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cœur; que ceux-ci excluent ceux qui veulent les exclure, où est le mal, où sera l'injustice? Si on les écoutait, ils prétendraient encore être seuls professeurs, sous prétexte qu'il faut savoir pour enseigner, proposition au moins téméraire, mal sonante, en ce qu'elle ôte au clergé l'éducation publique; et sait-on où cela s'arrêterait? Bientôt ceux qui prêchent l'Évangile seraient obligés de l'entendre. Enfin si les savants veulent être quelque chose, veulent avoir des places, qu'ils fassent comme on fait, c'est une marche réglée : les moyens pour cela sont connus et à la portée d'un chacun. Des visites, des révérences, un habit d'une certaine façon, des recommandations de quelques gens considérés. On sait, par exemple, que pour être de votre Académie, il ne faut que plaire à deux hommes, M. de Sacy et M. Quatremer de Quincy, et je crois encore à un troisième, dont le nom me reviendra; mais ordinairement le suffrage d'un des trois suffit, parce qu'ils s'accommodent entre eux. Pourvu qu'on soit ami d'un de ces trois messieurs, et cela est aisé, car ils sont bonnes gens, vous voilà dispensé de toute espèce de mérite, de science, de talents; y a-t-il rien de plus commode, et sauraiton en être quitte à meilleur marché? que serait-ce, au prix de cela, s'il fallait gagner tout le public, se faire un nom, une réputation? Puis une fois de l'Académie, à votre aise vous pouvez marcher en suivant le même chemin, les places et les honneurs vous pleuvent. Tous vos devoirs sont renfermés dans deux préceptes d'une pratique également facile et sûre, que les moines, premiers auteurs de toute discipline réglementaire, expriment ainsi en leur latin : Bene dicere

de Priore, facere officium suum taliter qualiter, le reste s'en suit nécessairement: Sinere mundum ire quomodo vadit.

Oh! l'heureuse pensée qu'eut le grand Napoléon, d'enrégimenter les beaux arts, d'organiser les sciences, comme les droits réunis; pensée vraiment royale, disait M. de Fontanes, de changer en appointements ce que promettent les muses, un nom et des lauriers. Par-là, tout s'aplanit dans la littérature; par-là, cette carrière autrefois si pénible est devenue facile et unie. Un jeune homme, dans les lettres, avance, fait son chemin comme dans les sels ou les tabacs. Avec de la conduite, un caractère doux, une mise décente, il est sûr de parvenir et d'avoir à son tour des places, des traitements, des pensions, des logements, pourvu qu'il n'aille pas faire autrement que tout le monde, se distinguer, étudier. Les jeunes gens quelquefois se passionnent pour l'étude; c'est la perte assurée de quiconque aspire aux emplois de la littérature; c'est la mort à tout avancement. L'étude rend paresseux : on s'enterre dans ses livres; on devient rêveur, distrait, on oublie ses devoirs, visites, assemblées, repas, cérémonies; mais ce qu'il y a de pis, l'étude rend orgueilleux; celui qui étudie s'imagine bientôt en savoir plus qu'un autre, prétend à des succès, méprise ses égaux, manque à ses supérieurs, néglige ses protecteurs et ne fera jamais rien dans la partie des lettres.

Si Gail eût étudié, s'il eût appris le grec, serait-il aujourd'hui professeur de la langue grecque, garde des livres grecs, académicien de l'Académie grecque, enfin le mieux renté de tous les érudits? Haasse a fait

cette sottise. Il s'est rendu savant, et le voilà capable de remplir toutes les places destinées aux savants; mais non pas de les obtenir. Bien plus avisé fut M. Raoul Rochette, ce galant défenseur de l'Église, ce jeune champion du temps passé. Il pouvait comme un autre, apprendre en étudiant, mais il vit que cela ne le menait à rien, et il aima bien mieux se produire que s'instruire, avoir dix emplois de savant, que d'être en état d'en remplir un qu'il n'eût pas eu, s'il se fût mis dans l'esprit de le mériter, comme a fait çe pauvre Haase, homme, à mon jugement, docte mais non habile, qui s'en va pâlir sur les livres, perd son temps et son grec, ayant devant les yeux ce qui l'eût dû préserver d'une semblable faute, Gail, modèle de conduite, littérateur parfait. Gail ne sait aucune science, n'entend aucune langue :

Mais s'il est par la brigue un rang à disputer
Sur le plus savant homme on le voit l'emporter.

