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fit autrefois mon père: Tu ne seras jamais rien. Jusqu'à présent je doutais (comme il y a toujours quelque chose d'obscur dans les oracles), je pensais, qu'il pouvait avoir dit: Tu ne feras jamais rien; ce qui m'accommodait assez, et me semblait même d'un bon augure pour mon avancement dans le monde; car en ne faisant rien, je pouvais parvenir à tout, et singulièrement à être de l'Académie; je m'abusais. Le bonhomme sans doute avait dit, et rarement il se trompa : Tu ne seras jamais rien, c'est-à-dire, tu ne seras ni gendarme, ni rat-de-cave, ni espion, ni duc, ni laquais, ni académicien. Tu seras Paul-Louis potage, id est, rien. Terrible mot!

pour tout

avait

C'est folie de lutter contre sa destinée. Il y trois places vacantes à l'Académie, quand je me présentai pour en obtenir une, J'avais le mérite requis; on me l'assurait, et je le croyais, je vous l'avoue. Trois places vacantes, Messieurs! et notez ceci, je vous prie, personne pour les remplir. Vous aviez rebuté tous ceux qui en eussent été capables. Coraï, Thurot, Haase, repoussés une fois, ne se présentaient plus. Le pauvre Chardon de la Rochette qui, toute sa vie fut si simple de croire obtenir, par la science une place de savant, à peine désabusé mourut. J'étais donc sans rivaux que je dusse redouter. Les candidats manquant, vous paraissiez en peine, et aviez ajourné déjà deux élections, fautes de sujets recevables. Les uns vous semblaient trop habiles, les autres trop ignorants; car sans doute vous n'avez pas cru qu'il n'y eût en France personne digne de s'asseoir auprès de Gail. Vous cherchiez cette médiocrité justement vantée par les sages. Que vous dirai-je enfin? Tout me favorisait,

tout m'appelait au fauteuil. Visconti me poussait, Millin m'encourageait, Letronne me tendait la main; chacun semblait me dire: Dignus es intrare. Je n'avais qu'à me présenter; je me présentai donc, et n'eus pas une voix.

: Non, Messieurs, non, je le sais, ce ne fut point votre faute. Vous me vouliez du bien, j'en suis sûr. Il y parut dans les visites que j'eus l'honneur de vous faire alors. Vous m'accueillites d'une façon qui ne pouvait être trompeuse. Car pourquoi m'auriez-vous flatté ? Vous me reconnûtes des droits. La plupart même d'entre vous se moquèrent un peu avec moi de mes nobles concurrents; car, tout en les nommant de préférence à moi, vous les savez bien apprécier, et n'êtes pas assez peu instruits pour me confondre avec messieurs de l'Oil-de-Bœuf. Enfin, vous me rendîtes justice, en convenant que j'étais ce qu'l fallait pour une des trois places à remplir dans l'Académie. Mais quoi? mon sort est de n'être rien. Vous eûtes beau vouloir faire de moi quelque chose, mon étoile l'emporta toujours, et vos suffrages, détournés par cet ascendant, tombèrent, Dieu sans doute, le voulant, sur le gentilhomme ordinaire.

La noblesse, Messieurs, n'est pas une chimère, mais quelque chose de très-réel, très-solide, très-bon, dont on sait tout le prix. Chacun en veut tâter; et ceux qui, autrefois firent les dégoûtés, ont bien changé d'avis depuis un certain temps. Il n'est vilain qui, pour se faire un peu décrasser, n'aillent du Roi à l'usurpateur et de l'usurpateur au Roi, ou qui, faute de mieux ne mette du moins un de à son nom, avec grande raison vraiment. Car, voyez ce que c'est, et la différence

qu'on fait du gentilhomme au roturier, dans le pays même de l'égalité, dans la république des lettres. Chardon de la Rochette (vous l'avez tous connu), paysan comme moi, malgré ce nom pompeux, n'ayant que du savoir, de la probité, des mœurs, enfin, un homme de rien, abîmé dans l'étude, dépense son patrimoine en livres, en voyages; visite les monuments de la Grèce et de Rome, les bibliothèques, les savants, et devenu lui-même un des hommes les plus savants de l'Europe, connu pour tel par ses ouvrages, se présente à l'Académie, qui tout d'une voix le refuse. Non; c'est mal dire; on ne fit nulle attention à lui, on ne l'écouta pas. Il en mourut, grande sottise. Le vicomte Prévost passe sa vie dans ses terres, où foulant le parfum de ses plantes fleuries, il compose un couplet afin d'entretenir ses douces rêveries. L'Académie qui apprend cela, (non pas l'Académie française, ou deux vers se comptent pour un ouvrage; mais la vôtre, Messieurs, l'Académie en us, celle des Barthélemi, des Dacier, des Saumaise), offre timidement à M. le vicomte une place dans son sein; il fait signe qu'il acceptera, et le voilà nommé tout d'une voix. Rien n'est plus simple que cela un gentilhomme de nom et d'armes, un homme comme M. le vicomte, est militaire sans faire la guerre, de l'Académie sans savoir lire. La coutume de France ne veut pas, dit Molière, qu'un gentilhomme sache rien faire, et la même coutume veut que toute place lui soit dévolue, même celle de l'Académie.

