Page images
PDF
EPUB

caractères les plus bizarres et les plus magiques sont précisément ce qui réveille leur passion et qui excite leur travail. Ils plaignent ceux qui se bornent ingénument à savoir leur langue ou tout au plus la grecque et la latine. Ces gens lisent toutes les histoires et ignorent l'histoire : ils parcourent tous les livres, et ne profitent d'aucun : c'est en eux une stérilité de faits et de principes qui ne peut être plus grande, mais à la vérité la meilleure récolte et la richesse la plus abondante de mots et de paroles qui puisse s'imaginer ils plient sous le faix, leur mémoire en est accablée, pendant que leur esprit demeure vide.

Un bourgeois (8) aime les bâtimens; il se fait bâtir un hôtel si beau, si riche et si orné, qu'il est inhabitable : le maître, honteux de s'y loger,'ne pouvant peut-être se résoudre à le louer à un prince ou à un homme d'affaires, se retire au gáletas, ой il achève sa vie, pendant que l'enfilade et les planchers de rapport sont en proie aux Anglais et aux Allemands qui voyagent, et qui viennent là du Palais Royal, du palais Lesdiguières, et du Luxembourg. On heurte sans fin à cette belle porte : tous demandent à voir la maison, et personne à voir monsieur. On en sait d'autres qui ont des filles devant leurs yeux, à qui ils ne peuvent pas donner une dot; que dis-je ? elles ne sont pas vêtues, à peine nourries; qui se refusent un tour de lit et du linge blanc, qui sont pauvres et la source de leur misère n'est pas fort loin, c'est un garde-meuble chargé et embarrassé de bustes rares, déjà poudreux et couverts d'ordures, dont la vente les mettrait au large, mais qu'ils ne peuvent se résoudre à mettre

en vente.

Diphile commence par un oiseau et finit par mille: sa maison n'en est pas égayée, mais em pestée : la cour, la salle, l'escalier, le vestibule, les chambres, le cabinet, tout est volière : ce n'est plus un ramage, c'est un vacarme; les vents d'automne et les eaux dans leurs plus grandes crues ne font pas un bruit si perçant et si aigu; on ne s'entend non plus parler les uns les autres que dans ces chambres où il faut attendre, pour faire le compliment d'entrée, que les petits chiens aient aboyé. Ce n'est plus pour Diphile un agréable amusement; c'est une affaire laborieuse et à laquelle à peine il peut suffire. Il passe les jours, ces jours qui échappent et qui ne reviennent plus, à verser du grain et à nettoyer des ordures : il donne pension à un homme qui n'a point d'autre ministère que de siffler des serins auflageolet, et de faire couver des canaries. Il est vrai que ce qu'il dépense d'un côté, il l'épargne de l'autre, car ses enfans sont sans maîtres et sans éducation. Il se renferme le soir, fatigué de son propre plaisir, sans pouvoir jouir du moindre repos que ses oiseaux ne reposent, et

[ocr errors]

que ce petit peuple, qu'il n'aime que parce qu'il chante, ne cessé de chanter. Il retrouve ses oiseaux dans son sommeil; lui-même il est oiseau, il est huppé, il gazouille, il perche, il rêve la nuit qu'il mue ou qu'il couve.

Qui pourrait épuiser tous les différens genres de curieux? Devineriez-vous, à entendre parler celui-ci de son Léopard, de sa Plume, de sa Musique, les vanter comme ce qu'il y a sur la terre de plus singulier et de plus merveilleux, qu'il veut vendre ses coquilles? Pourquoi non, s'il les achète au poids de l'or.

Cet autre aime les insectes, il en fait tous les jours de nouvelles emplettes c'est surtout le premier homme de l'Europe pour les papillons; il en a de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Quel temps prenez-vous pour lui rendre visite ? il est plongé dans une amère douleur ; il a l'humeur noire, chagrine, et dont toute sa famille souffre; aussi a-t-il fait une perte irréparable approchez, regardez ce qu'il vous montre sur son doigt, qui n'a plus de vie, et qui vient d'expirer; c'est une chenille, et quelle chenille !

Le duel est le triomphe de la mode, et l'endroit où elle a exercé sa tyrannie avec plus d'éclat. Cet usage n'a pas laissé au poltron la liberté de vivre, il l'a mené se faire tuer par un plus brave qué soi, et l'a confondu avec un homme de cœur : il a attaché de l'honneur et de la gloire à une action folle et extravagante; il a été approuvé par la présence des rois; il y a eu quelquefois une espèce de religion à le pratiquer : il a décidé de l'innocence des hommes, des accusations fausses ou véritables sur des crimes capitaux: il s'était enfin si profondément enraciné dans l'opinion des peuples, et s'était si fort saisi de leur cœur et de leur esprit, qu'un des plus beaux endroits de la vie d'un très-grand roi a été de les guérir de cette folie.

