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et vivait dans cette douce médiocrité, quand les ministres le voyant homme à la main, d'humeur facile, comme sont les savants, comme était Newton, le firent entrer au parlement. Il n'y fut pas que le voilà qui tonne, tempête contre les dépenses de la Cour, la corruption, les sinécures. On crut qu'il en voulait sa part, et les ministres lui offrirent une place qu'il accepta, et une somme qu'il toucha, proportionnée à sa fortune, selon l'usage des gouvernants de donncr plus à qui plus a. Nanti de ces deniers, il retourne à sa terre, assemble les paysans, les laboureurs, et tous les fermiers du comté, auxquels il dit : J'ai rattrapé le plus heureusement du monde une partie de ce qu'on vous prend pour entretenir les fripons et les fainéants de la Cour. Voici l'argent dont je veux faire une belle restitution. Mais commençons par les plus pauvres. Toi, Pierre, combien as-tu payé cette année-ci? Tant; le voilà. Toi, Paul, vous, Isaac et John, votre quote? Et il la leur compte; et ainsi tant qu'il en resta. Cela fait, il retourne à Londres, où prenant possession de son nouvel emploi, d'abord il voulait élargir tous les gens détenus pour délits de paroles, propos contre les grands, les ministres, les suisses, et l'eût fait, car sa place lui en donnait le pouvoir, si on ne l'eût promptement révoqué.

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Depuis, il s'est mis à voyager et m'écrit de Rome : « Laissez dire, laissez-vous blâmer, condamner, emprisonner, laissez-vous pendre; mais publiez vo» tre pensée. Ce n'est pas un droit, c'est un devoir, » étroite obligation de quiconque a une pensée de la >> produire et mettre au jour pour le bien commun.

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» La vérite est toute à tous. Ce que vous connaissez utile, bon à savoir pour un chacun, vous ne le pou» vez taire en conscience. Jenner qui trouva la vac» cine eût été un franc scélérat d'en garder une heure » le secret; et comme il n'y a point d'homme qui ne » croie ses idées utiles, il n'y en a point qui ne soit » tenu de les communiquer et répandre par tous » moyens à lui possibles. Parler est bien, écrire est » mieux; imprimer est excellente chose. Une pensée » déduite en termes courts et clairs, avec preuves, >> documents, exemples, quand on l'imprime, c'est » un pamphlet et la meilleure action, courageuse » souvent, qu'homme puisse faire au monde. Car si » votre pensée est bonne, on en profite, mauvaise on » la corrige et l'on profite encore. Mais l'abus....... >> sottise que ce mot; ceux qui l'ont inventé, ce sont >> ceux qui vraiment abusent de la presse, en impri»mant ce qu'ils veulent, trompant, calomniant et empêchant de répondre. Quand ils crient contre >> les pamphlets, journaux, brochures, ils ont leurs >> raisons admirables. J'ai les miennes et voudrais

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qu'on en fit davantage, que chacun publiât tout » ce qu'il pense et sait! Les jésuites aussi criaient >> contre Pascal et l'eussent appelé pamphlétaire, mais le mot n'existait pas encore; ils l'appelaient tison d'enfer, la même chose en style cagot. Cela signifie toujours un homme qui dit vrai et se fait » écouter. Ils répondirent à ses pamphlets par d'au>> tres d'abord, sans succès, puis par des lettres de » cachet qui leur réussirent bien mieux. Aussi était

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» ce la réponse que faisaient d'ordinaire aux pamphlets les gens puissants et les jésuites.

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» A les entendre cependant, c'était peu de chose, ils méprisaient les petites lettres, misérables bouf» fonneries, capables tout au plus d'amuser un mo» ment par la médisance, le scandale, écrits de nulle valeur, sans fonds ni consistance, ni substance, » comme on dit maintenant, lus le matin, oubliés le » soir, en somme, indignes de lui, d'un tel homme, » d'un savant! L'auteur se déshonorait en employant » ainsi son temps et ses talents, écrivant des feuilles, » non des livres, et tournant tout en raillerie, au lieu » de raisonner gravement; c'était le reproche qu'ils » lui faisaient, vieille et coutumière querelle de qui » n'a pas pour soi les rieurs. Qu'est-il arrivé? La » raillerie, la fine moquerie de Pascal a fait ce que » n'avaient pu les arrêts, les édits, a chassé de partout » les jésuites. Ces feuilles si légères ont accablé le grand corps. Un pamphlétaire en se jouant met à >> bas ce colosse craint des rois et des peuples. La so» ciété tombée ne se relèvera pas, quelque appui qu'on lui prête, et Pascal reste grand dans la mé»moire des hommes, non par ses ouvrages savants, » sa roulette, ses expériences, mais par ses pamphlets, » ses petites lettres.

