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côté, et les interprète à sa manière, je veux dire selon ses désirs ou ses intérêts.

Il est vrai (34) qu'il y a des hommes dont on peut dire que la mort fixe moins la dernière volonté, qu'elle ne leur ôte avec la vie l'irrésolution et l'inquiétude. Un dépit pendant qu'ils vivent les fait tester; ils s'apaisent, et déchirent leur minute, la voilà en cendre. Ils n'ont pas moins de testamens dans leur cassette, que d'almanachs sur leur table; ils les comptent par les années : un second se trouve détruit par un troisième, qui est anéanti lui-même par un autre mieux digéré, et celui-ci encore par un cinquième olographe. Mais si le moment, ou la malice, ou l'autorité manquent à celui qui a intérêt de le supprimer, il faut qu'il en essuie les clauses et les conditions: car appert-il mieux des dispositions des hommes les plus inconstans, que par un dernier acte, signé de leur main, et après lequel ils n'ont pas du moins eu le loisir de vouloir tout le contraire?

S'il n'y avait (35) point de testamens pour régler le droit des héritiers, je ne sais si l'on aurait besoin de tribunaux pour régler les différends des hommes. Les juges seraient presque réduits à la triste fonction d'envoyer au gibet les voleurs et les incendiaires. Qui voit-on dans les lanternes des chambres, au parquet, à la porte ou dans la salle du magistrat? des héritiers ab intestat? Non, les lois ont pourvu à leurs partages: on y voit les testamentaires qui plaident en explication d'une clause ou d'un article; les personnes exhérédées; ceux qui se plaignent d'un testament fait avec loisir, avec maturité, par un homme grave, habile, consciencieux, et qui a été aidé d'un bon conseil; d'un acte où le praticien n'a rien omis de son jargon et de ses finesses ordinaires; il est signé du testateur et des témoins publics, il est paraphé; et c'est en cet état qu'il est cassé et déclaré nul.

lui

Titius (36) assiste à la lecture d'un testament avec des yeux rouges et humides, et le cœur serré de la perte de celui dont il espère recueillir la succession: un article lui donne la charge, un autre les rentes de la ville, un troisième le rend maître d'une terre à la campagne; il y a une clause qui, bien entendue, accorde une maison située au milieu de Paris, comme elle se trouve, et avec les meubles: son affliction augmente, les larmes lui coulent des yeux; le moyen de les contenir? il se voit officier, logé aux champs et à la ville, meublé de même, il se voit une bonne table, et un carrosse : « Y avait-il au monde un » plus honnête homme que le défunt, un meilleur homme ? » Il y a un codicille, il faut le lire il fait Mævius légataire uni

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versel, et il renvoie Titius dans son faubourg, sans rentes, sans titres, et le met à pied. Il essuie ses larmes : c'est à Mævius à s'affliger.

La loi qui défend de tuer un homme n'embrasse-t-elle pas dans cette défense le fer, le poison, le feu, l'eau, les embûches, la force ouverte, tous les moyens enfin qui peuvent servir à l'homicide? La loi qui ôte (37) aux maris et aux femmes le pouvoir de se donner réciproquement n'a-t-elle connu que les voies directes et immédiates de donner? a-t-elle manqué de prévoir les indirectes? a-t-elle introduit les fideicommis, ou si même elle les tolère? avec une femme qui nous est chère et qui nous survit lègue-t-on son bien à un ami fidèle par un sentiment de reconnaissance pour lui, ou plutôt par une extrême confiance, et par la certitude qu'on a du bon usage qu'il saura faire de ce qu'on lui lègue? donne-t-on à celui que l'on peut soupçonner de ne devoir pas rendre à la personne à qui en effet l'on veut donner? faut-il se parler, faut-il s'écrire, est-il besoin de pacte ou de sermens pour former cette collusion? Les hommes ne sentent-ils pas en cette rencontre ce qu'ils peuvent espérer les uns des autres? Et si au contraire la propriété d'un tel bien est dévolue au fideicommissaire, pourquoi perd-il sa réputation à le retenir? sur quoi fonde-t-on la satire et les vaudevilles? voudrait-on le comparer au dépositaire qui trahit le dépôt, à un domestique qui vole l'argent que son maître l'envoie porter? On aurait tort y a-t-il de l'infamie à ne pas faire une libéralité, et à conserver pour soi ce qui est à soi? Étrange embarras, horrible poids que le fideicommis! Si par la révérence des lois on se l'approprie, il ne faut plus passer pour homme de bien : si d'un ami mort l'on suit ses intentions en le renle respect par dant à sa veuve, on est confidentiaire, on blesse la loi. Elle cadre donc bien mal avec l'opinion des hommes. Cela peut être ; et il ne me convient pas de dire ici, La loi pèche, ni, hommes se trompent.

