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profondément; que la mémoire est neuve, prompte et fidèle; que l'esprit et le cœur sont encore vides de passions, de soins et de désirs, et que l'on est déterminé à de longs travaux par ceux de qui l'on dépend. Je suis persuadé que le petit nombre d'habiles, ou le grand nombre de gens superficiels, vient de l'oubli de cette pratique.

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L'étude des textes ne peut jamais être assez recommandée : c'est le chemin le plus court, le plus sûr et le plus agréable pour tout genre d'érudition ayez les choses de la première main, puisez à la source; maniez, remaniez le texte, apprenez-le de mémoire, citez-le dans les occasions, songez surtout à en pénétrer le sens dans toute son étendue et dans ses circonstances : conciliez un auteur original, ajustez ses principes, tirez vousmême les conclusions. Les premiers commentateurs se sont trouvés dans le cas où je désire que vous soyez n'empruntez leurs lumières et ne suivez leurs vues, qu'où les vôtres seraient trop courtes leurs explications ne sont pas à vous, et peuvent aisément vous échapper. Vos observations au contraire naissent de votre esprit et y demeurent, vous les retrouvez plus ordinairement dans la conversation, dans la consultation et dans la dispute: ayez le plaisir de voir que vous n'êtes arrêté dans la lecture que par les difficultés qui sont invincibles, où les commentateurs `et les scholiastes eux-mêmes demeurent court, si fertiles d'ailleurs, si abondans, et si chargés d'une vaine et fastueuse érudition dans les endroits clairs, et qui ne font de peine ni à eux ni aux autres achevez ainsi de vous convaincre, par cette méthode d'étudier, que c'est la paresse des hommes qui a encouragé le pédantisme à grossir plutôt qu'à enrichir les bibliothèques, à faire périr le texte sous le poids des commentaires; et qu'elle a en cela agi contre soi-même et contre ses plus chers intérêts, en multipliant les lectures, les recherches et le travail qu'elle cherchait à éviter.

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Qui règle les hommes (45) dans leur manière de vivre et d'user des alimens? la santé et le régime? Cela est douteux. Une nation entière mange les viandes après les fruits; une autre fait tout le contraire. Quelques uns commencent leurs repas par de certains fruits, et les finissent par d'autres est-ce raison? est-ce usage? Est-ce par un soin de leur santé que les hommes s'habillent jusqu'au menton, portent des fraises et des collets, eux qui ont eu si long-temps la poitrine découverte? Est-ce par bienséance, surtout dans un temps où ils avaient trouvé le secret de paraître nus tout habillés? Et d'ailleurs, les femmes, qui montrent leur gorge et leurs épaules, sont-elles d'une complexion moins délicate que les hommes, ou moins sujettes qu'eux aux bienséances? La Bruyère. 15

Quelle est la pudeur qui engage celles-ci à couvrir leurs jambes et presque leurs pieds, et qui leur permet d'avoir les bras nus au-dessus du coude? Qui avait mis autrefois dans l'esprit des hommes qu'on était à la guerre ou pour se défendre ou pour attaquer, et qui leur avait insinué l'usage des armes offensives et des défensives? Qui les oblige aujourd'hui de renoncer à cellesci, et, pendant qu'ils se bottent pour aller au bal, de soutenir sans armes et en pourpoint des travailleurs exposés à tout le feu d'une contrescarpe? Nos pères, qui ne jugeaient pas une telle conduite utile au prince et à la patrie, étaient-ils sages ou insensés? Et nous-mêmes, quels héros célébrons-nous dans notre histoire? Un Guesclin, un Clisson, un Foix, un Boucicaut, qui tous ont porté l'armet et endossé une cuirasse.

Qui pourrait rendre raison de la fortune de certains mots, et de la proscription de quelques autres? Ains a péri, la voyelle qui le commence, et si propre pour l'élision, n'a pu le sauver; il a cédé à un autre monosyllable MAIS, et qui n'est au plus que son anagramme. CERTES est beau dans sa vieillesse, et a encore de la force sur son déclin : la poésie le réclame, et notre langue doit beaucoup aux écrivains qui le disent en prose, et qui se commettent pour lui dans leurs ouvrages. MAINT est un mot qu'on ne devait jamais abandonner, et par la facilité qu'il y avait à le, couler dans le style, et par son origine qui est française. MOULT, quoique latin, était dans son temps d'un même mérite, et je ne vois pas par où BEAUCOUP l'emporte sur lui. Quelle persécution le CAR n'a-t-il pas essuyée! et s'il n'eût trouvé de la protection parmi les gens polis, n'était-il pas banni honteusement d'une langue à qui il a rendu de si longs services, sans qu'on sût quel mot luisubstituer? CIL a été dans ses beaux jours le plus joli mot de la langue française, il est douloureux pour les poëtes qu'il ait vieilli. DOULOUREUX ne vient pas plus naturellement de DOULEUR, que de CHALFUR vient CHALEUREUX ou CHALOUREUX; celui-ci se passe, bien que ce fût une richesse pour la langue, et qu'il se dise fort juste où CHAUD ne s'emploie qu'improprement. VALEUR devait aussi