Tel a été à la mode, ou pour le commandement des armées et la négociation, ou pour l'éloquence de la chair, ou pour les vers, qui n'y est plus. Y a-t-il des hommes qui dégénèrent de ce qu'ils furent autrefois? Est-ce leur mérite qui est usé, ou le goût que l'on avait pour eux?

Un homme à la mode dure peu, car les modes passent s'il est par hasard homme de mérite, il n'est pas anéanti, et il subsiste encore par quelque endroit également estimable, il est seule

ment moins estimé.

La vertu a cela d'heureux, qu'elle se suffit à elle-même, et qu'elle sait se passer d'admirateurs, de partisans et de protecteurs : le manque d'appui et d'approbation non-seulement ne lui

Nom de coquillages.

nuit pas, mais il la conserve, l'épure et la rend parfaite : qu'elle soit à la mode, qu'elle n'y soit plus, elle demeure vertu.

Si vous dites aux hommes, et surtout aux grands, qu'un tel a de la vertu, ils vous disent, qu'il la garde ; qu'il a bien de l'esprit, de celui surtout qui plaît et qui amuse, ils vous répondent, tant mieux pour lui; qu'il a l'esprit fort cultivé, qu'il sait beaucoup, ils vous demandent quelle heure il est, ou quel temps il fait mais si vous leur apprenez qu'il y a un Tigillin qui souffle ou qui jette en sable un verre d'eau-de-vie, et, chose meryeilleuse! qui y revient à plusieurs fois en un repas, alors ils disent: Où est-il ? amenez-le moi demain, ce soir; me l'amènerez-vous? On le leur amène; et cet homme propre à parer les avenues d'une foire, et à être montré en chambre pour de l'argent, ils l'admettent dans leur familiarité.

Il n'y a rien (9) qui mette plus subitement un homme à la mode, et qui le soulève davantage, que le grand jeu : cela va de pair avec la crapule. Je voudrais bien voir un homme poli, enjoué, spirituel, fût-il un Catulle ou son disciple, faire quelque comparaison avec celui qui vient de perdre huit cents pistoles en une séance.

Une personne la mode ressemble à une fleur bleue (10) qui croît de soi-même dans les sillons, où elle étouffe les épis, diminue la moisson, et tient la place de quelque chose de meilleur; qui n'a de prix et de beauté que ce qu'elle emprunte d'un caprice léger qui naît et qui tombe presque dans le même instant aujourd'hui elle est courue, les femmes s'en parent; demain elle est négligée, et rendue au peuple.

que

Une personne de mérite au contraire est une fleur qu'on ne désigne pas par sa couleur, mais que l'on nomme par son nom, l'on cultive par sa beauté ou par son odeur; l'une des grâces de la nature, l'une de ces choses qui embellissent le monde, qui est de tous les temps et d'une vogue ancienne et populaire ; que nos pères ont estimée, et que nous estimons après nos pères ; à qui le dégoût ou l'antipathie de quelques uns ne saurait nuire; un lis, une rose.

L'on voit Eustrate assis dans sa nacelle, où il jouit d'un air pur et d'un ciel serein il avance d'un bon vent et qui a toutes les apparences de devoir durer; mais il tombe tout d'un coup, le ciel se couvre, l'orage se déclare, un tourbillon enveloppe la nacelle, elle est submergée: on voit Eustrate revenir sur l'eau et faire quelques efforts, on espère qu'il pourra du moins se sauver et venir à bord; mais une vague l'enfonce on le tient perdu il paraît une seconde fois, et les espérances se réveillent, lorsqu'un flot survient et l'abîme, on ne le revoit plus, il est noyé.

[ocr errors]

Voiture et Sarrasin étaient nés pour leur siècle, et ils ont paru dans un temps où il semble qu'ils étaient attendus. S'ils s'étaient moins pressés de venir, ils arrivaient trop tard; et j'ose douter qu'ils fussent tels aujourd'hui qu'ils ont été alors : les conversations légères, les cercles, la fine plaisanterie, les lettres enjouées et familières, les petites parties où l'on était admis seulement avec de l'esprit, tout a disparu. Et qu'on ne dise point qu'ils les feraient revivre ce que je puis faire en faveur de leur esprit, est de convenir que peut-être ils excelleraient dans un autre genre mais les femmes sont, de nos jours, ou dévotes, ou coquettes, ou joueuses, ou ambitieuses, quelques unes même tout cela à la fois; le goût de la faveur, le jeu, les galans, les directeurs, ont pris la place, et la défendent contre les gens d'esprit.

