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pour être écouté: ne savais-je pas quelle est dans les hommes et en toutes choses la force indomptable de l'habitude? Depuis trente années on prête l'oreille aux rhéteurs, aux déclamateurs, aux énumérateurs : on court ceux qui peignent en grand, ou en miniature. Il n'y a pas long-temps qu'ils avaient des chutes ou transitions ingénieuses, quelquefois même si vives et si aiguës, qu'elles pouvaient passer pour épigrammes. Ils les ont adoucies, je l'avoue, et ce ne sont plus que des madrigaux. Ils ont toujours, d'une nécessité indispensable et géométrique, trois sujets admirables de vos attentions: ils prouveront une telle chose dans la première partie de leur discours, cette autre dans la seconde partie, et cette autre encore dans la troisième : ainsi vous serez convaincu d'abord d'une certaine vérité, et c'est leur premier point; d'une autre vérité, et c'est leur second point; et puis d'une troisième vérité, et c'est leur troisième point: de sorte que la première réflexion vous instruira d'un principe des plus fondamentaux de votre religion, la seconde d'un autre principe qui ne l'est pas moins, et la dernière réflexion d'un troisième et dernier principe le plus important de tous, qui est remis pourtant, faute de loisir, à une autre fois : enfin pour reprendre et abréger cette division, et former un plan..... « Encore! dites-vous; et quelles préparations pour un discours de trois quarts d'heure qui leur reste à faire plus ils cherchent à le digérer et à » l'éclaircir, plus ils m'embrouillent. » Je vous crois sans peine, et c'est l'effet le plus naturel de tout cet amas d'idées qui reviennent à la même, dont ils chargent sans pitié la mémoire de leurs auditeurs. Il semble, à les voir s'opiniâtrer à cet usage, la grâce de la conversion soit attachée à ces énormes partitions: comment néanmoins serait-on converti par de telsapôtres, si l'on ne peut qu'à peine les entendre articuler, les suivre, et ne les pas perdre de vue? Je leur demanderais volontiers qu'au milieu de leur course impétueuse ils voulussent plusieurs fois reprendre haleine, souffler un peu, et laisser souffler leurs auditeurs. Vains discours! paroles perdues! Le temps des homélies n'est plus, les Basile, les Chrysostome, ne le ramèneraient pas : on passerait en d'autres diocèses pour être hors de la portée de leur voix et de leurs familières instructions. Le commun des hommes aime les phrases et les périodes, admire ce qu'il n'entend pas, se suppose instruit, content de décider entre un premier et un second point, ou entre le dernier sermon et le pénultième.

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Il y a moins d'un siècle qu'un livre français était un certain nombre de pages latines où l'on découvrait quelques lignes ou quelques mots en notre langue. Les passages, les traits et les

citations n'en étaient pas demeurés là: Ovide et Catulle achevaient de décider des mariages et des testamens, et venaient avec les Pandectes au secours de la veuve et des pupilles. Le sacré et le profane ne se quittaient point; ils s'étaient glissés ensemble jusque dans la chaire: S. Cyrille, Horace, S. Cyprien, Lucrèce, parlaient alternativement les poëtes étaient de l'avis de S. Augustin et de tous les pères : on parlait latin et long-temps devant des femmes et des marguilliers, on a parlé grec: il fallait savoir prodigieusement pour prêcher si mal. Autre temps, autre usage: le texte est encore latin, tout le discours est français, et d'un beau français; l'évangile même n'est pas cité : il faut savoir aujourd'hui très-peu de chose pour bien prêcher.

L'on a enfin banni la scholastique de toutes les chaires des grandes villes, et on l'a reléguée dans les bourgs et dans les villages pour l'instruction et pour le salut du laboureur ou du vigneron.

C'est avoir de l'esprit (4) que de plaire au peuple dans un sermon par un style fleuri, une morale enjouée, des figures réitérées, des traits brillans et de vives descriptions; mais ce n'est point en avoir assez. Un meilleur esprit (5) néglige ces ornemens étrangers, indignes de servir à l'évangile; il prêche simplement, fortement, chrétiennement.

L'orateur (6) fait de si belles images de certains désordres, y fait entrer des circonstances si délicates, met tant d'esprit, de tour et de raffinement dans celui qui pèche, que si je n'ai pas de pente a vouloir ressembler à ses portraits, j'ai besoin du moins que quelque apôtre, avec un style plus chrétien, me dégoûte des vices dont l'on m'avait fait une peinture si agréable.