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nous conserver VALEUREUX; HAINE, HAINEUX; FEINE, PEINEUX; FRUIT, FRUCTUEUX; PITIÉ, PITEUX; JOIE, JOVIAL; FOI, féal; cour, COURTOIS; GISTE, GISANT; HALEINE, HALENÉ ; VANTERIE VANTARD; MENSONGE, MENSONGER; COUTUME, COUTUMIER : comme PART maintient PARTIAL; POINT, POINTU et POINTILLEUX; TON, TONNANT; SON, SONORE; FREIN, EFFRÉNÉ; FRONT, EFFRONTÉ; RIS, RIDICULE; LOI, LOYAL; COEUR, CORDIAL; BIEN, BENIN; MAL, MALICIEUX. HEUR se plaçait où вONHEUR ne saurait entrer ; il a fait HEUREUX, qui est si français, et il a cessé de l'être : si quelques poëtes s'en sont servis, c'est moins par choix que par la contrainte de la mesure. ISSUE prospère,

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et vient d'IssIR, qui est aboli. FIN subsiste sans conséquence pour FINER, qui vient de lui, pendant que CESSE et CESSER règnent également. VERD ne fait plus VERDOYER; ni FÊTE, FÊTOYER; ni LARME, LARMOYER; ni DEUIL, SE DOULOIR, SE CONDOULOIR ; ni JOIE, S'ÉJOUIR, bien qu'il fasse toujours SERÉJOUIR, SE CONJOUIR, ainsi qu'ORGUEIL, S'ENORGUEILLIR. On a dit GENT, le corps GENT: ce mot si facile non-seulement est tombé, l'on voit même qu'il a entraîné GENTIL dans sa chute. On dit DIFFAME, qui dérive de FAME qui ne s'entend plus. On dit CURIEUX, dérivé de CURE qui est hors d'usage. Il y avait à gagner de dire SI QUE pour DE SORTE QUE, ou de MANIÈRE QUE; DE MOI, au lieu de POUR MOI ou de QUANT A MOI; de dire, JE SAIS QUE c'est qu'un mal, plutôt que JE sais ce que c'est QU'UN MAL, soit par l'analogie latine, soit par l'avantage qu'il y a souvent à avoir un mot de moins à placer dans l'oraison. L'usage a préféré PAR CONSÉQUENT à PAR CONSÉQUENCE, et EN CONSÉQUENCE à EN CONSÉQUENT, FAÇONS DE FAIRE à MANIÈRE DE FAIRE, et MANIÈRES D'AGIR à FAÇONS D'AGIR... dans les verbes, TRAVAILLER à OUVRER ÊTRE ACCOUTUMÉ à SOULOIR, CONVENIR à DUIRE, FAIRE DU BRUIT à BRUIRE, INJURIER à VILAINER, PIQUER à POINDRE, FAIRE RESSOUVENIR à RAMENTEVOIR..... et dans les noms, PENSÉES à PENSERS, un si beau mot, et dont le vers se trouvait si bien; GRANDES ACTIONS à PROUESSES LOUANGES à LOZ, MÉCHANCETÉ à MAUVAISTIÉ, PORTE à HUIS, NAVIRE à NEF ARMÉE à OST, MONASTÈRE à MOUSTIER, PRAIRIES à PRÉES.... tous mots qui pouvaient durer ensemble d'une égale beauté, et rendre une langue plus abondante. L'usage a, par l'addition, la suppression, le changement ou le dérangement de quelques lettres, fait FRELATER de FRALATER PROUVER de PREUVER, PROFIT de PROUFIT, FROMENT de FROUMENT PROFIL de POURFIL, PROVISION de POUrveoir, promeNER de POURMENER, et PROMENADE de POURMENADE. Le même usage fait, selon l'occasion, d'habile, d'utile, de FACILE, de DOCILE, de MOBILE et de FERTILE, différens au contraire de VIL rien changer, y des genres VILE, SUBTIL, SUBTILE, selon leur terminaison, masculins ou féminins. Il a altéré les terminaisons anciennes de SCEL il a fait SCEAU; de MANTEL MANTEAU; de COUTEL, COUTEAU; de HAMEL, HAMEAU; de DAMOISEL, DAMOISEAU; de JOUVENCEL, JOUVENCEAU ; et cela sans que l'on voie guère ce que la langue française gagne à ces différences et à ces changemens. Est-ce donc faire pour le progrès d'une langue que de déférer à l'usage? Serait-il mieux de secouer le joug de son empire si despotique? Faudrait-il, dans une langue vivante, écouter la seule raison qui prévient les équivoques, suit la racine des mots et le rapport qu'ils ont avec les langues originaires dont ils sont sortis, si la raison d'ailleurs yeut qu'on suive l'usage?

