Page images
PDF
EPUB

PLACET

A SON EXCELLENCE MONSEIGNEUR LE MINISTRE.

MONSEIGNEUR,

Les persécutions que j'éprouve, dans le département d'Indre et Loire, seraient longues à raconter. En voici les principaux traits.

Le 12 décembre dernier, on coupa et enleva, dans ma forêt de Larcai, quatre gros chênes baliveaux de quatre-vingts ans. Mon garde fit sa plainte légale, et requit le maire de Véretz, de permettre, suivant la loi, la recherche des bois volés. On savait où ils étaient. Le maire s'y refusa malgré la lecture qu'on lui fit de la loi qui l'oblige, sous peine de destitution, d'accompagner lui-même le garde dans cette recherche. Tout cela est constaté par des procès-verbaux.

Quelque temps après, les mêmes gens coupèrent, dans la même forêt, dix-neuf chênes les plus gros et les plus beaux de tous. Procès-verbal fut fait, plainte portée au maire et au procureur du Roi, qui menaça de sa surveillance, non les voleurs, mais le garde et moi.

Dernièrement, on a encore coupé, dans la même forêt, un seul gros baliveau de soixante et quinze ans. On a tenté de mettre le feu en différents endroits. Les auteurs de ces délits sont connus, et non seulement nulle poursuite n'a été faite contre eux, mais

un s'oppose constamment à la recherche légale des bois enlevés.

Le nommé Blondeau, l'un de mes gardes, est chargé par moi, cette année, de différentes exploitations que je fais faire par nettoyement. On l'a laissé abattre et façonner tout le bois, mais au moment de la vente, on le fait condamner, sous les plus absurdes prétextes, à un mois de prison, sans grâce ni délai. Le voilà ruiné totalement, et moi, en partie. On l'accuse dans le procès-verbal fait contre lui, en apparence, mais réellement contre moi, d'avoir dit à M. le maire (dont il a une peur mortelle), Allez vous faire f..... C'est là le crime qu'on lui suppose, et pour lequel on va détruire toute l'existence et la fortune d'un père de famille de soixante ans, qui a toujours vécu sans reproche.

Je ne vous parle point, Monseigneur, des procès risibles qu'on me fait, dans lesquels je succombe toujours. Chaque fois que je suis volé, je paie des dommages et intérêts. Si on me battait, je paierais l'amende. On me menace maintenant de me brûler. Si cela arrive, je serai condamné à la peine des incendiaires.

T

Ce n'est pas qu'on me haïsse dans le pays. Je vis seul et n'ai de rapports ni de démêlés avec personne. Tout cela se fait pour faire plaisir à M. le maire, et à MM. les juges, à M. le procureur du Roi, et à M. le préfet, gens que je n'ai jamais vus, et dont j'ignore les noms.

Enfin il est notoire, dans le département, qu'on peut me voler, me courir sus, et chaque jour on use de cette permission. Je suis hors de la loi pour avoir

défendu avec succès des gens qu'on voulait faire périr, il y a deux ou trois ans. Voilà, disent quelques uns, le vrai motif du mal qu'on me fait à présent.

Je supplie votre Excellence d'ordonner que tous ceux qui me pillent, ou m'ont pillé, soient légalement poursuivis, et qu'on me laisse en repos à l'avenir. C'est malgré moi que j'ai recours à l'autorité quand les lois devraient me protéger. Mais la chose presse, et je crains que mes bois ne soient bientôt brûlés.

Je suis avec respect,

Monseigneur,

De votre Excellence,

Le très-humble et obéissant serviteur,

Paris, le 30 mars 1819.

PIERRE CLAVIER

DIT BLONDEAU,

A MESSIEURS LES JUGES DE POLICE CORRECTIONNELLE A BLOIS.

MESSIEURS,

J'ai fait de grandes fautes; mais j'en suis trop puni déjà par tout ce que j'ai souffert, et si vous regardez ma conduite, vous verrez qu'il y a en moi, pauvre et simple homme de village, plus de bêtise que de méchanceté.

Ma première faute fut d'entrer au service de M. de Beaune, le maire de notre commune. Je le connaissais. M. de Beaune est un jeune homme vif, emporté, violent dans toutes ses passions, implacable dans ses vengeances. Je savais cela; j'aurais dû fuir M. de Beaune et prévoir ce qui m'arrive; mais quoi ? il fallait vivre; je n'avais point d'autre ressource, et il n'était pas maire encore; il ne faisait point de procèsverbaux; en le servant, on ne risquait que d'être assommé. J'entrai chez lui, et me conduisis avec tant de prudence, qu'au bout de deux ans, j'en sortis sans contusion ni blessure. En cela, je ne fus pas bête.

Mais malheureusement, il était maire alors; en me renvoyant, M. le maire ne me payait point mes ga

[ocr errors]
« PreviousContinue »