécheurs, ne contracte rien de leur malice, à cause de sa pureté essentielle. Ceci est plus réel que l'on ne peut dire. Livre des Torrens. Voyez aussi la note ci-dessus.

pudeur me l'ont inspiré, qu'une femme doit éviter le désordre, et être chaste et fidèle à son mari. Si j'ai eu quelquefois des tentations du contraire, je n'ai point balancé à y résister de tout mon pouvoir. Pour les bonnes inspirations que j'ai eues du côté de mon devoir, je les ai écoutées et suivies aussi par la miséricorde de Dieu sans hésiter; parce que j'ai senti dans mon cœur que c'était sa volonté, à laquelle je devais m'abandonner, plutôt que de garder une dangereuse neutralité entre la vertu et le crime.

DIRECT. Mais, madame, posant le cas que succombant à une forte tentation, vous fussiez tombée dans l'infidélité, qu'auriezyous choisi ou du désespoir ou du saint abandonnement?

PÉNIT. Dans un tel malheur, je me serais résignée à la volonté de Dieu, qui en me défendant sévèrement cette mauvaise action et en la condamnant par la loi, aurait néanmoins permis que je l'eusse commise peut-être pour m'humilier; mais avant de la commettre, il est bien certain, mon père, que plus j'aurais entré dans le parfait abandonnement au bon plaisir de Dieu, moins j'aurais eu d'indifférence sur l'inclination que je me serais sentie à éviter une telle chute. Quand le mal est fait, on n'est pas maître qu'il ne soit pas fait; c'est le cas de se résigner aux décrets de Dieu et d'en faire pénitence; mais ce n'est pas celui que vous proposiez, puisqu'il s'agissait au contraire de bonnes ou de mauvaises inclinations, où vous vouliez que je fusse indifférente. DIRECT. Je le veux encore, ma fille, avant et après la chute; avant, parce que vous ne savez pas ce qui peut vous arriver; après, parce que vous ne pouvez plus faire qu'elle ne soit pas arrivée. Car ma chère fille, ouvrez les yeux, et rendez-vous à l'évidence de la raison; que voudriez-vous faire de mieux, après que vous êtes tombée dans quelque faute ou griève ou légère? en chercher la rémission par des indulgences? Je vous l'ai dit : Vous ne devez pas vouloir abréger vos peines (1). Cherchez du moins, me direz-vous, à apaiser Dieu par un grand nombre de prières vocales. Avez-vous oublié qu'elles ne font autre chose qu'interrompre Dieu par un babil importun, et vous empêcher de l'écouter s'il voulait vous parler lui-même et se faire entendre? Qui êtes-vous donc, pour oser parler à Dieu, ou lui demander le moindre avantage temporel ou spirituel pour vous et pour les autres? Vous vouliez sans doute dans ce temps de Pâques et du jubilé, célébrer les fêtes et fréquenter les églises; ignorance, madame, simplicité, permettez-moi de le dire, et apprenez une bonne fois que Dieu en tout temps est présent partout, et qu'ainsi tous les jours sont également saints, et que tous les lieux (1) Voyez note 2, pag. 371.

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