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particulière, le premier cahier de ce qu'on peut nommer ses Provinciales politiques. Car, au fond comme dans la forme, les pamphlets de Courier rappellent tout-à-fait les immortelles Lettres de Pascal. C'est la même force de logique, la même hauteur de pensée, la même finesse d'esprit avec plus de bonhomie encore, la même perfection de style, la même variété de ton et de genre. Les Lettres au rédacteur du Censeur, qui furent insérées dans ce journal au mois d'avril de l'année suivante, commencèrent à populariser un peu son nom, et par suite à éveiller sur lui l'attention de l'autorité. Elle tâcha, au moyen d'une escobarderie ministérielle de l'exclure des élections. Courier réclama avec force son droit d'électeur, dans une adresse à MM. du Conseil de préfecture de Tours; et ce droit lui ayant été rendu, un propriétaire influent du département d'Indre-et-Loire voulut profiter de cette contestation pour le faire nommer député par la faction libérale. Mais comme il n'était d'aucune faction, la tentative échoua; et Courier écrivit alors sa Seconde Lettre particulière, où il mit en scène tout ce qui venait de se passer au collége électoral.

Jusque-là, aucune poursuite n'avait été dirigée contre lui; aucune coterie ne l'avait prôné. Le cercle de ses lecteurs était donc fort restreint. Mais voilà qu'en 1821 il s'avise, dans un Simple dis

cours aux membres de la commune de Véretz, à l'occasion d'une souscription proposée par Son Excellence le Ministre de l'Intérieur pour l'acquisition de Chambord, de dire sur cette mesure odieuse et impolitique ce que tout le monde en pensait. Aussitôt l'apparition de ce pamphlet, un réquisitoire est lancé contre lui; il est traduit devant la cour d'assises, et contre toute justice, condamné à l'amende et à la prison. Pendant l'instruction du procès il demanda l'assistance de leurs prières Aux âmes dévotes de la paroisse de Véretz, et après son issue publia, sous le titre de Procès de Paul-Louis Courier, vigneron, etc., son interrogatoire, véritable scène de comédie; un extrait du plaidoyer de M. de Broë, où il couvre cet avocat-général d'un ridicule que jamais homme ne mérita mieux; le plaidoyer de son avocat, puis enfin quelques pages contenant ce qu'il eût allégué lui-même pour sa défense s'il eût eu l'habitude de la parole; pages comparables pour l'éloquence à ce que l'antiquité nous a laissé de plus parfait.

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. Non encore corrigé de la manie de raisonner avec le pouvoir, il ne se vit pas plutôt hors de prison, qu'il adressa aux Chambres une Pétition pour des villageois qu'on empêchait de danser. Remis en jugement, il en fut quitte cette fois pour une simple réprimande; mais comprenant que la liberté d'imprimer n'existait plus pour lui, il prit dès

lors le parti de s'adresser à une presse clandestine. Ce fut ainsi que virent le jour successivement les deux Réponses aux anonymes, le Livret de Paul-Louis, la Gazette du village, et la Pièce diplomatique signée Louis, plus bas de Villèle. On chercha vainement à le prendre sur le fait. Le petit nombre d'amis en qui il se fiait assez pour leur avouer ces pamphlets, n'auraient su dire eux-mêmes comment il s'y prenait pour les faire imprimer. « J'écris deux ou trois pages, disait-il en riant, je les jette dans la rue, et elles se trouvent imprimées. »

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Le reste de son temps était consacré à une traduction d'Hérodote. Encouragé par le succès général de celle des Pastorales de Longus, et de l'Ane de Lucien, il voulait appliquer le même système au père de l'histoire. Beaucoup de gens, après avoir lu le fragment qu'il publia en 1822, tâchèrent de le détourner de cette entreprise. Mais il n'y eut personne qui ne fût ravi de la préface qu'il y avait jointe; préface d'une dixaine de pages seulement, où les idées se comptent pour ainsi dire par les mots.

Deux ans plus tard parut le Pamphlet des pamphlets, qui fut le chant du cygne. Cet ouvrage ferme si admirablement la noble carrière qu'il avait parcourue sans relâche pendant neuf ans, qu'on ne put se défendre d'y lire un vague pressentiment de

sa fin prochaine. D'autant mieux que déjà il s'était fait dire dans le Livret : « Paul-Louis, les cagots te >> tueront. » Toujours est-il que, dans un voyage qu'il fit chez lui au commencement de l'année 1825, il trouva la mort à quelques pas de sa maison. Qui fut l'assassin? Comme on ne peut former là-dessus que des conjectures, il est juste et prudent de garder le silence.

Il faut se taire aussi sur l'étendue d'une telle perte, parce que nulle expression ne saurait la rendre, nulle intelligence la mesurer. A la verve de Rabelais, à la raison de Pascal, unissant tout l'esprit de Voltaire, il était seul capable de reprendre la lutte contre les prêtres où celui-ci l'avait laissée; et il se proposait sérieusement de l'essayer dans une suite de pamphlets clandestins qui eussent paru chaque semaine. On en verra un premier échantillon à la fin de ce volume. Bien d'autres projets roulaient dans son esprit, dont l'accomplissement eût peut-être hâté la fin du triste régime qui menace l'avenir de la France!

Quant aux mémoires de sa vie, dont il avait écrit une bonne partie sous forme de dialogues, et au précieux recueil de lettres à lui adressées par les ci-devant Brutus qui maintenant encombrent les antichambres royales, il est fort à désirer, peu à espérer que sa famille, nous ne disons point publie, mais ne les détruise pas.

Ayant eu le bonheur de connaître Courier, nous voulions ajouter un mot sur ses manières si franches et si simples, sur sa conversation si spirituelle et si originale, sur son caractère si droit et si ferme. A la réflexion, nous trouvons qu'il vaut mieux lui laisser ce soin à lui-même. Qu'on le lise, on aura vécu avec lui.

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