:

Un homme fat (11) et ridicule porte un long chapeau, un pourpoint à ailerons, des chausses à aiguillettes et des bottines il rêve la veille par où et comment il le pourra se faire remarquer jour qui suit. Un philosophe se laisse habiller par son tailleur. Il y a autant de faiblesse à fuir la mode qu'à l'affecter.

L'on blâme une mode qui, divisant la taille des hommes en deux parties égales, en prend une toute entière pour le buste et laisse l'autre pour le reste du corps : l'on condamne celle qui fait de la tête des femmes la base d'un édifice à plusieurs étages, dont l'ordre et la structure changent selon leurs caprices; qui éloigne les cheveux du visage, bien qu'ils ne croissent que pour l'accompagner; qui les relève et les hérisse à la manière des Bacchantes, et semble avoir pourvu à ce que les femmes changent leur physionomie douce et modeste en une autre qui soit fière et audacieuse. On se récrie enfin contre une telle ou une telle mode, qui cependant, toute bizarre qu'elle est, pare et embellit pendant qu'elle dure, et dont l'on tire tout l'avantage qu'on en peut espérer, qui est de plaire. Il me paraît qu'on devrait seulement admirer l'inconstance et la légèreté des hommes, qui attachent successivement les agrémens et la bienséance à des choses tout opposées, qui emploient pour le comique et pour la mascarade ce qui leur a servi de parure grave et d'ornemens les plus sérieux; que si peu de temps en fasse la différence.

et

N... est riche, elle mange bien, elle dort bien mais les coiffures changent; et lorsqu'elle y pense le moins et qu'elle se croit heureuse, la sienne est hors de mode.

Iphis voit à l'église un soulier d'une nouvelle mode; il regarde le sien, et en rougit, il ne se croit plus habillé : il était venu à la messe pour s'y montrer, et il se cache le voilà retenu par

:

:

le pied dans sa chambre tout le reste du jour. Il a la main douce, et il l'entretient avec une pâte de senteur. Il a soin de rire pour montrer ses dents : il fait la petite bouche, et il n'y a guère de momens où il ne veuille sourire il regarde ses jambes, il se voit au miroir; l'on ne peut être plus content de personne qu'il l'est de lui-même il s'est acquis une voix claire et délicate, et heureusement il parle gras: il a un mouvement de tête, et je ne sais quel adoucissement dans les yeux, dont il n'oublie pas de s'embellir : il a une démarche molle et le plus joli maintien qu'il est capable de se procurer: il met du rouge, mais rarement, il n'en fait pas habitude : il est vrai aussi qu'il porte des chausses et un chapeau, et qu'il n'a ni boucles d'oreilles ni collier de perles ; aussi ne l'ai-je pas mis dans le chapitre des femmes. Ces mêmes modes que les hommes suivent si volontiers pour leurs personnes, ils affectent de les négliger dans leurs portraits, comme s'ils sentaient ou qu'ils prévissent l'indécence et le ridicule où elles peuvent tomber dès qu'elles auront perdu ce qu'on appelle la fleur ou l'agrément de la nouveauté : ils leur préfèrent une parure arbitraire, une draperie indifférente, fantaisies du peintre qui ne sont prises ni sur l'air ni sur le visage, qui ne rappellent ni les mœurs ni la personne : ils aiment des attitudes forcées ou immodestes, une manière dure, sauvage, étrangère, qui font un capitan d'un jeune abbé, et un matamore d'un homme de robe; une Diane d'une femme de ville, comme d'une femme simple et timide, une amazone ou une Pallas; une Laïs d'une honnête fille; un Scythe, un Attila, d'un prince qui est bon et magnanime.

Une mode a à peine détruit une autre mode, qu'elle est abolie par une plus nouvelle, qui cède elle-même à celle qui la suit, et qui ne sera pas la dernière; telle est notre légèreté : pendant ces révolutions un siècle s'est écoulé qui a mis toutes ces parures au rang des choses passées et qui ne sont plus. La mode alors la plus curieuse et qui fait plus de plaisir à voir, c'est la plus ancienne aidée du temps et des années, elle a le même agrément dans les portraits qu'a la saye ou l'habit romain sur les théâtres, qu'ont la mante, le voile et la tiare (12) dans nos tapisseries et dans nos peintures.

:

Nos pères nous ont transmis avec la connaissance de leurs personnes, celle de leurs habits, de leurs coiffures, de leurs armes (13), et des autres ornemens qu'ils ont aimés pendant leur vie nous ne saurions bien reconnaître cette sorte de bienfait, qu'en traitant de même nos descendans.

Le courtisan autrefois (14) avait ses cheveux, était en chausses

« PreviousContinue »