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toutes les lacunes qu'on trouve dans les exemplaires manuscrits ou imprimés, répondent exactement à des feuilles ou portions de feuilles qui manquent à celui-ci. Les avantages qui doivent résulter, pour la nouvelle édition, d'une pareille découverte, se conçoivent aisément on regrette seulement que l'éditeur n'ait pu avoir sous les yeux, dans le cours de son travail, ce manuscrit qui devait en être la base; car, quoique cette collation ait été confiée aux soins d'un jeune homme des plus instruits (M. Schweighouser le fils), et qui a donné des preuves de son habileté en ce genre, cependant on sait (et M.Schweighæuser en fait l'aveu quelque part) que les yeux d'un éditeur découvrent en pareil cas mille choses qui échappent aux plus clairvoyants, et ce regret est d'autant plus grand, qu'on connaît M. Schweighouser pour un des hommes les plus capables de tirer des manuscrits tout le parti possible, lui qui n'en a presque point touché, où il n'ait fait des découvertes curieuses et utiles.

Mais une réflexion qu'on ne peut s'empêcher de faire sur le sort de ce manuscrit, venu d'Italie en France, depuis peu d'années, c'est que la grande révolution qui a transporté chez nous tant de monuments des sciences et des arts, tourne promptement au profit des unes et des autres. Ces chefs-d'œuvre de la sculpture antique et du pinceau moderne, attiraient, de-là les monts, nos artistes obliges de les étudier à la hâte et de les quitter à regret. Désormais les modèles de l'art ne seront plus séparés de ceux qui les savent reproduire; et, dans Paris, Raphaël a maintenant plus d'élèves, Apollon plus d'adorateurs

qu'à Rome même au temps des Césars et des Médicis. Mais ces premiers exemplaires des auteurs anciens, les seuls où l'on retrouve encore, après tant de siècles, les paroles même des maîtres de l'éloquence et du goût, étaient perdues pour le public, partout ailleurs que dans le lieu où se réunissent les lumières et tous les secours nécessaires pour en faire usage. Depuis la renaissance des lettres, le charmant recueil de l'Anthologie, et les débris de l'ancienne poésie con> servés par Athénée, étaient dans les mains des savants et de tous les amateurs de la belle antiquité, mais défigurés par mille taches que la critique s'ef forçait inutilement d'effacer, tandis que Saint-Marc et le Vatican renfermaient ces textes précieux dans P'état le plus approchant de leur pureté primitive. On ne connaissait qu'imparfaitement le fameux manuscrit dont M. de la Rochette va se servir pour nous donner l'Anthologie en son entier! celui-ci, plus important peut-être, était encore plus ignoré. Mais à peine entre nos mains, ces trésors de l'Italie sont aussitôt répandus dans tout le monde savant, et l'Italie elle-même jouit des dons qu'elle nous a faits.

Au reste, l'éditeur prévient qu'il n'a pas eu, comme beaucoup d'autres, l'avantage de se préparer pendant long-temps à un travail aussi difficile que le sien, et de rassembler à son aise tous les matériaux qui lui eussent été nécessaires, s'étant trouvé engagé à cette entreprise par une suite de circonstances, au refus d'un homme de lettres qui ne veut pas être nommé, et qui avait auparavant promis de s'en charger. Par exemple le célèbre Brunek devait l'aider de ses lumières et de sa bibliothèque. Mais ayant re

noncé tout-à-coup aux lettres qu'il a cultivées avec succès, et résolu même de se défaire des livres qui lui restaient, il n'a pu contribuer en rien à cette édition, si ce n'est par quelques notes écrites, il y a longtemps, sur les marges de deux exemplaires, l'un desquels contenait ses propres conjectures, en assez grand nombre, mais faites, à ce qu'il paraît, dans le courant de la lecture, et sans aucune méditation; sur l'autre étaient les variantes d'un des manuscrits de Paris. Tout cela a été communiqué à M. Schweighocuser, qui en a enrichi ses notes. Deux savants des plus distingués, les CC. Dutheil et Coray, lui ont envoyé leurs observations insérées dans son commentaire. Les notes du premier malheureusement peu nombreuses, répondent aux preuves qu'on a déjà de son érudition. Celles du second se rencontrent plus fréquemment, et paraissent toujours dignes de cette rare sagacité que les savants lui connaissent.

