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dans ses mystères; vous seuls par singularité, ou par un faux sentiment de la sublimité de votre état, dédaignant la maison du seigneur et ceux qui la fréquentent en ces saints jours, vous présumez que c'est agir par l'esprit de Dieu, et par des vues surnaturelles, que de vous renfermer dans un coin de vos maisons, et là sans y penser, ou à un Dieu fait chair, ou à un Dieu ressuscité (1), de vous borner seulement à ne penser à rien, ou tout au plus à Dieu présent en tous lieux; vous estimez au contraire que ceux qui suivent l'esprit de Dieu et de son Église, en s'unissant aux cérémonies et aux prières de sa liturgie, accommodées à la célébrité du jour, n'agissent que par un principe corrompu, ne font que des actions vivantes, ou (selon votre père) mortes en effet pour le salut et pour votre justification. Cela est si ridicule et si absurde, ma sœur, je ne vous le dissimule point, que tout autre que moi sans y répondre, hausserait les épaules, et s'en moquerait.

Je ne sais, mon frère, lui répliquai-je, si vous m'avez écouté, quand j'ai dit que les voies extraordinaires n'étaient que pour les parfaits.

Vous vous moquez, me dit-il, je sais que vos docteurs en font des leçons aux enfans, aux valets, aux artisans; mais j'empêcherai bien que vous ne gâtiez mes domestiques, et si j'en suis le maître, mon filleul aussi, qu'on m'a dit que vous vouliez à huit ans au plus, jeter dans la vue confuse et indistincte de Dieu; je crois avec cela que c'est l'âge où il saura mieux s'en tirer qu'en nul autre temps de sa vie.

Mon fils, lui dis-je, n'est pas encore assez parfait pour cela, quoi, lui connaître Dieu confusément et indistinctement ?

Je vous entends, ma sœur, quand vous le jugerez assez parfait; ce sera alors qu'il faudra songer à le tirer de la déférence qu'il doit aux usages de l'Église, et à le dégoûter des pratiques chré

(1) Lorsque le · Seigneur conduit l'âme à la contemplation, l'esprit devient incapable de méditer la Passion de Jésus-Christ; parce que la méditation n'étant autre chose que l'action de chercher Dieu, dès que l'âme l'a trouvé une fois, elle s'accoutume à ne le chercher que par le moyen de la volonté, et ne veut plus s'embarrasser de l'entendement. Molinos, Introd. à la Guide Spirit.. sect. 3, n. 24.

Après que nous avons médité tant d'années sur l'humanité du Sauveur du monde, il faut enfin apprendre à nous reposer en Dieu, à qui elle nous conduit. Malaval, Pratique facile.

Ceux qui sont arrivés par la grâce à la pure contemplation, où il n'y a plus de méditation, ni d'actes raisonnés, de souvenir de Jésus-Christ, à l'état de pure foi, conçoivent Jésus-Christ Homme-Dieu d'une seule vue d'esprit sans pensée quelconque qui soit distincte, si ce n'est que le Saint-Esprit nous applique quelquefois aux considérations sur la sainte humanité par la volonté divine, et non par la nôtre, qui n'agit plus, ni par notre choix. Malaval Pratique facile.

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tiennes ainsi la négligence sur ses devoirs, sera une induction de la perfection de son état, et il pourrait même par vos soins monter à un tel degré, que votre directeur les dispenserait pour toujours d'aller à confesse et de communier.

DIRECT. C'est selon, deviez-vous lui dire; car ma fille, si l'on sentait en sa conscience que l'on fût dans de telles dispositions à l'égard de ces sacremens, qu'on ne pût les désirer, s'y préparer et les recevoir sans propriété et activité, et qu'on fût ainsi exposé à participer aux mystères de Dieu sans motion divine; je tiens, et tous nos docteurs avec moi, qu'il n'y a point de circonstances tirées du jour, du précepte, de la bienséance, ou de la nécessité, qui puissent obliger une âme fidèle à commettre un péché en usant de la confession et de la communion, et qu'elle fait mieux de s'en abstenir. Mais vous aurez, madame, le loisir et l'occasion peut-être d'épuiser cette importante matière. Achevons l'entretien avec votre docteur.

PÉNIT. Un des messieurs de Sorbonne se fit annoncer, comme il en était où je vous ai dit.

DIRECT. Hé bien?

PÉNIT. Il ne voulut pas poursuivre en présence de son ami, et je crois par des égards pour moi; je le voulais encore moins que lui; car comme il est né éloquent et beau parleur, il rend les choses qu'il dit assez plausibles et capables de faire impression. Je voudrais, mon père, vous le faire connaître, vous lui répondriez beaucoup mieux que moi, et je vous avouerai qu'avant que de nous séparer, je lui proposai le plus honnêtement que je pus, de vous venir voir et de vous aboucher ensemble quelque part.