sans

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de CAPEL

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CHAPEAU;

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Si nos ancêtres ont mieux écrit que nous, ou si nous l'emportons sur eux par le choix des mots, par le tour et l'expression, par la clarté et la brièveté du discours, c'est une question souvent agitée, toujours indécise: on ne la terminera point en comparant, comme l'on fait quelquefois, un froid écrivain de l'autre siècle aux plus célèbres de celui-ci, ou les vers de Laurent, payé pour ne plus écrire, à ceux de Marot et de Desportes. Il faudrait, pour prononcer juste sur cette matière, oppo er siècle à siècle, et excellent ouvrage à excellent ouvrage; par exemple, les meilleurs rondeaux de Benserade ou de Voiture à ces deux-ci, qu'une tradition nous a conservés, sans nous en marquer le temps

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DE LA CHAIRE.

Le discours chrétien est devenu un spectacle. Cette tristesse évangélique qui en est l'âme ne s'y remarque plus; elle est suppléée par les avantages de la mine, par les inflexions de la voix, par la régularité du geste, par le choix des mots, et par les longues énumérations. On écoute plus sérieusement la parole sainte c'est une sorte d'amusement entre mille autres; c'est un jeu où il y a de l'émulation et des parieurs.

L'éloquence profane est transposée, pour ainsi dire, du barreau où Le Maistre, Pucelle et Fourcroy l'ont fait régner, et où elle n'est plus d'usage, à la chaire où elle ne doit pas être.

L'on fait assaut d'éloquence jusqu'au pied de l'autel et en la présence des mystères. Celui qui écoute s'établit juge de celui qui prêche, pour condamner ou pour applaudir; et n'est pas plus converti par le discours qu'il favorise, que par celui auquel il est contraire. L'orateur plaît aux uns déplaît aux autres, et convient avec tous en une chose, que comme il ne cherche point à les rendre meilleurs, ils ne pensent pas aussi à le devenir.

Un apprenti est docile, il écoute son maître, il profite de ses leçons, et il devient maître. L'homme indocile critique le discours du prédicateur, comme le livre du philosophe; et il ne devient ni chrétien ni raisonnable.

Jusqu'à ce qu'il revienne (1) un homme qui, avec un style nourri des saintes écritures, explique au peuple la parole divine uniment et familièrement, les orateurs et les déclamateurs seront suivis.

Les citations profanes (2), les froides allusions, le mauvais pathétique, les antithèses, les figures outrées, ont fini : les portraits finiront, et feront place à une simple explication de l'évangile, jointe aux mouvemens qui inspirent la conversion.

Cet homme que je souhaitais impatiemment, et que je ne daignais pas espérer de notre siècle, est enfin venu. Les courtisans, à force de goût et de connaître les bienséances, lui ont applaudi : ils ont, chose incroyable! abandonné la chapelle du roi pour venir entendre avec le peuple la parole de Dieu annoncée par cet homme apostolique (3). La ville n'a pas été de l'avis de la cour. Où il a prêché, les paroissiens ont déserté; jusqu'aux marguilliers ont disparu : les pasteurs ont tenu ferme, mais les ouailles se sont dispersées, et les orateurs voisins en ont grossi leur auditoire. Je devais le prévoir, et ne pas dire qu'un tel homme n'avait qu'à se montrer pour être suivi, et qu'à parler

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