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bende il serait bien dur qu'un grand chanoine fût sujet au chœur, pendant que le trésorier, l'archidiacre (16), le pénitencier et le grand-vicaire s'en croient exempts. Je suis bien fondé, dit le prévôt, à demander la rétribution sans me trouver à l'office: 'il y a vingt années entières que je suis en possession de dormir les nuits, je veux finir comme j'ai commencé, et l'on ne me verra point déroger à mon titre : que me servirait d'être à la tête d'un chapitre? mon exemple ne tire point à conséquence. Enfin c'est entre eux tous à qui ne louera point Dieu, à qui fera voir par un long usage qu'il n'est point obligé de le faire : Vémulation de ne point se rendre aux offices divins ne saurait être plus vive ni plus ardente. Les cloches sonnent dans une nuit tranquille; et leur mélodie qui réveille les chantres et les enfans de chœur, endort les chanoines, les plonge dans un sommeil doux et facile, et qui ne leur procure que de beaux songes: ils se lèvent tard, et vont à l'église se faire payer d'avoir dormi.

Qui pourrait s'imaginer, si l'expérience ne nous le mettait devant les yeux, quelle peine ont les hommes à se résoudre d'eux-mêmes à leur propre félicité, et qu'on ait besoin de gens d'un certain habit, qui, par un discours préparé, tendre et pathétique, par de certaines inflexions de voix, par des larmes, par des mouvemens qui les mettent en sueur et qui les jettent dans l'épuisement, fassent enfin consentir un homme chrétien et raisonnable, dont la maladie est sans ressource, à ne se point perdre et à faire son salut?

La fille d'Aristippe (17) est malade et en péril; elle envoie vers son père, veut se réconcilier avec lui et mourir dans ses bonnes grâces cet homme si sage, le conseil de toute une ville, fera-t-il de lui-même cette démarche si raisonnable? entraînera-t-il sa femme? ne faudra-t-il point pour les remuer tous deux la machine du directeur?

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Une mère, je ne dis pas qui cède et qui se rend à la vocation de sa fille, mais qui la fait religieuse, se charge d'une âme avec la sienne, en répond à Dieu même, en est la caution: afin qu'une telle mère ne se perde pas, il faut que sa fille se sauye.

Un homme joue et se ruine : il marie néanmoins l'aînée de ses deux filles de ce qu'il a pu sauver des mains d'un Ambréville. La cadette est sur le point de faire ses vœux, qui n'a point d'autre vocation que le jeu de son père.

H s'est trouvé des filles qui avaient de la vertu, de la santé, de la ferveur et une bonne vocation, mais qui n'étaient pas assez riches pour faire dans une riche abbaye vœu de pauvreté. Celle qui délibère sur le choix d'une abbaye ou d'un simple

monastère pour s'y renfermer, agite l'ancienne question de l'état populaire et du despotique.

Faire une folie (18) et se marier par amourette, c'est épouser Mélite (19) qui est jeune, belle, sage, économe, qui plaît, qui vous aime, qui a moins de bien qu'Egine qu'on vous propose, et qui, avec une riche dot, apporte de riches dispositions à la consumer, et tout votre fonds avec sa dot.

Il était délicat (20) autrefois de se marier; c'était un long établissement, une affaire sérieuse, et qui méritait qu'on y pensât; l'on était pendant toute sa vie le mari de sa femme, bonne ou mauvaise même table, même demeure, même lit: l'on n'en était point quitte pour une pension avec des enfans et un ménage complet, l'on n'avait pas les apparences et les délices du célibat.

Qu'on évite d'être vu seul avec une femme qui n'est point la sienne, voilà une pudeur qui est bien placée : qu'on sente quelque peine à se trouver dans le monde avec des personnes dont la réputation est attaquée, cela n'est pas incompréhensible. Mais quelle mauvaise honte fait rougir un homme de sa propre femme, et l'empêche de paraître dans le public avec celle qu'il s'est choisie pour sa compagne inséparable, qui doit faire sa joie, ses délices et toute sa société, avec celle qu'il aime et qu'il estime, qui est son ornement, dont l'esprit, le mérite, la vertu, l'alliance, lui font honneur? Que ne commence-t-il par rougir de son mariage?

Je connais la force de la coutume, et jusqu'où elle maîtrise les esprits, et contraint les mœurs, dans les choses même les plus dénuées de raison et de fondement : je sens néanmoins que j'aurais l'impudence de me promener au cours, et d'y passer en revue avec une personne qui serait ma femme.