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Les

J'entends dire de quelques particuliers ou de quelques compagnies Tel et tel corps se contestent l'un à l'autre la préséance: le mortier et la pairie se disputent le pas. Il me paraît que celui des deux qui évite de se rencontrer aux assemblées est celui qui cède, et qui, sentant son faible, juge lui-même en faveur de son concurrent.

Typhon (38) fournit un grand de chiens et de chevaux : que ne lui fournit-il point! Sa protection le rend audacieux; il est impunément dans sa province tout ce qu'il lui plaît d'être, assassin, parjure; il brûle ses voisins, et il n'a pas besoin d'asile : il faut enfin que le prince se mêle lui-même de sa punition.

Ragoûts, liqueurs (39), entrées, entremets, tous mots qui devraient être barbares et inintelligibles en notre langue: et s'il est vrai qu'ils ne devraient pas être d'usage en pleine paix, où ils ne servent qu'à entretenir le luxe et la gourmandise, comment peuvent-ils être entendus dans le temps de la guerre et d'une misère publique, à la vue de l'ennemi, à la veille d'un combat, pendant un siége? Où est-il parlé de la table (40) de Scipion ou de celle de Marius? Ai-je lu quelque part que Miltiade, qu’Épaminondas, qu'Agésilas, aient fait une chère délicate? Je voudrais qu'on ne fit mention de la délicatesse, de la propreté et de la somptuosité des généraux, qu'après n'avoir plus rien à dire sur leur sujet, et s'être épuisé sur les circonstances d'une bataille gagnée et d'une ville prise : j'aimerais même qu'ils voulussent se priver de cet éloge.

Hermippe (41) est l'esclave de ce qu'il appelle ses petites commodités; il leur sacrifie l'usage reçu, la coutume, les modes, la bienséance il les cherche en toutes choses, il quitte une moindre pour une plus grande, il ne néglige aucune de celles qui sont praticables, il s'en fait une étude, et il ne se passe aucun jour qu'il ne fasse en ce genre une découverte. Il laisse aux autres hommes le dîner et le souper, à peine en admet-il les termes; il mange quand il a faim, et les mets seulement où son appétit le porte. Il voit faire son lit; quelle main assez droite ou assez heureuse pourrait le faire dormir comme il veut dormir? Il sort rarement de chez soi, il aime la chambre, où il n'est ni oisif, ni laborieux, où il n'agit point, où il tracasse, et dans l'équipage d'un homme qui a pris médecine. On dépend servilement d'un serrurier et d'un menuisier selon ses besoins pour lui, s'il faut limer, il a une lime, une scie s'il faut scier, et des tenailles s'il faut arracher. Imaginez, s'il est possible, quelques outils qu'il n'ait pas, et meilleurs et plus commodes à son gré que ceux mêmes dont les ouvriers se servent : il en a de nouveaux et d'inconnus, qui n'ont point de nom, productions de son esprit, et dont il a presque oublié l'usage. Nul ne se peut comparer à lui pour faire en peu de temps et sans peine un travail fort inutile: il faisait dix pas pour aller de son lit dans sa garde-robe, il n'en fait

plus que neuf par la manière dont il a su tourner sa chambre;

combien de pas épargnés dans le cours d'une vie! Ailleurs l'on tourne la clef, l'on pousse contre, ou l'on tire à soi, et une porte s'ouvre quelle fatigue! voilà un mouvement de trop qu'il sait s'épargner; et comment? c'est un mystère qu'il ne révèle point : il est à la vérité un grand maître pour le ressort et pour la mécanique, pour celle du moins dont tout le monde se passe. Hermippe tire le jour de son appartement d'ailleurs que de la fenêtre,

il a trouvé le secret de monter et de descendre autrement que par l'escalier, il cherche celui d'entrer et de sortir plus commodément que par la porte.

Il y a déjà long-temps (42) que l'on improuve les médecins, et que l'on s'en sert le théâtre et la satire ne touchent point à leurs pensions : ils dotent leurs filles, placent leurs fils aux parlemens et dans la prélature, et les railleurs eux-mêmes fournissent l'argent. Ceux qui se portent bien deviennent malades, il leur faut des gens dont le métier soit de les assurer qu'ils ne mourront point tant que les hommes pourront mourir, et qu'ils aimeront à vivre, le médecin sera raillé et bien payé.

Un bon médecin est celui qui a des remèdes spécifiques, ou, s'il en manque, qui permet à ceux qui les ont de guérir son malade.

La témérité des charlatans, et leurs tristes succès, qui en sont les suites, font valoir la médecine et les médecins : si ceux-ci laissent mourir, les autres tuent.

