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leur publication est en même temps celle de sa vie, l'histoire de sa vie, le plus beau panégyrique de son caractère.

Fils de Jean-Paul Courier, propriétaire du fief de Méré en Touraine, Paul-Louis fut baptisé sous ce nom de terre, qu'il ne porta jamais de peur qu'on ne le crût gentilhomme. Son père, homme d'esprit et d'un esprit cultivé, dirigea lui-même son éducation, et sans autre maître, le jeune Courier savait déjà le grec à l'âge de quinze ans. Il étudia aussi les mathématiques il y devint habile de bonne heure, puis embrassa la carrière militaire; et tout en continuant à se livrer avec ardeur à ses études, particulièrement à celle du grec qui fut toujours son étude favorite (l'Éloge d'Hélène date de l'an XI), il montra tant d'activité, d'intelligence et de bravoure dans les différentes campagnes qu'il fit en Allemagne et en Italie, que du grade d'officier subalterne d'artillerie auquel il avait été nommé en 1792, il atteignit rapidement celui de chef d'escadron. Mais l'indépendance naturelle de son caractère ne tarda pas à lui faire prendre en dégoût un métier où l'obéissance aveugle est le premier devoir; et ce dégoût divint extrême, lorsqu'un homme voulut employer au service de son ambition personnelle tous les bras qui s'étaient armés pour la cause de la patrie.

Après avoir combattu par patriotisme, au temps de l'invasion étrangère, Courier ne continua donc

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de faire la guerre sous l'empereur que par compagnie, pour ne pas délaisser ses anciens camarades. Mais après la bataille de Wagram (juillet 1809), il offrit enfin sa démission. Elle fut acceptée avec beaucoup d'empressement par ses chefs, auxquels déplaisaient fort la franchise de ses opinions et la tournure caustique de son esprit. L'anecdote suivante pourra donner une idée du peu de ménagement qu'il gardait dans ses propos sur leur compte. Le lendemain d'une mêlée assez chaude, où il lui avait semblé que César Berthier ne s'était pas conduit avec une bravoure romaine, il rencontra sur son chemin les fourgons de cet officier, portant son nom inscrit en grosses lettres. Aussitôt Courier se jette à la tête des chevaux, et rayant avec la pointe de son sabre le mot de César : «< Va dire à ton maître, crie-t-il au conducteur, qu'il peut continuer de s'appeler Berthier. » Mais pour César, je le lui défends! »

La discipline militaire n'était guère plus respectée de lui dans ce qui gênait ses habitudes et ses goûts. Rien, par exemple, ne put le contraindre à se servir de selle et d'étriers. Jusque dans les parades il chevauchait à la grecque; et quand son régiment ne se battait point, il lui arrivait ordinairement de le quitter, sans ordre ni permission, pour aller fouiller quelque bibliothèque d'Italie. Ce fut pendant l'une de ces excursions qu'en feuilletant, à Florence, un manuscrit des Pastorales de Longus appartenant à la

bibliothèque Laurentienne, il crut y remarquer le passage du premier livre manquant dans toutes les éditions de cet auteur. Aussi en 1810, quand la liberté lui eut été rendue, le premier usage qu'il en fit fut de s'assurer de la chose, puis de collationner avec soin le manuscrit entier et de copier le fragment inédit. Mais ayant eu le malheur de répandre de l'encre sur plusieurs lignes du précieux fragment, le biblio thécaire Furia, dont l'amour-propre souffrait de la découverte de Courier, profita de cette tache d'encre pour l'accuser d'avoir détruit l'original afin de s'en approprier avec M. Renouard la publication et la vente. Courier dédaigna d'abord de se disculper; l'imputation lui paraissait trop absurde. Mais le préfet de Rome l'ayant sommé de répondre, il crut devoir le faire par devant le public, dans une Lettre à M. Renouard, véritable chef-d'œuvre de bon sens et de plaisanterie. Après quoi, pour montrer com bien il était loin de vouloir spéculer sur sa découverte, il imprima le fragment lui-même qu'il distribua gratis à tous ceux qui le lui demandèrent. Déjà auparavant il avait publié à Florence une traduction complète de Longus, où il avait pris d'Amyot tout ce qui était conforme au texte gree, et imité à s'y méprendre son style et sa manière dans le supplément retrouvé du premier livre, ainsi que dans tous les endroits qu'il avait changés. Enfin il donna à ses amis cinquante-deux exemplaires du texte complet de

Longus imprimés à Rome petit in- 4°, et réimprima plus tard à Paris, avec de nouveaux changements, la traduction de Florence qui n'avait été tirée qu'à soixante exemplaires.

De retour dans cette capitale, après quatre ans de séjour en Italie, il écrivit sur l'Athénée de Schweighouser un article très-remarquable, dans le Magasin encyclopédique de Millin, et donna une traduction du Traité de la Cavalerie de Xénophon, accompagnée de notes fort estimées par les érudits.

Vint la restauration de 1814. Tout en déplorant la manière dont elle s'opéra, Courier ne put s'empêcher de s'en réjouir. Aussi firent bien d'autres, amis sincères de la liberté, qui depuis..... Mais alors la Charte n'avait pas été interprétée, Ayant donc donné dans la Charte en plein, selon son propre aveu, il s'apprêtait à savourer les douceurs d'un régime franchement constitutionnel, lorsque les cent jours rappelèrent les étrangers en France, et à leur suite la réaction royaliste de 1815, Cette réaction ne fut nulle part plus violente que dans le département d'Indre-et-Loire où Courier avait ses propriétés. M. Bacot, préfet de Tours, fit arrêter dans l'espace d'un mois, plus de cinq cents personnes, dont plusieurs moururent en prison.

Courier, indigné de ces mesures tyranniques, adressa aux deux Chambres une Pétition au nom

des habitants de Luynes, petit village situé sur le bord de la Loire. Le ministre Decazes, qui cherchait à fonder sa puissance sur les ruines de deux partis extrêmes, se servit de cette pétition contre les ultra-royalistes. Les persécutions cessèrent: Courier se tut.

En 1819 seulement il reprit la parole. Ce fut à propos d'un procès injuste et ridicule intenté par le maire de Véretz à son garde-chasse, et contre de petites vexations qu'il éprouva lui-même de la part des agents ministériels. Il eut gain de cause dans ces affaires, et reçut d'un directeur général d'alors un accueil si grâcieux, qu'on alla jusqu'à lui demander ce qu'on pouvait faire pour lui. « Rien, répondit » Courier. Je ne prétends à rien, et ne me crois » même propre à rien.»

Il dérogea pourtant à ce principe une fois dans sa vie, en se présentant pour une place d'académicien, vacante par le décès de son beau-père Clavier. Mais il faut dire que c'était pour remplir une promesse faite à Clavier à son lit de mort: et certes on eut lieu de s'applaudir de cette démarche, puisqu'on lui dut la Lettre à MM. de l'Académie des Inscriptions et Belles - Lettres, délicieuse satire des académies, académiciens et aspirants à l'être. Il y a tel nom que, après avoir lu cette lettre, on n'entendra jamais prononcer sans rire.

Dans la même année parut, sous le titre de Lettre

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