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même dans le monde moins de certitude qu'il ne s'en trouve en effet sur la vérité de la religion, il n'y a point pour l'homme un meilleur parti que la vertu.

Je ne sais si ceux qui osent nier Dieu méritent qu'on s'efforce de le leur prouver, et qu'on les traite plus sérieusement que l'on n'a fait dans ce chapitre. L'ignorance, qui est leur caractère, les rend incapables des principes les plus clairs et des raisonnemens les mieux suivis je consens néanmoins qu'ils lisent celui que je vais faire, pourvu qu'ils ne se persuadent pas que c'est tout ce que l'on pouvait dire sur une vérité si éclatante.

Il y a quarante ans que je n'étais point, et qu'il n'était pas en moi de pouvoir jamais être, comme il ne dépend pas de moi qui suis une fois, de n'être plus : j'ai donc commencé, et je continue d'être par quelque chose qui est hors de moi, qui durera après moi, qui est meilleur et plus puissant que moi: si ce quelque chose n'est pas Dieu, qu'on me dise ce que c'est.

Peut-être que moi qui existe, n'existe ainsi que par la force d'une nature universelle qui a toujours été telle que nous la voyons en remontant jusques à l'infinité des temps (5). Mais cette nature, ou elle est seulement esprit, et c'est Dieu : ou elle est matière, et ne peut par conséquent avoir créé mon esprit ou elle est un composé de matière et d'esprit; et alors ce qui est esprit dans la nature, je l'appelle Dieu.

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Peut-être aussi que ce que j'appelle mon esprit n'est qu'une portion de matière qui existe par la force d'une nature universelle qui est aussi matière, qui a toujours été, et qui sera toujours telle que nous la voyons, et qui n'est point Dieu (6) : mais du moins faut-il m'accorder que ce que j'appelle mon esprit, quelque chose que ce puisse être, est une chose qui pense; et que s'il est matière, il est nécessairement une matière qui pense; car l'on ne me persuadera point qu'il n'y ait pas en moi quelque chose qui pense, pendant que je fais ce raisonnement. Or, ce quelque chose qui est en moi, et qui pense, s'il doit son être et sa conservation à une nature universelle qui a toujours été et qui sera toujours, laquelle il reconnaisse comme sa cause, il faut indispensablement que ce soit à une nature universelle, ou qui pense, ou qui soit plus noble et plus parfaite que ce qui pense; et si cette nature ainsi faite est matière, l'on doit encore conclure que c'est une matière universelle qui pense, ou qui est plus noble et plus parfaite que ce qui pense.

Je continue et je dis : cette matière, telle qu'elle vient d'être supposée, si elle n'est pas un être chimérique, mais réel, n'est pas aussi imperceptible à tous les sens ; et si elle ne se découvre pas par elle-même, on la connaît du moins dans les divers arran

dans

gement de ses parties, qui constitue les corps, et qui en fait la différence; elle est donc elle-même tous ces différens corps et comme elle est une matière qui pense selon la supposition, ou qui vaut mieux que ce qui pense, il s'ensuit qu'elle est telle du moins selon quelques uns de ces corps, et par une suite nécessaire selon tous ces corps, c'est-à-dire, qu'elle pense dans les pierres, dans les métaux, dans les mers, dans la terre, moi-même qui ne suis qu'un corps, commé dans toutes les autres parties qui la composent : c'est donc à l'assemblage de ces parties si terrestres, si grossières, si corporelles, qui toutes ensemble sont la matière universelle ou ce monde visible, que je dois ce quelque chose qui est en moi, qui pense et que j'appelle mon esprit, ce qui est absurde.

Si au contraire cette nature universelle, quelque chose que ce puisse être, ne peut pas être tous ces corps, ni aucun de ces corps, il suit de là qu'elle n'est point matière, ni perceptible par aucun des sens si cependant elle pense, ou si elle est plus parfaite que ce qui pense, je conclus encore qu'elle est esprit, ou un être meilleur et plus accompli que ce qui est esprit : si d'ailleurs il ne reste plus à ce qui pense en moi, et que j'appelle mon esprit, que cette nature universelle à laquelle il puisse remonter pour rencontrer sa première cause et son unique origine, parce qu'il ne trouve point son principe en soi, et qu'il le trouve encore moins dans la matière, ainsi qu'il a été démontré, alors je ne dispute point des noms; mais cette source originaire de tout esprit, qui est esprit elle-même, et qui est plus excellente que tout esprit, je l'appelle Dieu.