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» Ce ne sont pas les Tusculanes qui ont fait le nom » de Cicéron, mais ses harangues, vrais pamphlets. » Elles parurent en feuilles volantes, non roulées au>> tour d'une baguette, à la manière d'alors, la plu>> part même et les plus belles n'ayant pas été pro» noncées. Son Caton, qu'était-ce qu'un pamphlet

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» contre César, qui répondit très-bien, ainsi qu'il » savait faire et en homme d'esprit, digne d'être » écouté même après Cicéron. Un autre depuis, fé>> roce et n'ayant de César ni la plume ni l'épée, mal» traité dans quelque autre feuille, pour réponse fit » tuer le pamphlétaire romain. Proscription, persécution, récompense ordinaire de ceux qui seuls se hasardent à dire ce que chacun pense. De même » avant lui avait péri le grand pamphlétaire de la » Grèce, Démosthènes dont les Philippiques sont demeurées modèles du genre. Mal entendues et de peu de gens dans une assemblée, s'il les eût pro» noncées seulement, elles eussent produit peu d'ef>> fet; mais écrites on les lisait, et ces pamphlets, de » l'aveu même du Macédonien, lui donnaient plus » d'affaires que les armes d'Athènes, qui enfin suc>> combant perdit Démosthènes et la liberté.

» Heureuse de nos jours l'Amérique et Franklin » qui vit son pays libre, ayant plus que nul autre aidé » à l'affranchir par son fameux Bon Sens, brochure de deux feuilles. Jamais livre ni gros volume ne fit >> tant pour le genre humain. Car aux premiers com

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» mencements de l'insurrection Américaine, tous ces

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Etats, villes, bourgades, étaient partagés de senti>>>ments; les uns, tenant pour l'Angleterre, fidèles, » non sans cause, au pouvoir légitime; d'autres appréhendaient qu'on ne s'y pût soustraire et crai» gnaient de tout perdre en tentant l'impossible; plu» sieurs parlaient d'accommodement, prêts à se con» tenter d'une sage liberté, d'une Charte octroyée, » dût-elle être bientôt modifiée, suspendue; peu

» osaient espérer un résultat heureux de volontés si » discordantes. On vit en cet état de choses ce que » peut la parole écrite dans un pays où tout le monde » lit, puissance nouvelle et bien autre que celle de la » tribune. Quelques mots par hasard d'une harangue » sont recueillis de quelques-uns; mais la presse parle à tout un peuple, à tous les peuples à la fois, quand ils lisent comme en Amérique; et de l'imprimé rien ne se perd. Franklin écrivit; son Bon Sens, réunissant tous les esprits au parti de l'indépendance, décida cette grande guerre qui là terminée, continue dans le reste du monde.

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» Il fut savant; qui le saurait s'il n'eût écrit que de »sa science? Parlez aux hommes de leurs affaires, » et de l'affaire du moment, et soyez entendu de tous, » si vous voulez avoir un nom. Faites des pamphlets » comme Pascal, Franklin, Cicéron, Démosthènes, » comme Saint-Paul et Saint-Bazile; car vraiment >> j'oubliais ceux-là, grands hommes dont les opus» culcs, désabusant le peuple païen de la religion de » ses pères, abolirent une partie des antiques super» stitions et firent des nations nouvelles. De tout temps » les pamphlets on changé la face du monde. Ils se» mèrent chez les Anglais ces principes de tolérance » que porta Penn en Amérique, et celle-ci doit à » Franklin sa liberté maintenue par les mêmes moyens. » qui la lui ont acquise, pamphlets, journaux, publi» cité. Là tout s'imprime; rien n'est secret de ce qui importe à chacun. La presse y est plus libre que la parole ailleurs, et l'on en abuse moins. Pourquoi ? » C'est qu'on en use sans nul empêchement, et qu'une

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