Napoléon, génie, dieu tutélaire des races antiques et nouvelles, restaurateur des titres, sauveur des parchemins; sans toi la France perdait l'étiquette et le

blason, sans toi..... Oui, Messieurs, ce grand homme aimait comme vous la noblesse, prenait des gentilshommes pour en faire ses soldats, ou bien de ses soldats faisait des gentilshommes. Sans lui, les vicomtes que seraient-ils ? pas même académiciens.

Vous voyez bien, Messieurs, que je ne vous en veux point. Je cause avec vous: et de fait, si j'avais à me plaindre, ce serait de moi, non pas de vous. Qui diantre me poussait à vouloir être de l'Académie et qu'avais-je besoin d'une patente d'érudit, moi qui, sachant du grec autant qu'homme de France, étais connu et célébré par tous les doctes de l'Allemagne, sous les noms de Correrius, Courierus, Hemerodromus, Cursor, avec les épithètes de vir ingeniosus, vir acutissimus, vir præstantissimus, c'est-à-dire, homme d'érudition, homme de capacité, comme le docteur Pancrace. J'avais étudié pour savoir, et j'y étais parvenu, au jugement des experts. Que me fallait-il davantage ? Quelle bizarre fantaisie à moi, qui m'étais moqué quarante ans des cotteries littéraires, et vivais en repos loin de toute cabale, de m'aller jeter au milieu de ces méprisables intrigues?

A vous parler franchement. Messieurs, c'est là le point embarrassant de mon apologie; c'est là l'endroit que je sens faible et que je me voudrais cacher. De raisons, je n'en ai point pour plâtrer cette sottise, ni même d'excuse valable. Alléguer des exemples, ce n'est pas se laver, c'est montrer les taches des autres. Assez de gens, pourrais-je dire, plus sages que moi, plus habiles, plus philosophes (Messieurs ne vous effrayez pas), ont fait la même faute et bronché en même chemin aussi lourdement. Que prouve cela?

quel avantage en puis-je tirer, sinon de donner à penser que par là seulement je leur ressemble ? Mais pourtant, Coraï, Messieurs..... parmi ceux qui ont pris pour objet de leur étude les monuments écrits de l'antiquité grecque, Coraï tient le premier rang; nuk ne s'est rendu plus célèbre; ses ouvrages nombreux, sans être exempts de fautes, font l'admiration de tous ceux qui sont capables d'en juger; Coraï, heureux et tranquille, à la tête des hellénistes, patriarche, en un mot de la Grèce savante, et partout révéré de tout ce qui sait lire alpha et oméga; Coraï une fois a voulu être de l'Académie. Ne me dites point, mon cher maitre, ce que je sais comme tout le monde, qne vous l'avez bien peu voulu, que jamais cette pensée ne vous fût venue sans les instances de quelques amis moins zélés pour vous, peut-être, que pour l'Académie, et qui croyaient de son honneur que votre nom parut sur sa liste; que vous cédâtes avec peine, et ne fûtes prompt qu'à vous retirer. Tout cela est vrai et vous est commun avec moi, aussi bien que le succès. Vous avez voulu comme moi, votre indigne disciple, être de l'Académie. C'était sans contredit aspirer à descendre. Il vous en a pris comme à moi. C'est-à-dire qu'on se moque de nous deux. Et de plus que moi, vous avez pour faire cette demande écrit à l'Académie, qui a votre lettre et la garde. Rendez-là lui, Messieurs, de grâce, ou ne la montrez pas du moins. Une coquette montre les billets de l'amant rebuté, mais elle ne va pas se prostituer à Jomard.

Jomard à la place de Visconti! M. Presvost d'Irai succédant à Clavier! Voilà de furieux argumens contre le progrès des lumières, et les frères ignorantins,

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