Ce n'est pas une honte ni une faute à un jeune homme que d'épouser une femme avancée en âge (21); c'est quelquefois prudence, c'est précaution. L'infamie est de se jouer de sa bienfaitrice par des traitemens indignes, et qui lui découvrent qu'elle est la dupe d'un hypocrite et d'un ingrat. Si la fiction est excusable, c'est où il faut feindre de l'amitié s'il est permis de tromper, c'est dans une occasion où il y aurait de la dureté à être sincère. Mais elle vit long-temps. Aviez-vous stipulé qu'elle mourût après avoir signé votre fortune et l'acquit de toutes vos dettes? N'a-t-elle plus après ce grand ouvrage qu'à retenir son haleine, qu'à prendre de l'opium ou de la ciguë? A-t-elle tort de vivre? Si même vous mourez avant celle dont vous aviez déjà réglé les funérailles, à qui vous destiniez la grosse sonnerie et les beaux ornemens, en est-elle responsable?

Il y a depuis long-temps dans le monde une manière (22) de faire valoir son bien, qui continue toujours d'être pratiquée par d'honnêtes gens, et d'être condamnée par d'habiles doc

teurs.

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On a toujours vu (23) dans la république de certaines charges qui semblent n'avoir été imaginées la première fois que pour enrichir un seul aux dépens de plusieurs les fonds ou l'argent des particuliers y coule sans fin et sans interruption; dirai-je qu'il n'en revient plus, ou qu'il n'en revient que tard? C'est un gouffre, c'est une mer qui reçoit les eaux des fleuves, et qui ne les rend pas; ou si elle les rend, c'est par des conduits secrets et souterrains, sans qu'il y paraisse, ou qu'elle en soit moins grosse et moins enflée; ce n'est qu'après en avoir joui long-temps, et qu'elle ne peut plus les retenir.

Le fonds perdu (24), autrefois si sûr, si religieux et si inviolable, est devenu avec le temps, et par les soins de ceux qui en étaient chargés, un bien perdu. Quel autre secret de doubler mes revenus et de thésauriser? Entrerai-je dans le huitième denier ou dans les aides? Serai-je avare, partisan, ou adminis

trateur.

Vous avez une pièce d'argent (25), ou même une pièce d'or ; ce n'est pas assez; c'est le nombre qui opère : faites-en, si vous pouvez, un amas considérable et qui s'élève en pyramide, et je me charge du reste. Vous n'avez ni naissance, ni esprit, ni talens, ni expérience, qu'importe? ne diminuez rien de votre et je vous placerai si haut que vous vous couvrirez devant votre maître, si vous en avez : il sera même fort éminent, si, avec votre métal qui de jour à autre se multiplie, je ne fais en sorte qu'il se découvre devant vous.

monceau,

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Orante plaide depuis dix ans entiers en réglement de juges pour une affaire juste, capitale, et où il y va de toute sa fortune elle saura peut-être dans cinq années quels seront ses juges, et dans quel tribunal elle doit plaider le reste de sa vie.

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L'on applaudit à la coutume qui s'est introduite dans les tribunaux (26) d'interrompre les avocats au milieu de leur action, de les empêcher d'être éloquens et d'avoir de l'esprit, de les ramener au fait et aux preuves toutes sèches qui établissent leurs causes et le droit de leurs parties : et cette pratique si sévère, qui laisse aux orateurs le regret de n'avoir pas prononcé les plus beaux traits de leurs discours, qui bannit l'éloquence du seul endroit où elle est en sa place, et qui va faire du parlement une muette juridiction, on l'autorise par une raison solide et sans réplique, qui est celle de l'expédition : il est seulement à désirer qu'elle fût moins oubliée en toute autre rencontre,

qu'elle réglât, au contraire, les bureaux comme les audiences et qu'on cherchât une fin aux écritures (27), comme on a fait aux plaidoyers.

Le devoir des juges est de rendre la justice; leur métier est de la différer quelques uns savent leur devoir, et font leur

métier.

Celui qui sollicite son juge ne lui fait pas honneur car, ou il se défie de ses lumières et même de sa probité, ou il cherche à le prévenir, ou il lui demande une injustice.

Il se trouve des juges auprès de qui la faveur, l'autorité, les droits de l'amitié et de l'alliance, nuisent à une bonne cause, et qu'une trop grande affectation de passer pour incorruptibles expose à être injustes.'