En un mot je pense; donc Dieu existe car ce qui pense en moi, je ne le dois point à moi-même, parce qu'il n'a pas plus dépendu de moi de me le donner une première fois, qu'il dépend encore de moi de me le conserver un seul instant : je ne le dois point à un être qui soit au-dessus de moi, et qui soit matière, puisqu'il est impossible que la matière soit au-dessus de ce qui pense je le dois donc à un être qui est au-dessus de moi, et qui n'est point matière; et c'est Dieu.

De ce qu'une nature universelle qui pense exclut de soi généralement tout ce qui est matière, il suit nécessairement qu'un être particulier qui pense ne peut pas aussi admettre en soi la moindre matière: car bien qu'un être universel qui pense renferme dans son idée infiniment plus de grandeur, de puissance, d'indépendance et de capacité qu'un être particulier qui pense, il ne renferme pas néanmoins une plus grande exclusion de matière, puisque cette exclusion dans l'un et l'autre de ces deux êtres est aussi grande qu'elle peut être et comme infinie ; et qu'il

est autant impossible que ce qui pense en moi soit matière, qu'il est inconcevable que Dieu soit matière : ainsi comme Dieu est esprit, mon âme aussi est esprit.

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Je ne sais point si le chien choisit, s'il se ressouvient, s'il affectionne, s'il craint, s'il imagine, s'il pense quand donc l'on me dit que toutes ces choses ne sont en lui ni passions, ni sentiment, mais l'effet naturel et nécessaire de la disposition de sa machine préparée par le divers arrangement des parties de la matière, je puis au moins acquiescer à cette doctrine. Mais je pense, et je suis certain que je pense: or quelle proportion y a-t-il de tel ou de tel arrangement des parties de la matière, c'est-à-dire, d'une étendue selon toutes ses dimensions, qui est longue, large et profonde, et qui est divisible dans tous ces sens, avec ce qui pense?

Si tout est matière, et si la pensée en moi, comme dans tous les autres hommes, n'est qu'un effet de l'arrangement des parties de la matière ; qui a mis dans le monde toute autre idée que celle des choses matérielles? La matière a-t-elle dans son fonds une idée aussi pure, aussi simple, aussi immatérielle qu'est celle de l'esprit? comment peut-elle être le principe de ce qui la nie et l'exclut de son propre être ? comment est-elle dans l'homme ce qui pense, c'est-à-dire, ce qui est à l'homme même une conviction qu'il n'est point matière ?

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Il y a des êtres qui durent peu, parce qu'ils sont composés de choses très différentes, et qui se nuisent réciproquement: il y en a d'autres qui durent davantage, parce qu'ils sont plus simples; mais ils périssent, parce qu'ils ne laissent pas d'avoir des parties selon lesquelles ils peuvent être divisés. Ce qui pense en moi doit durer beaucoup, parce que c'est un être pur, exempt de tout mélange et de toute composition; et il n'y a pas de raison qu'il doive périr, car qui peut corrompre ou séparer un être simple et qui n'a point de parties?

L'âme voit la couleur par l'organe de l'œil, et entend les sons par l'organe de l'oreille; mais elle peut cesser de voir ou d'entendre, quand ces sens ou ces objets lui manquent, sans que pour cela elle cesse d'être ; parce que l'âme n'est point précisément ce qui voit la couleur, ou ce qui entend les sons; elle n'est que ce qui pense: or, comment peut-elle cesser d'être telle? ce n'est point par le défaut d'organe, puisqu'il est prouvé qu'elle n'est point matière; ni par le défaut d'objet, tant qu'il y aura un Dieu et d'éternelles vérités : elle est donc incorruptible.

Je ne conçois point qu'une âme que Dieu a voulu remplir de l'idée de son être infini et souverainement parfait doive être

anéantie.

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Voyez, Lucile, ce morceau de terre plus propre et plus orné que les autres terres qui lui sont contiguës: ici ce sont des compartimens mêlés d'eaux plates et d'eaux jaillissantes, là des allées en palisssades qui n'ont pas de fin et qui vous couvrent des vents du nord d'un côté c'est un bois épais qui défend de tous les soleils, et d'un autre un beau point de vue : plus bas une Yvette ou un Lignon, qui coulait obscurément entre les saules et les peupliers, est devenu un canal qui est revêtu : ailleurs de longues et fraîches avenues se perdent dans la campagne, et annoncent la maison qui est entourée d'eaux : vous récrierezvous, Quel jeu du hasard! combien de belles choses se sont rencontrées ensemble inopinément! Non, sans doute ; vous direz au contraire, Cela est bien imaginé et bien ordonné, il règne ici un bon goût et beaucoup d'intelligence. Je parlerai comme vous, et j'ajouterai que ce doit être la demeure de quelqu'un de ces gens chez qui un Le Nôtre va tracer et prendre des alignemens dès le jour même qu'ils sont en place. Qu'est-ce pourtant que cette pièce de terre ainsi disposée et où tout l'art d'un ouvrier habile a été employé pour l'embellir l'embellir, si même toute la terre n'est qu'un atome suspendu en l'air, et si vous écoutez ce que je vais dire?