Un beau sermon (7) est un discours oratoire qui est dans toutes ses règles, purgé de tous ses défauts, conforme aux préceptes de l'éloquence humaine, et paré de tous les ornemens de la rhétorique. Ceux qui entendent finement n'en perdent pas le moindre trait ni une seule pensée; ils suivent sans peine l'orateur dans toutes les énumérations où il se promène, comme dans toutes les évaluations où il se jette: ce n'est une énigme que pour le peuple.

Le solide et l'admirable (8) discours que celui qu'on vient d'entendre ! Les points de religion les plus essentiels, comme les plus pressans motifs de conversion, y ont été traités; quel grand effet n'a-t-il pas dû faire sur l'esprit et dans l'âme de tous les auditeurs! Les voilà rendus; ils en sont émus et touchés au point de résoudre dans leur cœur, sur ce sermon de Théodore, qu'il est encore plus beau que le dernier qu'il a prêché.

La morale douce (9) et relâchée tombe avec celui qui la prêche : elle n'a rien qui réveille et qui pique la curiosité d'un homme

du monde, qui craint moins qu'on ne pense une doctrine sévère, et qui l'aime même dans celui qui fait son devoir en l'annonçant. Il semble donc qu'il y ait dans l'église comme deux états qui doivent la partager celui de dire la vérité dans toute son étendue, sans égards, sans déguisement; celui de l'écouter avidement, avec goût, avec admiration, avec éloges, et de n'en faire cependant ni pis ni mieux.

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L'on peut faire (10) ce reproche à l'héroïque vertu des grands hommes, qu'elle a corrompu l'éloquence, ou du moins amolli le style de la plupart des prédicateurs au lieu de s'unir seulement avec les peuples pour bénir le ciel de si rares présens qui en sont venus, ils ont entré en société avec les auteurs et les poëtes; et devenus comme eux panégyristes, ils ont enchéri sur les épîtres dédicatoires, sur les stances et sur les prologues; ils ont changé la parole sainte en un tissu de louanges, justes à la vérité, mais mal placées, intéressées, que personne n'exige d'eux, et qui ne conviennent point à leur caractère. On est heureux, si, à l'occasion du héros qu'ils célèbrent jusque dans le sanctuaire, ils disent un mot de Dieu et du mystère qu'ils devaient prêcher : il s'en est trouvé quelques uns (11) qui, ayant assujetti le saint évangile, qui doit être commun à tous, à la présence d'un seul auditeur, se sont vus déconcertés par des hasards qui le retenaient ailleurs, n'ont pu prononcer devant des chrétiens un discours chrétien qui n'était pas fait pour eux, et ont été suppléés par d'autres orateurs qui n'ont eu le temps que de louer Dieu dans un sermon précipité.

Théodule (12) a moins réussi que quelques uns de ses auditeurs ne l'appréhendaient, ils sont contens de lui et de son discours : il a mieux fait à leur gré que de charmer l'esprit et les oreilles, qui est de flatter leur jalousie.

Le métier de la parole ressemble en une chose à celui de la guerre ; il y a plus de risque qu'ailleurs, mais la fortune y est plus rapide.

Si vous êtes d'une certaine qualité, et que vous ne vous sentiez point d'autre talent que celui de faire de froids discours, prêchez, faites de froids discours : il n'y a rien de pire pour sa fortune, que d'être entièrement ignoré. Théodat a été payé de ses mauvaises phrases et de son ennuyeuse monotonie.

L'on a eu de grands évêchés par un mérite de chaire qui présentement ne vaudrait pas à son homme une simple prébende.

Le nom de ce panégyriste semble gémir sous le poids des titres dont il est accablé; leur grand nombre remplit de vastes affiches qui sont distribuées dans les maisons, ou que l'on lit par les rues en caractères monstrueux, et qu'on ne peut non plus ignorer que la place publique. Quand sur une si belle montre l'on a seule

ment essayé du personnage et qu'on l'a un peu écouté, l'on reconnaît qu'il manque au dénombrement de ses qualités celle de mauvais prédicateur.

L'oisiveté des femmes, et l'habitude qu'ont les hommes de les courir partout où elles s'assemblent, donnent du nom à de froids orateurs, et soutiennent quelque temps ceux qui ont décliné.

Devrait-il suffire (13) d'avoir été grand et puissant dans le monde pour être louable ou non, et, devant le saint autel et dans la chaire de la vérité, loué et célébré à ses funérailles? N'y a-t-il point d'autre grandeur que celle qui vient de l'autorité et de la naissance? Pourquoi n'est-il pas établi de faire publiquement le panégyrique d'un homme qui a excellé pendant sa vie dans la bonté, dans l'équité, dans la douceur, dans la fidélité, dans la piété? Ce qu'on appelle une oraison funèbre n'est aujourd'hui bien reçue du plus grand nombre des auditeurs qu'à mesure qu'elle s'éloigne davantage du discours chrétien: ou, si vous l'aimez mieux ainsi, qu'elle approche de plus près d'un éloge profane.

