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vous l'ai dit. Hélas! mon père, ou heureusement, ou malheureusement pour moi, je m'allai souvenir d'avoir lu dans un de nos livres, que les vues qu'on a de faire une chose, sont des obstacles à la perfection (1), et je medis à moi-même, je serais bien malheureuse, si avec tous mes soins et toute mon application à m'acquitter de mes devoirs, l'abstinence, le jeûne, l'aumône, la prière, joints à l'usage des sacremens, bien loin de m'être utiles en aucune manière ne servaient au contraire qu'à me faire tomber de plusieurs degrés de la perfection que j'avais atteinte; je suis sans doute entraînée à toutes ces bonnes œuvres, et à ces apparences de vertu et de dévotion par une habitude contractée dès mon enfance; ce ne sont que des suites des impressions qu'on m'a données des mes premières années ; j'éprouve en moi un trop grand empressement d'aller à confesse et de communier, et parce que je veux cela trop déterminément, je n'en dois rien faire, et par conséquent je ne le dois pas vouloir. Je me mis ensuite si fortement dans l'esprit que j'étais obligée à résister à cette volonté déterminée de faire mes Pâques et de gagner mon jubilé, que je me sentis dans l'impuissance de m'acquitter de l'un et de l'autre ; j'y avais même une résistance horrible, et il me semblait que quelque chose surtout m'impossibilitait la confession. Cet extrême éloignement pour les sacremens, me convainquit assez néanmoins qu'il n'y avait point de propriété à mon fait, et que c'était peut-être la vraie disposition où je devais en approcher; mais ayant aussi retenu ce que nos livres enseignent: qu'il faut tout faire dans une grande paix, et avec cette douce impulsion qu'on appelle motion divine (2), je me trouvai dans cette perplexité de m'abstenir d'abord de faire mes dévotions, parce que je le voulais trop déterminément, et bientôt de ne pouvoir les faire faute d'attrait, et par l'extrême opposition que j'y avais.

DIRECT. En un mot, ma fille, vous ne pûtes aller à confesse ni à la communion, et parce que vous le vouliez, et parce que vous ne le vouliez pas.

PÉNIT. Hélas! mon père, il n'y a pas autre chose.

DIRECT. Tant mieux, ma chère fille, et je ne vous le dissimule

(1) Dieu ôte encore par là la réflexion et la vue que l'âme porte sur ce qu'elle fait; ce qui est l'unique obstacle qui la retient, et qui empêche que Dieu ne se communique à elle. Molinos, Guid. Spirit. liv. 1, chap. 4, n. 29.

Souvenez-vous bien, Philothée, de la règle générale que je vous ai prescrite, de ne vous plus servir à l'avenir de raisonnemens dans votre oraison. Malaval, Pratique facile.

(2) Il faut donc demeurer en paix, et ne nous mouvoir que quand il nous meut.... C'est l'esprit de l'Eglise, que l'esprit de la motion divine, etc. Moyen

court.

pas, qu'à voir vos larmes et le désordre de votre visage, j’appréhendais fort qu'il ne vous fût arrivé pis. Dites-moi, je vous prie, dans cet effort que vous dites, que vous avez fait pour vous ressouvenir de vos péchés, et qui est peut-être la cause du trouble qui vous est arrivé, vous êtes-vous trouvée coupable de quelque défaut? Avez-vous reconnu que vous fussiez tombée en quelque égarement?

PÉNIT. Oui, mon père, et c'est ce qui me portait à recourir à la confession.

DIRECT. Étrange force de l'habitude et de la coutume, lors surtout qu'elles ont leurs racines dans notre première éducation. C'était précisément, madame, à quoi vous ne deviez pas songer. Vous ne pouvez vous imaginer de quelle importance il est pour une âme qui tend à la perfection, de ne se point inquiéter de ses défauts; il suffirait après cet examen de l'état de votre conscience, que vous auriez dû même vous épargner de vous ramasser au dedans, attendre et souffrir la pénitence que Dieu vous aurait voulu imposer lui-même, et rien davantage, sans faire pendant cette semaine de Pâques aucunes prières vocales, sans vous imposer aucune mortification.

Apprenez, ma fille, que les prières qu'on se tue de dire, et les pénitences qu'on s'impose, ne sont point des causes naturelles de la grâce (1), mais seulement des instrumens accommodés à notre faiblesse, qui amusent et soutiennent notre imagination plutôt qu'elles ne contribuent à la sanctification de notre âme. L'oraison de simple présence de Dieu, est de mille degrés audessus du Veni Creator et du psaume Miserere, et de toutes les oraisons les plus communes et les plus consacrées dans l'Église; il y a des momens où elle donne à une âme résignée du dégoût pour l'oraison dominicale; il y a des conjonctures, comme celle, ma fille, où vous venez de vous trouver, où elle tient lieu nonseulement de toutes prières, de toutes mortifications, de toutes bonnes œuvrés, mais aussi de sacremens, je dis de la confession et de la communion. Quelle est donc, madame, votre inquiétude, et que cherchiez-vous ces fêtes dans les sacremens et dans le gain du jubilé, de l'indulgence pour les châtimens dûs à vos péchés (2)? Ignorez-vous qu'il vaut mieux satisfaire à la justice de Dieu, que d'avoir recours à sa miséricorde? parce que le

(1) Sans une révélation, on ne peut savoir qu'il y ait un degré de grâce attaché à l'oraison. Malaval, Pratiq. facile.

