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feuilles, vingt feuilles? Font un volume, dit-il, un ouvrage.

Moi, là-dessus : Monsieur, je m'en rapporte à vous, qui devez savoir ces choses. Mais hélas ! j'ai bien peur d'avoir fait en effet un pamphlet, comme dit le procureur du roi. Sur votre honneur et conscience, puisque vous êtes juré, monsieur Arthus Bertrand, mon écrit d'une feuille et demie, est-ce pamphlet ou brochure? Pamphlet, me dit-il, pamphlet sans nulle difficulté. Je suis donc pamphlétaire? Je ne vous l'cusse pas dit par égard, ménagement, compassion du malheur; mais c'est la vérité. Au reste, ajouta-t-il, si vous vous repentez, Dieu, vous pardonnera (tant sa miséricorde est grande!) dans l'autre monde. Allez, mon bon Monsieur, et ne pêchez plus; allez à Sainte-Pélagie.

Voilà comme il me consolait. Monsieur, lui dis-je, de grâce encore une question. Deux, me dit-il, et plus, et tant qu'il vous plaira, jusqu'à quatre heures et demie qui, je crois, vont sonner. Bien, voici ma question. Si au lieu de ce pamphlet sur la souscription de Chambord, j'eusse fait un volume, un ouvrage, l'auriez-vous condamné?Selon. J'entends, vous l'eussiez lu d'abord, pour voir s'il était condamnable. Oui, je l'aurais examiné. Mais le pamphlet vous ne le lisez pas? Non, parce que le pamphlet ne saurait être bon. Qui dit pamphlet, dit un écrit plein de poison. De poison? Oui Monsieur, et de plus détestable, sans quoi on ne le lirait pas, s'il n'y avait du poison. Non, le monde est ainsi fait; on aime le poison dans tout ce qui s'imprime. Votre pamphlet que nous venons de condamner, par exemple, je ne le connais point;

ne sais en vérité ni ne veux savoir ce que c'est ; mais on le lit; il y a du poison. Monsieur le procureur du roi nous l'a dit, et je n'en doutais pas. C'est le poison, voyez-vous, que poursuit la justice dans ces sortes d'écrits. Car autrement la presse est libre; imprimez, publiez tout ce que vous voudrez, mais non pas du poison. Vous avez beau dire, Messieurs, on ne vous laissera pas distribuer le poison. Cela ne se peut, en bonne police, et le gouvernement est là qui vous en empêchera bien.

Dieu, dis-je en moi-même tout bas, Dieu délivrenous du malin et du langage figuré! Les médecins m'ont pensé tuer, voulant me rafraîchir le sang; celui-ci m'emprisonne de peur que je n'écrive du poison; d'autres laissent reposer leur champ, et nous manquons de blé au marché. Jésus mon Sauveur, sauvez-nous de la métaphore.

Après cette courte oraison mentale, je repris: En effet, Monsieur, le poison ne vaut rien du tout, et l'on fait à merveille d'en arrêter le débit. Mais je m'étonne comment le monde, à ce que vous dites, l'aime tant. C'est sans doute qu'avec ce poison il y a dans les pamphlets quelque chose..... Oui, des sottises, des calembourgs, de méchantes plaisanteries. Que voulez-vous, mon cher Monsieur, que voulezmettre de bon sens en une misérable feuille ? Quelles idées s'y peuvent développer? Dans des ouvrages raisonnés, au sixième volume à peine entrevoit-on où l'auteur en veut venir. Une feuille, dis-je, il est vrai, ne saurait contenir grand chose. Rien qui vaille, me dit-il, et je n'en lis aucune. Vous ne lisez donc pas les mandements de monseigneur l'évêque