Le magistrat coquet ou galant est pire dans les conséquences que le dissolu: celui-ci cache son commerce et ses liaisons, et l'on ne sait souvent par où aller jusqu'à lui : celui-là est ouvert par mille faibles qui sont connus, et l'on y arrive par toutes les femmes à qui il veut plaire.

Il s'en faut peu que la religion et la justice n'aillent de pair dans la république, et que la magistrature ne consacre les hommes comme la prêtrise. L'homme de robe ne saurait guère danser au bal, paraître aux théâtres, renoncer aux habits simples et modestes, sans consentir à son propre avilissement; et il est étrange (28) qu'il ait fallu une loi pour régler son extérieur, et le contraindre ainsi à être grave et plus respecté.

Il n'y a aucun métier qui n'ait son apprentissage; et en montant des moindres conditions jusques aux plus grandes, on remarque dans toutes un temps de pratique et d'exercice, qui prépare aux emplois, où les fautes sont sans conséquence, et mènent au contraire à la perfection. La guerre même, qui ne semble naître et durer que par la confusion et le désordre, a ses préceptes on ne se massacre pas par pelotons et par troupes en rase campagne sans l'avoir appris, et l'on s'y tue méthodiquement. Il y a l'école de la guerre: où est l'école du magistrat? Il y a un usage, des lois, des coutumes: où est le temps, etle temps assez long, que l'on emploie à les digérer et à s'en instruire? L'essai et l'apprentissage d'un jeune adolescent qui passe de la férule à la pourpre, et dont la consignation a fait un juge, est de décider (29) souverainement des vies et des fortunes des hommes.

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La principale partie de l'orateur, c'est la probité : sans elle il dégénère en déclamateur, il déguise ou il exagère (30) les faits, il cite faux, il calomnie, il épouse la passion et les haines de ceux pour qui il parle; et il est de la classe de ces avocats dont le proverbe dit qu'ils sont payés pour dire des injures.

Il est vrai, dit-on, cette somme lui est due, et ce droit lui est acquis mais je l'attends à cette petite formalité; s'il l'oublie, il n'y revient plus, et conséquemment il perd sa somme, ou il est incontestablement déchu de son droit: or il oubliera cette formalité. Voilà ce que j'appelle une conscience de praticien.

Une belle maxime pour le palais, utile au public, remplie de raison, de sagesse et d'équité, ce serait précisément la contradictoire de celle qui dit que la forme emporte le fond.

La question est une invention merveilleuse et tout-à-fait sûre pour perdre un innocent qui a la complexion faible, et sauver un coupable qui est né robuste.

Un coupable puni est un exemple pour la canaille: un innocent condamné (31) est l'affaire de tous les honnêtes gens.

Je dirai presque de moi Je ne serai pas voleur ou meurtrier; je ne serai pas un jour puni comme tel. C'est parler bien hardiment.

Une condition lamentable est celle d'un homme innocent à qui la précipitation et la procédure ont trouvé un crime; celle même de son juge peut-elle l'être davantage ?

Si l'on me racontait (32) qu'il s'est trouvé autrefois un prévôt, ou l'un de ces magistrats créés pour poursuivre les voleurs et les exterminer, qui les connaissait tous depuis long-temps de nom et de visage, savait leurs vols, j'entends l'espèce, le nombre et la quantité, pénétrait si avant dans toutes ces profondeurs, et était si initié dans tous ces affreux mystères, qu'il sut rendre à un homme de crédit un bijou qu'on lui avait pris dans la foule au sortir d'une assemblée, et dont il était sur le point de faire de l'éclat; que le parlement intervint dans cette affaire, et fit le procès à cet officier; je regarderais cet événement comme l'une de ces choses dont l'histoire se charge, et à qui le temps ôte la croyance : comment donc pourrais-je croire qu'on doive présumer par des faits récens, connus et circonstanciés, qu'une connivence si pernicieuse dure encore, qu'elle ait même tourné en jeu et passé en coutume?

Combien d'hommes (33) qui sont forts contre les faibles, fermes et inflexibles aux sollicitations du simple peuple, sans nuls égards pour les petits, rigides et sévères dans les minuties, qui refusent les petits présens, qui n'écoutent ni leurs parens ni leurs amis, et que les femmes seules peuvent corrompre !

Il n'est pas absolument impossible qu'une personne qui se trouve dans une grande faveur perde un procès.

Les mourans qui parlent dans leurs testamens peuvent s'attendre à être écoutés comme des oracles: chacun les tire de son

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