Je dis qu'il ne faut point se fixer à telles et telles austérités ; mais suivre seulement l'attrait intérieur en s'occupant de la présence de Dieu, sans penser en particulier à la mortification. Moyen court. p. 67.

(2) C'est alors qu'elle commence à ne pouvoir gagner des indulgences, et l'amour ne lui permet pas de vouloir abréger ses peines. Livre des Torrens.

premier procède du pur amour qu'on a pour Dieu, et que le second venant au contraire de l'amour que nous avons pour nous, et tendant à éviter la croix, ne peut être agréable à Dieu, et est indigne de sa miséricorde.

PENIT. Qu'appelez-vous, mon père, tendre à éviter la croix par le jubilé et par les indulgences ? C'est bien tout le contraire; car les chrétiens, en se soumettant aux petites croix, c'est-àdire à la pénitence et aux mortifications que le jubilé impose tendent à éviter l'enfer qui serait dû à leurs péchés.

DIRECT. Dites-moi, ma fille, monsieur votre mari, et monsieur le docteur son frère, ont-ils fait vou de passer leur vie ensemble?

PÉNIT. Ils s'aiment assez, mon père, pour ne pas songer sitôt à se séparer.

DIRECT. Vous pourriez donc, madame, dans la suite être obligée en conscience de les abandonner tous deux; car je ne vous le cache plus, ma chère fille, un plus long commerce avec ces personnes-là serait capable de vous pervertir. Quelle est en effet cette appréhension des peines et des châtimens de l'autre vie, dont vous me paraissez toute troublée? où est au contraire cette totale résignation à la volonté de Dieu que vous prêchiez vous-même aux autres avec tant de force ? Ignorez-vous encore que l'abandon parfait, qui est la clef de tout intérieur, n'excepte rien, ne réserve rien, ni mort, ni vie, ni perfection, ni salut, ni paradis, ni enfer? Que craignez-vous, cœur lâche? Vous craignez de vous perdre ? Hélas! pour ce que vous valez, qu'importe (1)?

PÉNIT. Mais, mon père, comme âme rachetée par le sang de Jésus-Christ, il me semble que je puis dire que je vaux quelque chose, et que je commettrais un péché horrible de ne pas songer à me sauver, et de ne pas espérer mon salut, après que Dieu même a fait des choses si extraordinaires, a daigné passer par des états si humilians, seulement pour me le procurer. Peut-on avoir de l'indifférence pour la venue de Jésus-Christ sur la terre, pour ses travaux, pour sa mort?

DIRECT. Oui, ma fille, cela n'est pas impossible.

(1) L'abandon parfait, qui est la clef de tout l'intérieur, n'excepte rien, ne réserve rien, ni mort, ni vie, ni perfection, ni salut, ni paradis, ni enfer. Que craignez-vous, coeur lâche? Vous craiguez de vous perdre ? Hélas! pour ce que vous valez, qu'importe? Livre des Torrens.

L'indifférence de cette amante est telle, qu'elle ne peut pencher, ni du côté de la jouissance de Dieu, ni du côté de la privation de Dieu. La mort et la vie lui sont égales; et quoique son amour soit incomparablement plus fort qu'il n'a été, elle ne peut néanmoins désirer le paradis. Exposit. du Cant. des Cantiq.

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PÉNIT. Ah! mon père, que dites-vous là ? Quoi, sachant quelles ont été les vues de Dieu sur moi par la mission de son fils, je ne ferai pas tout ce qui est en moi pendant tout le cours de ma vie, pour y correspondre et pour achever par mes actions l'ouvrage de ma rédemption?

DIRECT. Non, ma fille, et cela mérite explication en un certain sens.

PÉNIT. Je ne m'exciterai pas à augmenter ma foi de jour en jour, à m'embraser d'une plus grande charité pour Dieu, à fortifier et renouveler mon espérance?

DIRECT. Point du tout, madame.

PÉNIT. Je ne m'étudierai pas dans toute ma conduite à discerner la volonté de Dieu, afin de l'accomplir le plus exactement qu'il me sera possible?

DIRECT. Vous n'y êtes point encore.

PÉNIT. Je ne vivrai pas dans la crainte de Dieu et dans le tremblement, incertaine comme je suis, si j'ai la grâce de Dieu ou si je ne l'ai pas ?

DIRECT. Encore moins.

PÉNIT. Mon beau-frère en effet m'aurait-il trompée? Je ne puis me le persuader.