de Troye pour le Carême et pour l'Avant? Ah! vraiment ceci diffère fort. Ni les Pastorales de Toulouse sur la suprématie Papale? Ah! c'est autre chose cela. Donc à votre avis, quelquefois une brochure, une simple feuille.... Fi! ne m'en parlez pas, opprobre de la littérature, honte du siècle et de la nation, qu'il se puisse trouver des auteurs, des imprimeurs, et des lecteurs de semblables impertinences. Monsieur, lui dis-je, les Lettres provinciales de Pascal... Oh! Livre admirable, divin, le chef-d'œuvre de notre langue! Eh bien! Ce chef-d'œuvre divin, ce sont des pamplets, des feuilles qui parurent..... Non, tenez, j'ai là-dessus mes principes, mes idées. Autant j'honore les grands ouvrages faits pour durer et vivre dans la postérité, autant je méprise et déteste ces petits écrits éphémères, ces papiers qui vont de main et parlent aux gens d'à-présent des faits, des choses d'aujourd'hui. Je ne puis souffrir les pamphlets. Et vous aimez les Provinciales, petites lettres, comme alors on les appelait, quand elles allaient de main. Vrai, concontinua-t-il sans m'entendre, c'est un de mes étonnements que vous Monsieur, qui, à voir, semblez bien né, homme éduqué, fait pour être quelque chose dans le monde; car enfin qui vous empêchait de devenir baron comme un autre? Honorablement employé dans la police, les douanes, geolier ou gendarme, vous tiendriez un rang, feriez une figure. Non, je n'en reviens pas, un homme comme vous s'avilir, s'abaisser jusqu'à faire des pamphlets! Ne rougissezvous point? Blaise, lui répondis-je, Blaise Pascal n'était ni geolier ni gendarme, ni employé de M. Franchet. Chut! Paix! Parlez plus bas, car il peut nous

entendre. Qui donc? L'abbé Franchet? Serait-il si près de nous? Monsieur, il est partout. Voilà quatre heures et demie; votre humble serviteur. Moi le vôtre. Il me quitte et s'en alla courant.

Ceci, mes chers amis, mérite considération; trois si honnêtes gens, M. Arthus Bertrand, ce monsieur de la police, et M. de Broë, personnage éminent en science, en dignité, voilà trois hommes de bien ennemis des pamphlets. Vous en verrez d'autres assez et de la meilleure compagnie, qui trompent un ami, séduisent sa fille ou sa femme, prêtent la leur pour obtenir une place honorable, mentent à tout venant, trahissent, manquent de foi et tiendraient à grand déshonneur d'avoir dit vrai dans un écrit de quinze ou seize pages. Car tout le mal est dans ce peu. Seize pages, vous êtes pamphlétaire et gare Sainte-Pélagie. Faites-en seize cents, vous serez présenté au roi. Malheureusement je ne saurais. Lorsqu'en 1815 le maire de notre commune, celui-là même d'à-présent, nous fit donner de nuit l'assaut par ses gendarmes, et du lit traîner en prison de pauvres gens qui ne pouvaient mais de la révolution, dont les femmes, les enfants -périrent, la matière était ample à fournir des volumes, et je n'en sus tirer qu'une feuille, tant d'éloquence me manqua. Encore m'y pris-je à rebours. Au lieu de décliner mon nom et de dire d'abord comme je fis, mes bons messieurs, je suis Tourangeau, si j'eusse commencé : Chrétiens, après les attentats inouis d'une infernale révolution...... dans le goût de l'abbé de la Mennais, une fois monté à ce ton, il m'était aisé de continuer et mener à fin mon volume sans fâcher le procureur du roi. Mais je fis

seize pages d'un style à peu-près comme je vous parle, et je fus pamphlétaire insigne; et depuis, coutumier du fait, quand vint la souscription de Chambord, sagement il n'en fallait rien dire; ce n'était matière à traiter en une feuille ni en cent; il n'y avait là ni pamphlet, ni brochure, ni volune à faire, étant malaisé d'ajouter aux flagorneries et dangereux d'y contredire, comme je l'éprouvai. Pour avoir voulu dire là-dessus ma pensée en peu de mots, sans ambages ni circonlocutions, pamphlétaire encore, en prison deux mois à Sainte-Pélagie. Puis à propos de la danse qu'on nous interdisait, j'opinai de mon chef gravement, entendez-vous, à cause de l'église intéressée là-dedans, longuement, je ne puis, et retombai dans le pamphlet. Accusé, poursuivi, mon innocent langage et mon parler timide trouvèrent grâce à peine; je fus blâmé des juges. Dans tout ce qui s'imprime il y a du poison plus ou moins délayé selon l'étendue de l'ouvrage, plus ou moins malfaisant, mortel. De l'acétate de morphine, un grain dans une cuve se perd, n'est point senti, dans une tasse fait vomir, en une cuillerée tue, et voilà le pamphlet.

Mais d'autre part mon bon ami sir John Bickerstaff, écuyer, m'écrit ce que je vais tout-à-l'heure vous traduire. Singulier homme, philosophe, lettré autant qu'on saurait être, grand partisan de la réforme non parlementaire seulement, mais universelle; il veut refaire tous les gouvernements de l'Europe, dont le meilleur, dit-il, ne vaut rien. Il jouit dans son pays d'une fortune honnête. Sa terre n'a d'étendue que dix lieues en tout sens, un revenu de deux ou trois millions au plus; mais il s'en contente,

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