Vous êtes placé, ô Lucile, quelque part sur cet atome; il faut donc que vous soyez bien petit, car vous n'y occupez pas une grande place: cependant vous avez des yeux qui sont deux points imperceptibles, ne laissez pas de les ouvrir vers le ciel : qu'y apercevez-vous quelquefois? la lune dans son plein? Elle est belle alors et fort lumineuse, quoique sa lumière ne soit que la réflexion de celle du soleil : elle paraît grande comme le soleil, plus grande que les autres planètes, et qu'aucune des étoiles. Mais ne vous laissez pas tromper par les dehors; il n'y a rien au ciel de si petit que la lune : sa superficie est treize fois plus petite que celle de la terre, sa solidité quarante-huit fois; et son diamètre de sept cent cinquante lieues n'est que le quart de celui de la terre: aussi est-il vrai qu'il n'y a que son voisinage qui lui donne une si grande apparence, puisqu'elle n'est guère plus éloignée de nous que de trente fois le diamètre de la terre ου que sa distance n'est que de cent mille lieues. Elle n'a presque pas même de chemin à faire en comparaison du vaste tour que le soleil fait dans les espaces du ciel; car il est certain qu'elle n'achève par jour que cinq cent quarante mille lieues : ce n'est par heure que vingt deux mille cinq cents lieues, et trois cent soixante et quinze lieues dans une minute. Il faut néanmoins, pour accomplir cette course, qu'elle aille cinq mille six cents * Chantilly.

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par

fois plus vite qu'un cheval de poste qui ferait quatre lieues heure, qu'elle vole quatre-vingts fois plus légèrement que le son, que le bruit, par exemple, du canon et du tonnerre, qui parcourt en une deux heure cent soixante et dix-sept lieues.

sens,

Mais quelle comparaison de la lune au soleil pour la grandeur, pour l'éloignement, pour la course! vous verrez qu'il n'y en a aucune. Souvenez-vous seulement du diamètre de la terre: il est de trois mille lieues; celui du soleil est cent fois plus grand, il est donc de trois cent mille lieues. Si c'est là sa largeur en tous quelle peut être toute sa superficie! quelle est sa solidité! comprenez-vous bien cette étendue, et qu'un million de terres. comme la nôtre ne seraient toutes ensemble pas plus grosses que le soleil? Quel est donc, direz-vous, son éloignement, si l'on en juge par son apparence? Vous avez raison, il est prodigieux; il est démontré qu'il ne peut pas y avoir de la terre au soleil moins de dix mille diamètres de la terre, autrement moins de trente millions de lieues: peut-être y a-t-il quatre fois, six fois, dix fois plus loin; on n'a aucune méthode pour déterminer cette distance.

Pour aider seulement votre imagination à se la représenter, supposons une meule de moulin qui tombe du soleil sur la terre, donnons-lui la plus grande vitesse qu'elle soit capable d'avoir, celle même que n'ont pas les corps tombant de fort haut; supposons encore qu'elle conserve toujours cette même vitesse, sans en acquérir et sans en perdre; qu'elle parcourt quinze toises par chaque seconde de temps, c'est-à-dire, la moitié de l'élévation des plus hautes tours, et ainsi neuf cent toises en une minute; passons-lui mille toises en une minute, pour une plus grande facilité; mille toises font une demi-lieue commune; ainsi en deux minutes la meule fera une lieue, et en une heure elle en fera trente, et en un jour elle fera sept cent vingt lieues : or, elle a trente millions à traverser avant que d'arriver à terre, il lui faudra donc quarante-un mille six cent soixante et six jours, qui sont plus de cent quatorze années pour faire ce voyage. Ne vous effrayez pas, Lucile, écoutez-moi la distance de la terre à Saturne est au moins décuple de celle de la terre au soleil, c'est vous dire qu'elle ne peut être moindre que de trois cent millions de lieues, et que cette pierre emploierait plus d'onze cent quarante ans pour tomber de Saturne en terre.

Par cette élévation de Saturne, élevez vous-même, si vous le pouvez, votre imagination à concevoir quelle doit être l'immensité du chemin qu'il parcourt chaque jour au-dessus de nos têtes le cercle que Saturne décrit a plus de six cents millions de lieues de diamètre, et par conséquent plus de dix-huit cent

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