DIRECT. Rien n'est plus certain, ma chère fille, que qui sait bien s'abandonner, sera bientôt parfait (1) sans toutes ces attentions. Voilà tout le secret : il faut se perdre et s'abîmer entièrement dans la volonté de Dieu, sans se soucier le moins du monde de savoir quelle est actuellement cette volonté. Il ne faut point s'embarrasser non plus si l'on a en soi la grâce de JésusChrist, ou si elle nous manque: qu'importe? et que quelqu'un la possède en un degré plus éminent que nous ? il faut aller jusqu'à être ravi qu'il donne aux autres toutes ses grâces, que nous en soyons entièrement dépouillés, et que nous ne faisions que de l'horreur. Vous parlez, ma fille, de foi, d'espérance et de charité; vous êtes à cent lieues de ce qu'il faut être : vous parlez de vertus et de bonnes œuvres, tout de même. L'indifférence

(1) Qui sait bien s'abandonner, sera bientôt parfait. Moyen court.

Le fidèle abandon dans tout, ne voulant rien que ce que Dieu veut, et ne pouvant douter que ce qui arrive de moment en moment, ne soit l'ordre visible de Dieu, qui dispose tout cela, soit pour sa justice, soit pour sa miséricorde; qui pourrait dire jusqu'où se doit porter cet abandon? jusqu'à agir sans connaissance, ainsi qu'une personne qui n'est plus.............. Ce qui est le plus nécessaire est également le plus aisé; savoir, de connaître la volonté de Dieu et c'est sans nécessité que l'on se met si fort en peine de la découvrir. La volonté de Dieu n'est autre chose, que ce qu'il permet nous arriver à chaque moment. Règle des Associés à l'enfance de Jésus.

au plus ou au moins de toutes ces choses; voilà en quoi consiste la perfection (1).

PENIT. Quoi, mon père, la perfection pourrait consister à n'aimer Dieu que médiocrement, et à ne presque plus espérer en lui?

:

DIRECT. Je ne dis pas cela mais à ne se plus inquiéter de l'aimer peu ou beaucoup, comme d'espérer en lui, ou fermement ou faiblement. Voilà ce que je dis.

PÉNIT. Mais, mon père, si je ne sentais plus de charité, ni aucun amour pour Dieu ?

DIRECT. Il faudrait, ma fille, s'y résoudre et prendre pa

tience.

PÉNIT. Si je n'espérais plus en lui, et que je tombasse dans le désespoir? Cela est horrible, ce que je vous dis.

DIRECT. Il faudrait, madame, non-seulement supporter cet état horrible, mais l'aimer (2).

(1) Vous ressentirez au dedans une sécheresse passive, des ténèbres, des angoisses, des contradictions, une répugnance continuelle, des abandonnemens intérieurs, des désolations horribles, des suggestions importunes et perpétuelles, des tentations véhémentes de l'ennemi. Enfin vous trouverez votre cœur si resserré et si plein d'amertume, que vous ne pourrez l'élever vers Dieu, ni faire un seul acte de foi, d'espérance ou d'amour. Dans cet abandounement, vous voyant en proie à l'impatience, à la colère, à la rage, aux blasphemes, aux appétits désordonnés, vous vous croirez la plus misérable, la plus criminelle et la plus détestable de toutes les créaturcs, dénuée de toutes les vertus, éloignée de Dieu, et condamnée à des tourmens presque égaux aux peines infernales. Mais quoique dans cette oppression il vous semble d'être orgueilleuse, impatiente et colère; ces tentations néanmoins ne remportent aucun avantage sur vous, la vertu cachée et le don efficace de la force intérieure qui règnent en vous, étant capables de surmonter les assauts les plus vigoureux et les plus terribles. Molinos, Guid, Spirit. liv. 3, ch. 4, n. 28, 29 et 30.

Ame bienheureuse, si vous saviez combien le Seigneur vous aime et vous protège au milieu de ces tourmens..... Quelque affreuse que vous paraissiez à vos yeux, l'Auteur de tout bien vous aimera. Idem, ibid. chap. 5, n. 38.

L'abandon d'une âme spirituelle à Dieu, est un dépouillement de tout soin de nous-même pour nous laisser entièrement à sa conduite..... Pour l'abandon que l'âme spirituelle fait à Dieu tant de son intérieur que de son extérieur, son coeur demeure libre, content et dégagé. Pour la pratique, elle consiste à perdre sans cesse toute sa volonté propre dans la volonté de Dieu, à renoncer à toutes les inclinations particulières quelque bonnes qu'elles paraissent, sitôt qu'on les sent naître, afin de se mettre dans l'indifférence, et ne vouloir que ee que Dieu a voulu dans son éternité. Moyen court.

Il n'y a plus d'amour, de lumières, ni de connaissances. Livre des Torrens. (2) Vouloir bien n'être rien aux yeux de Dieu, demeurer dans un entier abandon, dans le désespoir même, se donner à lui, lorsqu'on est le plus rebuté, s'y laisser et ne se pas regarder soi-même, lorsqu'on est sur le bord de l'abyme, c'est ce qui est très-rare, et qui fait l'abandon parfait..... Cette pauvre âme est obligée, après avoir tout perdu, de se perdre elle-même par un entier désespoir. Livre des Torrens.

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