Un plaisant mot de ma belle-mère là-dessus. Vous ne sauriez mieux faire, ma fille, que de les faire trouver ensemble. Voulezvous que ce soit ici? J'aurais le plaisir de voir mon fils l'abbé vous rendre tous deux chrétiens, vous et votre directeur.

DIRECT. Nous parlerons, madame, de cette entrevue la première fois.

PÉNIT. J'y consens, mon père, aussi-bien je crains que le récit de cette conversation ne nous ait mené trop loin, et qu'il ne vous ait peut-être un peu ennuyé.

DIRECT. Point du tout, madame, mais puisque vous le voulez ainsi, je vous laisse partir, pourvu que vous vous engagiez à ne me rien cacher à l'avenir de telles aventures.

Les maximes des Quiétistes détournent de la confession et de la pénitence. L'abandon parfait qu'ils enseignent, jette dans l'indifférence pour le salut, pour les bonnes œuvres, pour les biens spirituels, pour les vices et les vertus : Il fait consentir l'âme à l'extinction de la charité et de la foi, à aimer l'état du péché, le désespoir et la damnation. Affreuses conséquences de cette indifférence absolue : Qu'elle renverse les premiers principes du christianisme : Qu'elle est directement opposée à toutes les demandes que l'on fait dans l'oraison dominicale.

DIRECT.

IRECT. Mon Dieu, madame, j'appréhende bien que vous ne vous soyez un peu ennuyée dans ce mauvais poste, et que le froid que vous avez souffert en m'attendant, n'ait causé cet abattement, et cette pâleur que je vous vois. Où sont donc ces yeux vifs et rians, ces belles couleurs qui relevaient votre teint? Je ne suis pas au moins édifié de cet air languissant que vous nous apportez; vous étiez si vive, et dans une si parfaite santé la dernière fois. Donnez-moi vos deux mains que je vous fasse jurer que vous prendrez plus de soin de vous à l'avenir. Que vous est-il donc arrivé, ma chère dame, depuis huit jours que nous ne nous sommes pas vus? Est-ce toujours ce mari, est-ce moi? votre belle-mère, ou monsieur son fils le docteur? Vous plaindriezvous de moi? Car vous êtes triste, et point du tout dans votre naturel. Serait-ce notre doctrine qui vous inquiéterait? Est-ce que nos pratiqués surpassent vos forces? Cela serait bien extraordinaire; car pour une âme qui éprouve des peines, des langueurs, et des sécheresses dans nos exercices, il y en a mille que Dieu conduit par le repos, par la douceur, et j'oserais dire, par une divine nonchalance. Y a-t-il rien de plus agréable à une jeune femme, d'une complexion délicate, que de demeurer passive toute sa vie, et d'avoir même scrupule de faire pour Dieu et pour le paradis, la moindre action qui puisse l'émouvoir le moins du monde, que de ne se plus tourmenter ni du passé ni de l'avenir, et pour le présent, prendre le temps comme il vient (1), sans

(1) L'abandon est ce qu'il y a de conséquence dans toute la vie, et c'est la clef de l'intérieur. Qui sait bien s'abandonner, sera bientôt parfait.... Pour la pratique, elle doit être de perdre sans cesse toute volonté propre dans la volonté de Dieu, de renoncer à toutes inclinations particulières, quelque bonnes qu'elles paraissent, sitôt qu'on les sent naître, pour se mettre dans l'indiffi rence, et ne vouloir que ce que Dieu a voulu dès son éternité; être indifférent à toutes choses, soit pour le corps, soit pour l'âme, pour les biens temporels et éternels, laisser le passé dans l'oubli, l'avenir à la Providence, et donner le présent à Dieu; nous contenter du moment actuel, qui nous apporte avec soi l'ordre éternel de Dieu sur nous, et qui nous est une déclaration autant infaillible de la volonté de Dieu, comme elle est commune et inévitable pour ious. Moyen court.

d'autre parti sur les actions bonnes ou mauvaises que nous faísons, que de nous en remettre pour l'événement à la volonté divine, maîtresse de nous forcer à tout le bien et à tout le mal qu'il lui plaît, suivant la diversité de ses voies, et la profondeur de ses jugemens? Imaginez-vous, madame, un système de religion le plus accommodé à la portée des hommes, et qui semble fait exprès pour leur aplanir le chemin du ciel, afin qu'ils y pussent entrer doucement et sans violence. Serait-il de bonne foi comparable aux suavités ineffables, aux inactions, à la paix, aux célestes voluptés dont notre doctrine est toute remplie? Ne faudrait-il pas se haïr soi-même, je veux dire son âme, son corps, ses plaisirs, sa joie; pour, connaissant nos principes et toutes leurs suites, refuser d'en profiter, et de se sauver comme en se jouant? Je vois ce que c'est, madame, nous sommes à peine sortis de la quinzaine de Pâques, chargée encore d'un jubilé, la prière, le jeûne, les stations, les sacremens, vous auront mis en l'état où vous voilà.