L'orateur cherche par ses discours un évêché : l'apôtre fait des conversions; il mérite de trouver ce que l'autre cherche.

L'on voit des clercs revenir de quelques provinces où ils n'ont pas fait un long séjour, vains des conversions qu'ils ont trouvées toutes faites, comme de celles qu'ils n'ont pu faire, se comparer déjà aux Vincent et aux Xavier, et se croire des hommes apostoliques de si grands travaux et de si heureuses missions ne seraient pas à leur gré payées d'une abbaye.

Tel, tout d'un coup et sans y avoir pensé la veille, prend du papier, une plume, dit en soi-même, je vais faire un livre, sans autre talent pour écrire que le besoin qu'il a de cinquante pistoles. Je lui crie inutilement : Prenez une scie, Dioscore (14), sciez, ou bien tournez, ou faites une jante de roue, vous aurez votre salaire. Il n'a point fait l'apprentissage de tous ces métiers. Copiez donc, transcrivez, soyez au plus correcteur d'imprimerie, n'écrivez point. Il veut écrire et faire imprimer; et parce qu'on n'envoie pas à l'imprimeur un cahier blanc, il le barbouille de ce qui lui plaît; il écrirait volontiers que la Seine coule à Paris, qu'il y a sept jours dans la semaine, ou que le temps est à la pluie; et comme ce discours n'est ni contre la religion ni contre l'État, et qu'il ne fera point d'autre désordre dans le public que de lui gâter le goût et l'accoutumer aux choses fades et insipides, il passe à l'examen, il est imprimé, et, à la honte du siècle, comme pour l'humiliation des bons auteurs, réimprimé. De même, un homme dit en son cœur, je prêcherai, et

il prêche le voilà en chaire, sans autre talent ni vocation que le besoin d'un bénéfice.

Un clerc mondain ou irréligieux, s'il monte en chaire, est déclamateur.

Il y a au contraire des hommes saints, et dont le seul caractère est efficace pour la persuasion : ils paraissent, et tout un peuple qui doit les écouter est déjà ému et comme persuadé par leur présence: le discours qu'ils vont prononcer fera le

reste.

L'évêque de Meaux (15) et le père Bourdaloue me rappellent Démosthène et Cicéron. Tous deux, maîtres dans l'éloquence de la chaire, ont eu le destin des grands modèles : l'un a fait de mauvais censeurs, l'autre de mauvais copistes.

L'éloquence de la chaire, en ce qui y entre d'humain et dutalent de l'orateur, est cachée, connue de peu de personnes, et d'une difficile exécution : quel art en ce genre pour plaire en persuadant! Il faut marcher par des chemins battus, dire ce qui a été dit, et ce que l'on prévoit que vous allez dire : les matieres sont grandes, mais usées et triviales; les principes sûrs, mais dont les auditeurs pénètrent les conclusions d'une seule vue. Il y entre des sujets qui sont sublimes; mais qui peut traiter le sublime? il y a des mystères que l'on doit expliquer, et qui s'expliquent mieux par une leçon de l'école que par un discours oratoire. La morale même de la chaire, qui comprend une matière aussi vaste et aussi diversifiée que le sont les mœurs des hommes, roule sur les mêmes pivots, retrace les mêmes images; et se prescrit des bornes bien plus étroites que la satire. Après l'invective commune contre les honneurs, les richesses et le plaisir, il ne reste plus à l'orateur qu'à courir à la fin de son discours et à congédier l'assemblée. Si quelquefois on pleure, si on est ému, après avoir fait attention au génie et au caractère de ceux qui font pleurer, peut-être conviendra-t-on que c'est la matière qui se prêche elle-même, et notre intérêt le plus capital qui se fait sentir; que c'est nroins une véritable éloquence, que la ferme poitrine du missionnaire, qui nous ébranle et qui cause en nous ces mouvemens. Enfin le prédicateur n'est point soutenu comme l'avocat par des faits toujours nouveaux, par de différens événemens, par des aventures inouies; il ne s'exerce point sur les questions douteuses, il ne fait point valoir les violentes conjectures et les présomptions; toutes choses néanmoins qui élèvent le génie, lui donnent de la force et de l'étendue, et qui contraignent bien moins l'éloquence qu'elles ne la fixent et ne la dirigent: il doit au contraire tirer son discours

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