Carro Carri (43) débarque avec une recette qu'il appelle un prompt remède, et qui quelquefois est un poison lent : c'est un bien de famille, mais amélioré en ses mains; de spécifique qu'il était contre la colique, il guérit de la fièvre quarte, de la pleurésie, de l'hypropisie, de l'apoplexie, de l'épilepsie. Forcez un peu votre mémoire, nommez une maladie, la première qui vous viendra en l'esprit. L'hémorragie, dites-vous? il la guérit : il ne ressuscite personne, il est vrai; il ne rend pas la vie aux hommes; mais il les conduit nécessairement jusqu'à la décrépitude, et ce n'est que par hasard que son père et son aïeul, qui avaient ce secret, sont morts fort jeunes. Les médecins reçoivent pour leurs visites ce qu'on leur donne, quelques uns se contentent d'un remercîment; Carro Carri est si sûr de son remède, et de l'effet qui en doit suivre, qu'il n'hésite pas de s'en faire payer d'avance, et de recevoir avant que de donner : si le mal est incurable, tant mieux, il n'en est que plus digne de son application et de son remède : commencez par lui livrer quelques sacs de mille francs, passez-lui un contrat de constitution, donnez-lui une de Vos terres, la plus petite, et ne soyez pas ensuite si inquiet que lui de votre guérison. L'émulation de cet homme a peuplé le monde de noms en O et en I, noms vénérables qui imposent aux malades et aux maladies. Vos médecins (44), et de toutes les facultés, avouez-le, ne guérissent pas toujours, ni sûrement : ceux au contraire qui ont hérité de leurs pères la médecine pratique, et à qui l'expérience est échue par succession, promettent toujours et avec sermens qu'on guérira. Qu'il est doux aux hommes de tout espérer d'une maladie mortelle, et de se porter encore

passablement bien à l'agonie! la mort surprend agréablement et sans s'être fait craindre: on la sent plutôt qu'on n'a songé à s'y préparer et à s'y résoudre. O Fagon Esculape! faites régner sur toute la terre le quinquina et l'émétique; conduisez à sa perfection la science des simples, qui sont donnés aux hommes pour prolonger leur vie : observez dans les cures, avec plus de précision et de sagesse que personne n'a encore fait, le climat, les temps, les symptômes et les complexions: guérissez de la manière seule qu'il convient à chacun d'être guéri : chassez des corps, où rien ne vous est caché de leur économie, les maladies les plus obscures et les plus invétérées : n'attentez pas sur celles de l'esprit, elles sont incurables: laissez à Corinne, à Lesbie, à Canidie, à Trimalcion et à Carpus, la passion ou la fureur des charlatans.

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L'on souffre dans la république les chiromanciens et les devins, ceux qui font l'horoscope et qui tirent la figure, ceux qui connaissent le passé par le mouvement du sas, ceux qui font voir dans un miroir ou dans un vase d'eau la claire vérité ; et ces gens sont en effet de quelque usage: ils prédisent aux hommes qu'ils feront fortune, aux filles qu'elles épouseront leurs amans, consolent les enfans dont les pères ne meurent point, et charment l'inquiétude des jeunes femmes qui ont de vieux maris : ils trompent enfin à très-vil prix ceux qui cherchent à être trompés.

Que penser de la magie et du sortilége? La théorie en est obscure, les principes vagues, incertains, et qui approchent du visionnaire. Mais il y a des faits embarrassans, affirmés par des hommes graves qui les ont vus, ou qui les ont appris de personnes qui leur ressemblent les admettre tous ou les nier tous, paraît un égal inconvénient; et j'ose dire qu'en cela, comme dans toutes les choses extraordinaires et qui sortent des communes règles, il y a un parti à trouver entre les âmes crédules et les esprits forts.

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L'on ne peut guère charger l'enfance de la connaissance de trop de langues, et il me semble que l'on devrait mettre toute son application à l'en instruire : elles sont utiles à toutes les conditions des hommes, et elles leur ouvrent également l'entrée ou à une profonde ou à une facile et agréable érudition. Si l'on remet cette étude si pénible à un âge un peu plus avancé, et qu'on appelle la jeunesse, ou l'on n'a pas la force de l'embrasser par choix, ou l'on n'a pas celle d'y persévérer ; et si l'on y persévère, c'est consumer à la recherche des langues le même temps qui est consacré à l'usage que l'on en doit faire; c'est borner à la science des mots un âge qui veut déjà aller plus loin, et qui demande des choses; c'est au moins avoir perdu les premières et les plus belles années de sa vie. Un si grand fonds ne se peut bien faire que lorsque tout s'imprime dans l'âme naturellement et

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