L'emploi de garde des manuscrits, d'habiles gens le demandaient; on le donne à Gail qui ne lit pas même la lettre moulée. Une chaire de grec vient à vaquer, la seule qu'il y eût alors en France, on y nomme Gail, dont l'ignorance en grec est devenue proverbe (1). Un fauteuil à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, on y place Gail qui se trouve ainsi, sans se douter seulement du grec, avoir remporté tous les prix de l'érudition grecque, réunir à lui seul toutes les récompenses avant lui partagées

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(1) Tu t'y entends comme Gail au grec, proverbe d'écollier.

aux plus excellents hommes en ce genre. Haasse n'oserait prétendre à rien de tout cela, parce qu'il étudie le grec, parce qu'il déchiffre, explique, imprime les manuscrits grecs, parce qu'il fait des livres pour ceux qui lisent le grec, parce qu'enfin il sait tout, hors ce qu'il faut savoir pour être savant patenté du gouvernement. Oh! que Gail l'entend bien mieux! il ne s'est jamais trompé, jamais fourvoyé de la sorte, jamais n'eut la pensée d'apprendre ce qu'il est chargé d'enseigner. Certes un homme comme Gail doit rire dans sa barbe, quand il touche cinq ou six traitements de savants, et voit les savants se morfondre.

Messieurs, voilà ce que c'est que l'esprit de conduite. Aussi, d'avoir donné le fouet jadis à un duc et pair, il faut en convenir, cela aide bien un homme, cela vous pousse furieusement, et comme dit le poète,

Ce chemin aux honneurs a conduit de tout temps.

Le pédant de Charles-Quint devint pape; celui de Charles IX fut grand aumônier de France. Mais tous deux savaient lire; au lieu que Gail ne sait rien, et même est connu de tout le monde pour ne rien savoir, d'autant plus admirable dans les succès qu'il a obtenus comme savant.

Vous n'ignorez pas combien sont désintéressés les éloges que je lui donne. Je n'ai nulle raison de le flatter, et suis tout à fait étranger à ce doux commerce de louanges que vous pratiquez entre vous. M. Gail ne m'est rien, ni ami, ni ennemi, ne me sera jamais rien, et ne peut de sa vie me servir ni me nuire. Ainsi le pur amour du à célébrer en grec m'engage lui le premier de nos hellénistes, j'entends le plus

considérable par ses grades littéraires. Le public, je le sais, lui rend assez de justice; mais on ne le connaît pas encore. Moi, je le juge sans prévention, et je vois peu de gens qui soient de son mérite, même parmi vous, Messieurs. En Allemagne, où vous savez que tout genre d'érudition fleurit, je ne vois rien de pareil, rien même d'approchant. Là, les places académiques sont toutes données à des hommes qui ont fait preuve de savoir. Là, Corai serait président de l'Académie des Inscriptions, Haase garde des manuscrits, quelque autre aurait la chaire de grec, et Gail... qu'en ferait-on? Je ne sais, tant l'industrie qui le distingue est peu prisée en ce pays-là. Ces gens, à ce qu'il paraît, grossiers, ne reconnaissent qu'un droit aux emplois littéraires, la capacité de les remplir, qui chez nous est une exclusion.

Ce que j'en dis toutefois ne se rapporte qu'à votre académie, Messieurs, celle des Inscriptions et BellesLettres. Les autres peuvent avoir des maximes différentes. Et je n'ai garde d'assurer qu'à l'Académie des Sciences un candidat fût refusé, uniquement parce qu'il serait bon naturaliste ou mathématicien profond. J'entends dire qu'on y est peu sévère sur les billets de confession, et un de mes amis y fut reçu l'an passé, sans même qu'on lui demandât s'il avait fait ses Pâques, scandales qui n'ont point lieu chez

vous.

Mais, Messieurs, me voilà bien loin du sujet de ma lettre. J'oublie, en vous parlant, ce que je viens vous dire, et le plaisir de vous entretenir me détourne de mon objet. Je voulais répondre aux méchantes plaisanteries de ce journal qui dit que je me suis présenté,

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