PÉNIT. Vous dites vrai, mon père, en quelque manière, mais qui n'est pas celle dont vous l'entendez.

DIRECT. Comment, ma chère fille? hé je vous avoue que je n'y entends plus rien. Auriez-vous trouvé quelque ignorant de confesseur qui vous aurait refusé l'absolution?

PÉNIT. Cela ne pouvait pas être, mon père.

DIRECT. Pourquoi non, ma fille? Je vais vous montrer que cela était très-possible. Il ne faut pour cela que s'être adressé à un homme scrupuleux, qui aura pénétré par votre manière de vous confesser, que vous n'avez pas fait votre examen de conscience.

PÉNIT. Hélas, mon cher père, j'aurais grand tort de m'en prendre à un confesseur!

DIRECT. Tant mieux, madame, et ce n'est pas une chose si ordinaire que de bien rencontrer en ce point, et d'avoir sujet de se louer de ces gens-là.

PÉNIT. Je ne m'en loue pas aussi, mon père, et je ne suis pas en cet état-là.

DIRECT. C'est-à-dire, madame, que vous n'avez pas usé ces Pâques-ci de la confession?

PÉNIT. Non, mon père.

DIRECT. Je l'ai vu d'abord. Et pour la communion, ma fille, comment cela s'est-il passé? Êtes-vous contente?

PÉNIT. Point du tout.

DIRECT. Croyez-vous que vous eussiez mieux fait de vous confesser cette année avant que de communier? Mais quoi, vous

pleurez ce me semble, et vous avez quelque chose sur le cœur que vous ne me dites pas.

PÉNIT. Je n'ai rien, mon père, je crois seulement que j'aurais mieux fait d'approcher des sacremens de l'Église dans cette solennité de Pâques, comme j'y ai été élevée dès ma plus tendre jeunesse, comme ont fait mon mari, mon beau-frère, et ma belle-mère, qui toute simple qu'elle est, a peut-être pris un meilleur parti que je n'ai fait, et qui fera sans doute son salut plus sûrement que moi, seulement à cause qu'elle suit aveuglément et sans examen toutes les pratiques de l'Église, qu'elle croit comme un enfant tous les articles de foi, et qu'elle ne se rapporte de toutes choses qu'à son curé. Enfin, mon père, je voudrais qu'il m'eût coûté cette main-là, et avoir fait mes Pâques, et ensuite gagné le jubilé comme les autres.

DIRECT. Mais il n'y aurait pas eu en effet grand mal à cela; d'où vient, madame, que vous n'avez pas fait l'un et l'autre, si votre santé vous le permettait?

PÉNIT. Je vous le dirai. Je savais, mon père, comme les autres, que le pape avait accordé un jubilé général, qu'il s'ouvrirait dès la semaine-sainte ; je formai la résolution de le gagner; je m'en ouvris même à vous dès le commencement du carême, et vous me dites que vous me le permettiez. Je n'ai rien rabattu, comme vous avez vu depuis ce temps-là, de la sublime oraison ; j'ai écouté toutes les motions divines; j'ai renoncé de cœur à toute propriété et à toute activité. Il est vrai que la fête de Pâques venant à s'approcher, j'entrai un matin par ancienne habitude dans une profonde considération de la grandeur du mystère, de l'importance qu'il y avait pour moi de le bien solenniser. Je songeai quel bien infini c'était pour une âme qui communiait dignement, quelle source, quels trésors de grâces étaient renfermés dans les indulgences que l'Église voulait bien octroyer dans ces saints jours, par le pouvoir qu'elle en avait de Jésus-Christ. Je me préparai donc d'ajouter à l'acte de simple présence de Dieu, des réflexions vives sur sa bonté infinie, sur ses miséricordes inépuisables : je récitai ensuite le psaume Miserere, j'y trouvai du goût, je le récitai une seconde fois, je choisis les jours que je ferais des stations.

DIRECT. Des stations?

PÉNIT. Oui, mon père, des stations. Je me taxai à une telle somme pour mes aumônes ; je m'efforçai de me souvenir de mes péchés, comptant d'en faire une plus exacte recherche lorsqu'il s'agirait de les confesser avant que d'approcher des mystères. Enfin mon plan était dressé, ma résolution prise, suivant en cela les vues que j'avais eues dès le jour des cendres, comme je La Bruyère.

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