Venons à l'ouvrage même et à l'examen de son exécution. Il est imprimé par la société thypographique de Deux-Ponts, établie maintenant à Strasbourg, et l'on peut dire que cette célèbre imprimerie n'a point encore produit d'ouvrages aussi importants ni aussi bien exécuté. Le texte et la version latine se trouvent sur la même page, accompagnés des variantes les plus considérables, forme qui ne plaît pas, comme on sait, à tous les savants, mais qui a pour elle l'usage et le suffrage d'un homme dont l'autorité est un grand poids en nos matières, c'est cette même forme que M. Vyttembach a adoptée pour son Plutarque, après en avoir montré les avantages dans sa Bibliothèque critique. Le volume qui paraît d'Athé

née contient les trois premiers livres du texte, partie de l'abréviateur, partie d'Athénée lui-même. Les commentaires, sur les deux premiers livres seulement, forment un volume séparé. Des chiffres placés aux marges indiquent les chapitres de l'édition de Casaubon; et l'on n'a rien négligé de tout ce qui pouvait être commode aux lecteurs dans l'usage de cette édition, tellement qn'il est plus facile d'y retrouver les citations de celle de Casaubon, que dans Casaubon même.

La version latine était un article des plus importants, devant être comme une espèce de commentaire pertuel, et épargner en même temps beaucoup de

commentaires.

Aussi voit-on que M. Schweighouser s'y est appliqué singulièrement. Il l'a refaite en entier, et, comme il écrit le latin avec beaucoup de facilité, il a des ressources toutes particulières pour rendre le texte avec précision, et faire entrer ses lecteurs dans lè sens intime de l'auteur. Il n'y a que ceux qui connaissent le prix et la difficulté d'un pareil travail qui puissent lui en savoir le gré qu'il mérite. Les vers de Grotius lui ont servi pour ses fragments des différents poètes. Mais on sent qu'il lui a fallu les retoucher en beaucoup d'endroits, où les changements faits au texte produisaient un nouveau sens. Ces changements sont fréquents et considérables. Cela ne pouvait être autrement; car, outre une infinité de passages qu'on a corrigés, à l'aide des conjectures et des 'manuscrits, les grammairiens anciens (Suidas surtout qui ne s'est pas servi, comme Eustathe, de l'abrégé seulement, mais du texte même) ont fourni

à M. Schweighouser de quoi suppléer, en plusieurs endroits, les noms des auteurs ou les titres des ouvrages omis par l'abréviateur. Il a tiré du même Suidas des phrases entières dont on ne trouve aucune trace dans l'abrégé, et les a insérées dans le texte. S'il était en droit de le faire, c'est de quoi les savants jugeront; mais sûrement il l'a fait avec la critique. judicieuse et le discernement qu'on devait attendre d'un homme comme lui, exercé à découvrir et à remplir heureusement les lacunes dans les anciens textes.

Il n'adopte ordinairement qu'avec beaucoup de circonspection, les conjectures de Casaubon et des autres critiques, quelques probables qu'elles paraissent, laissant dans le texte la leçon que donnent les manuscrits toutes les fois qu'on peut en tirer un sens supportable, du moins dans tout ce qui est écrit en prose; car, dans les vers, il se montre bien moins difficile; et, pour rétablir le mètre, on le trouvera peut-être, en quelques endroits, trop prompt à recevoir les conjectures de plusieurs savants, dont les assertions, sur cette matière, ne sont pas toujours démontrées. D'ailleurs, on sait, en général, que ceux qui citent des vers dans un ouvrage en prose les tronquent ou les altèrent souvent, faute de mémoire, ou à dessein. C'est ce que Casaubon lui-même a reconnu dans Athénée (pag. 13, E, et ailleurs), Brunk, sur Aristophane (frag., pag. 232), a fait la même remarque ; et c'est cette remarque qui doit nous tenir en garde contre l'audace des critiques, qui tous ont eu cette manie de refaire, sur un mètre quelconque, les fragments des anciens poètes cités par les

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